Opinion de la rédaction
L’un des problèmes de politique étrangère les plus délicats dont a hérité l’administration Biden est la reconnaissance irréfléchie par le président Donald Trump, en décembre, de la revendication du Maroc sur le territoire contesté du Sahara occidental. Cette décision a inversé la politique américaine de longue date et a placé Washington en désaccord avec les alliés européens, les nations africaines et les résolutions de l’ONU. M. Trump a agi non pas sur la base des mérites de la question, mais dans le cadre d’un accord visant à inciter le Maroc à améliorer ses relations avec Israël. Il s’agissait d’une récompense injuste et inutile pour un régime qui, sous le règne du roi Mohammed VI, est devenu de plus en plus autocratique.
Avec de nombreux défis étrangers à relever, la nouvelle administration a, sans surprise, tardé à préciser si elle allait confirmer la position de M. Trump ou l’infirmer, comme l’y invitent 25 sénateurs. Avant de prendre une décision, elle devrait discuter avec le régime de son bilan en matière de droits de l’homme et, en particulier, de son attaque contre la liberté d’expression. Un certain nombre de journalistes et de militants des droits de l’homme marocains ont été poursuivis pour avoir critiqué le roi ou dénoncé la corruption, et deux journalistes particulièrement éminents ont entamé depuis plus de trois semaines une grève de la faim qui pourrait avoir des conséquences tragiques.
Soulaiman Raissouni, rédacteur en chef du journal Akhbar Al-Youm, et Omar Radi, journaliste d’investigation primé, sont tous deux emprisonnés sans procès depuis l’année dernière. M. Raissouni, connu pour ses critiques de la corruption du gouvernement et son plaidoyer en faveur de la réforme politique, a été arrêté le 22 mai 2020 ; M. Radi, qui a également écrit sur la corruption et a été correspondant pour des médias internationaux, a été détenu le 29 juillet. M. Radi a d’abord été accusé d’espionnage, en raison de ses contacts avec des diplomates occidentaux et de son travail pour une société de conseil britannique. Selon une enquête de Human Rights Watch, il n’y a « aucune preuve que M. Radi ait fait quoi que ce soit d’autre que d’effectuer un travail ordinaire de journalisme ou de diligence raisonnable pour une entreprise et de maintenir le contact avec des diplomates, comme le font régulièrement de nombreux journalistes et chercheurs. »
Il est frappant de constater que M. Raissouni et M. Radi sont tous deux accusés de crimes sexuels. Les autorités accusent M. Raissouni d' »attentat à la pudeur » sur un homosexuel, tandis qu’un collègue de travail de M. Radi l’accuse de viol. Les allégations d’agression sexuelle doivent être prises au sérieux, mais les autorités marocaines ont l’habitude de porter de telles affaires contre des journalistes. Le prédécesseur de M. Raissouni en tant que rédacteur en chef d’Akhbar Al-Youm purge une peine de prison pour agression sexuelle, tandis que sa nièce Hajar Raissouni, une autre journaliste en croisade, a été condamnée à un an de prison pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage. Un rapport publié en mars par le Comité pour la protection des journalistes a conclu que « les accusations de crimes sexuels sont devenues un autre outil des autorités pour punir les journalistes », tout en affirmant qu’elles respectent une loi de 2016 interdisant les peines de prison pour les travailleurs des médias.
Les deux hommes ont entamé leur grève de la faim les 8 et 9 avril après que leurs demandes de libération sous caution ont été rejetées à plusieurs reprises et que leurs procès ont été reportés à plusieurs reprises. M. Raissouni aurait même refusé de consommer des liquides ; sa femme a déclaré dans un post Facebook que le résultat serait « la liberté, la justice ou la mort. » Selon Reporters sans frontières, M. Radi a perdu plus de cinq kilos et souffre de vomissements et de diarrhée. Vendredi, son père a indiqué qu’il avait suspendu « temporairement » sa grève en raison de la détérioration de son état de santé. Des coalitions de groupes internationaux de défense des droits de l’homme et d’intellectuels se sont jointes à plus de 150 journalistes marocains pour demander leur libération. Ils doivent être libérés avant que le régime n’obtienne d’autres faveurs politiques des États-Unis.
The Washington Post, 30 avril 2021
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