A la rencontre du Roi (part. 1)

Il est 4h04. Je commence cette note après avoir retrouvé le cyber qui ouvre 24h/24, que j’avais repéré auparavant au cours de mes errances nocturnes dans les rues d’El Hoceima. J’ai dormi un peu, au bord de la mer, sur un tapis à même le sol, et à la belle étoile, avec dix autres vieillards qui avaient eu la prévoyance de ramener ce même tapis, des coussins, et des couvertures. Dormi? Une vingtaine de draris du village autour de nous, animant à coup de vannes, de fous rires, de discussions à bâtons rompus, ce petit bout de plage où nous avons échoué. Echoué… C’est bien le terme. On m’avait prévenu, et j’ai quand même voulu faire partie du voyage. J’ai avalé une tonne de poussière, vibré pendant près de quatre heures aux aléas d’une piste caillouteuse, subi la chaleur écrasante, mais je ne le regrette pas, du moins pas encore.
 
Je me suis levé du tapis pour laisser la place à l’un des jeunes forcés de rester debout, et j’ai marché vers la ville, qui respirait encore à cette heure: Des jeunes qui discutent sur leurs marches, des rondes de la sûreté nationale, les balayeurs qui nettoient le bitûme, les barrières metalliques le long des avenues, servant en journée à retenir la foule lors du passage du convoi royal. Les décorations coloréées, les étoiles scintillantes…
El Hoceima, ville accrochée aux rochers accores du Rif, vit encore au rythme du séjour du Roi.  

Pour ma part, j’ai encore 4 heures à tuer, 4 heures avant de rejoindre les autres, de nous ébrouer tous d’un seul coup, hommes, camionnettes, voitures, plus de deux cents véhicules réunis sur la route poussièreuse, pour refaire cette procession gigantesque de la journée, et aller à la rencontre du Roi.

14h30

-Putain! J’ai caché mon camion pendant 2 jours et je reçois cette convocation! Comment ils savent?
-Tu crois quoi? Notre bled est remplie de balances!
-Et ça, c’est juste quelqu’un de chez nous qui bergueg et qui leur dit tout ce qui se passe, c’est pas quelqu’un de l’extérieur… J’avais caché la camionnette derrière la maison, et je reçois la convocation? Qui pouvait le savoir? Je te jure, j’ai envie de lui enlever la batterie, et de leur dire que je suis en panne!
-Ewah zid. Garde toi des problèmes.
Nous dansions à l’unisson, sous les mouvements saccadés de la camionnette sur la piste. Devant nous, au loin, une autre camionnette laissait dans son sillage une trainée de poussière.
-Regardes, y a la Srimo devant… Il a l’air éclaté de monde. Regarde comment son camion penche! Y a Gordo qui est monté avec lui?
Eclat de rire dans l’habitacle.
-Moi, je ne fais plus monter personne!
-Si les gendarmes te disent un truc, dis leur qu’on prend du monde au “control” de Rouadi.
Lors du passage du Roi dans la Région pour inauguration d’une infrastructure, c’est un fait: toutes les camionnettes et les véhicules des environs sont réquisitionnées. Tout propriétaire d’un véhicule est tenu de participer au transport de la foule allant à la rencontre du Roi, et reçoit ainsi une convocation. Autre particularité amusante: toute personne propriétaire d’un corps est également tenu d’assister à cette inauguration, et reçoit sa convocation pour remplir ces véhicules réquisitionnées. Ne peut couper à la rencontre du Roi que ceux qui sont occupés à des travaux importants dans leurs champs (et uniquement dans les champs de blés…) et les personnes souffrantes.


Bien sûr, tout cela ne prenait pas de caractère obligatoire, et le titulaire de la convocation pouvait passer outre si ça lui chantait, et rester à la maison. Mais alors, il ne fallait pas s’étonner s’il avait des complications pour effectuer certaines démarches administratives, ou si des personnes mal intentionnées s’en prenaient à sa récolte…  
L’initiative des convocations venait toujours des Cadis des Douar de la Région, en charge de l’organisation du “remplissage” des lieux des inaugurations, et pour qui la mobilisation plus ou moins grande du village sous son administration traduisait, auprès de sa hierarchie, la santé de sa gestion. Une bataille de faveur se livrait ainsi entre les Cadis des différents douars pour savoir qui masserait derrière lui le plus de sujets. Et les méthodes pour y arriver importaient peu.
C’est ainsi que je me retrouvais dans cette camionnette, accompagnant mon oncle malgré ses avertissements. Nous allions à Hoceima, à une centaine de kilomètres de là. Après trois heure d’une route transformée en piste par les lourds travaux sur la future Rocade Méditerranienne, nous passerions la nuit dans la ville, sans savoir où dormir, puis nous irions, le lendemain, guidés par les gendarmes et l’armée, sur les lieux de l’inauguration.

