Lors d’un récent mariage en Mauritanie, un pays du Sahara occidental, un homme a offert à son épouse une esclave noire d’une cinquantaine d’années nommée Moima, membre de l’ethnie des Haratines. L’ONG «SOS Esclaves» a révélé l’affaire à la fin de mars.
Cette pratique, d’offrir une esclave en dot, est encore aujourd’hui une tradition respectée dans le nord-est du pays. Les femmes haratines sont surtout visées. Connues localement sous le nom de «Maures noirs», les tribus haratines constituent la plus importante minorité ethnique de Mauritanie. Le pays est dominé par des Arabes et des Berbères, les «Maures blancs», qui ont réduit les Haratines en esclavage lorsqu’ils ont pris le contrôle de la région dans un lointain passé.
Le gouvernement de Mauritanie, par la voix de sa mal-nommée Commission nationale des droits de l’homme, a tenté de démentir les faits. «Il n’a pas été établi, après investigations, d’une quelconque preuve de ces allégations.» Dans une conférence de presse tenue le 6 avril, «SOS Esclaves» a affirmé que les personnes impliquées avaient elles-mêmes déclaré que Moima était leur esclave et s’étaient plaintes «de la divulgation de l’affaire», selon le site d’information Le Calame.
Des «Maures noirs» ont manifesté le 31 mars devant le palais présidentiel, dans la capitale Nouakchott. La question de l’esclavage est particulièrement embarrassante pour le gouvernement. En 1981, la Mauritanie est devenue le dernier pays au monde à abolir officiellement l’esclavage. Il a fallu attendre encore 26 ans (en 2007) pour que des lois antiesclavagistes soient adoptées et que l’esclavage soit criminalisé.
Mais l’esclavage persiste toujours. L’indice mondial de l’esclavage (World Slavery Index) estime que la Mauritanie a encore aujourd’hui l’un des taux d’esclavage les plus élevés au monde. Selon certaines estimations, 80 000 à 160 000 personnes vivraient en esclavage dans le pays de quatre millions d’habitants.
Minority Rights affirme que l’échec persistant du gouvernement à protéger les Haratines les expose à une exploitation et une déshumanisation généralisées. Selon l’ONG, les pratiques esclavagistes concernent en premier lieu les femmes noires qui servent à la garde des enfants, à faire la cuisine et à l’élevage. Elles sont à la merci de leurs maîtres et peuvent être soumises à des violences et violées. Elles donnent naissance à des enfants de leurs propriétaires, à la fois un lien de dépendance et la perpétuation de l’esclavage.
Quelques condamnations ont été prononcées, mais des militants antiracistes dénoncent des parodies de procès qui s’achèvent souvent par des non-lieux. Dans un cas récent, l’Union africaine a réprimandé la Mauritanie pour ne pas avoir pris de mesures contre l’esclavage et a ordonné au gouvernement d’accorder une compensation financière à deux enfants esclaves qui n’avaient pu obtenir la protection de son système judiciaire. Par cette décision historique (2018), l’UA se prononçait pour la première fois contre la pratique de l’esclavage héréditaire en Mauritanie. D’ailleurs, en 2019, les États-Unis lui ont retiré le statut de partenaire commercial privilégié, en raison de la persistance de l’esclavage héréditaire des Haratines.
Le fondateur de «SOS Esclaves», Boubacar Messaoud, est lui-même un ancien esclave. Le maître de sa mère a commis l’erreur de lui permettre de l’envoyer à l’école. Ayant obtenu sa liberté, il consacre maintenant sa vie à lutter pour l’affranchissement des esclaves.
Combien de temps faudra-t-il à la Mauritanie pour opérer un changement de mentalités dans une culture qui ne considère pas vraiment l’esclavage comme un problème sociétal de grande importance?
Le Journal de montréal, 30 avr 2021
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