15h35

Lorsque nous prenons la route principale, nous nous retrouvons soudain, au détour d’un virage, au milieu d’une procession spéctaculaire de plus d’une centaine de véhicules, des camionettes Mercedes 207 en majorité, mais également des Renault 12, des mercèdes 240, des 4/4: Drapeaux marocains plantés sur les toits, photos de Mohamed VI collés aux fenêtres, klaxons, poussière aveuglante, dépassement aux bords de ravins, musique des radio cassettes, chants à l’intérieur. Une ambiance de fête, de procession de mariage anime le cortège qui dévale la piste caillouteuse dans un grand nuage de poussière. Plus nous avançons, et plus le cortège grandit. Les courbes prononcés de la route nous font voir l’ampleur de cette immense procession: des kilomètres de 7did, de “fer”, des voitures qui avancent en double file, lentement. Des “touristes” se retrouvent coincées dans le cortège et prennent leur mal en patience. Ceux qui arrivent à contre sens sont forcés de s’arrêter. Le tout avance au pas, ponctuellement contrôlé, guidé par des gendarmes et des soldats de l’armée qui donnent la cadence à la procession, évitent les débordements des chauffeurs un peu trop pressés, arrêtent le serpent de fer un moment. A l’intérieur, la sueur, la chaleur. Lors des pauses, des hommes en sueur sortent prestement des camionnettes pour suer à l’air libre, pisser dans un ravin.
Je reste un moment magnifié par ce déferlement humain surprenant, jamais vu sur cette route d’habitude si déserte. Nous fendons en deux le paysage, sous le regard étonné des habitants des maisons alentours. Et celui, appuyé, d’un âne attaché dans un champs.

16h30

Aux plages de pause de la procession, qui peut être immobilisée pendant un quart d’heure, voire 20 minutes, succèdent des moments de folie routière: Toutes les camionnettes 207 veulent se dépasser, se frôlent dangereusement. On force le passage, on refuse de le donner, quitte à avancer à quelques millimètres de la tôle du voisin. Sous les encouragements des draris: “Putain? Tu le laisse passer sans rien faire? T’as pas de couille, Omar! Même mon âne, il aurait passé la troisième sur ça!”
Une route à deux voies se transforment en cinq voies. Piste transformée en autoroute. Le rugissement des moteurs. klaxons effrénés des dépassements. Le claquement des tôles mal agencées sous les vibrations de la piste. Le tout dans une poussière âcre et rouge…

17h10

Un camion s’est-il retournée? un passant a t il été renversé? Les deux cents camions sont en arrêts et tous les passagers qui en descendent se ruent soudain vers un point précis. Une masse de gens courent vers le bas coté comme si une catastrophe était arrivé. Lorsque notre camionnette s’arrêtent, nous faisons de même. Je cours, dépasse les autres… Puis je me retrouve au milieu de personnes revenant en sens inverse en s’esclaffant.
-Il se passe quoi?
-Rien, retournez dans vos camions! Y a quelqu’un qui est parti chier. Y en a cinq qui l’on suivi, et tous le monde a suivi aussi, en croyant qu’il se passait quelque chose!
Je riais de cette dynamique de groupe étrange, en pensant que le gars avaient dû vite remonter son pantalon en voyant plus de 200 personnes se ruer vers lui!

17h40

La procession a laissé derrière elle des plumes. Baucoup de voitures, des Renault 12 pour la plupart, sont restés en arrière pour laisser leur moteur refroidir. Une mercèdes 240 changeait un pneu. Puis à notre tour d’être immobilisé. Une camionnette de notre village tombe en panne. Sa roue arrière fume. Freins chauffés à blanc. Heureusement que c’est à quelques pas du village de Had Rouadi. Chacun en profite pour se restaurer, acheter des bouteilles d’eaux, pendant la réparation.  

20h00

Après 5 heures de routes, pour 100 kilomètres, nous arrivons enfin au coeur de la ville d’El Hoceima.
(Aujourd’hui a lieu l’inauguration. La suite dès que je reviens à Tétouan, puisque je n’ai pas Internet dans mon bled 😉

Mohamed Saïd. Juillet 2007
Saidem, 11/02/2011
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