Mohamed Ould Abdel Aziz n’est visiblement pas prêt à se laisser liquider par son successeur et désormais ex-ami, devenu, au vu de ce qui se déroule sous nos yeux, un adversaire déclaré. Accusé des pires reproches dont on puisse accabler un ancien président de la République – blanchiment d’argent, corruption, entrave à la justice – puis inculpé et placé sous contrôle judiciaire strict depuis le 13 Mars dernier – une Première dans notre pays – alors qu’il s’était présenté en « président des pauvres », lors de son deuxième coup d’État en Août 2008 – le pourfendeur de la gabegie et auteur des plus « inouïes grandioses réalisations », l’ex-Président Aziz est plus que déterminé à laver l’affront. « Je ne recule pas devant ce que je considère comme une volonté de m’humilier, de salir ma personne », lâche-t-il en substance. Contrairement à son éphémère ancien ministre de la Défense, un marabout, Ould Abdel Aziz est un guerrier, un homme à sang chaud, qualifié par certains d’impulsif, fonceur, voire bulldozer.
Et c’est justement ce tempérament qui le fait sortir de ses gonds, contre ce qu’il considère comme une « campagne de diabolisation » de la part de nos gouvernants. Le tombeur de Sidioca doit se présenter trois fois par semaine à la direction de la police, un corps qu’il avait réduit presque à néant, et ne peut désormais plus, autre affront, effectuer ses navettes entre Nouakchott et son ranch à Bénichab. Qu’à cela ne tienne, l’ancien général entend se battre les armes à la main, un peu à l’image de son défunt ami maréchal du Tchad, Idriss Deby, mort dans des conditions encore guère éclaircies. Au front contre les rebelles ou abattu par un proche ?
Le général Aziz est, quant à lui, bel et bien au front, à ceci près qu’il ne dispose plus de son bataillon tant redouté jadis, le BASEP, transformé fin 2019 en Compagnie de Sécurité Présidentielle (CSP). Mais il dispose toujours de sa témérité qui le poussa à perpétrer deux coups de force en moins de cinq ans. Suffira-t-elle ? Difficile à croire : l’homme a perdu presque tous ceux qui lui couraient derrière ou courbaient l’échine devant lui…« Ils n’étaient fidèles qu’à leurs intérêts », regrette-t-il aujourd’hui. Trop tard, non ? Et le voilà donc à jouer sur d’autres fibres, en tirant simultanément sur le pouvoir de son ex-compagnon de 40 ans et sur l’opposition –cette pauvresse qu’il méprisa dix ans durant – pour tenter de se construire un nouveau bataillon. Certainement pas du côté de l’Assemblée nationale, comme il s’y ingénia sous feu Sidioca, qu’il accuse maintenant d’avoir été achetée pour approuver la fondation de la CEP qui a mis à nu tout le système de malversations qu’on lui impute et dont les enquêtes n’évoquent pas moins de 41 milliards d’ouguiyas douteuses, entre lui et divers de ses proches.
Fin stratège des coups de force et opportuniste hors pair, Ould Abdel Aziz entend plutôt surfer sur les mécontentements populaires. Les lenteurs du gouvernement, reconnues par le Premier ministre lui-même, face aux difficultés de la vie aggravée par la flambée des prix, aux injustices criantes déplorées par plusieurs corps socioprofessionnels, à l’absence d’une administration réellement au service du citoyen et – tiens donc… – à la corruption. Il n’en loupe pas une, l’ex-Président, pour noircir le tableau de son ex-ami !
Règlement de comptes personnel ?
Même si le rapport de force penche aujourd’hui du côté du marabout-Président, la manière de gérer le dossier dit de « La » décennie ne plaide pas en faveur du pouvoir. Après avoir tenté de prendre ses distances – le président de la République et son ministre de l’Intérieur répétant que le gouvernement n’interfèrerait pas dans ledit dossier – on semble tergiverser. Sinon, comment comprendre qu’à chaque sortie tonitruante de l’ex-Président, le gouvernement s’agite, pour ne pas dire panique, via ses forces de l’ordre. Ce fut le cas lors des deux premières conférences de presse de celui-là. Non seulement on interdisait aux hôtels privés de les abriter mais, plus grave, on mettait en garde les chaînes de télé privées contre les risques à retransmettre les activités d’Ould Abdel Aziz, comme s’il représentait un danger public pour le pays.
Si tel est le cas, pourquoi ne le jette-t-on pas en prison ? Malaise : tandis qu’on mobilise et braque toute la République sur cet homme, certains de ses supposés exécuteurs d’ordre, très décriés sous son règne et inculpés comme lui, pavanent en certaines manifestations, comme celle du parti au pouvoir ;on leur accorde même des gros plans à la télé publique. Saisie de leurs biens ? On n’en a pas ouï dire… On est où, là ? En agissant de la sorte, le gouvernement du président Ghazwani et/ou certains segments du pouvoir donnent bel et bien l’impression du « deux poids et deux mesures ». On accrédite ainsi la thèse de l’ex-Président et de ses conseils : seul visé dans le dossier, Ould Abdel Aziz en serait le bouc émissaire, un adversaire à abattre et à qui l’on doit donc régler les comptes. Or il n’est pas le seul inculpé, même si l’on considère qu’il porte, en sa qualité d’ex-chef de l’État, la plus lourde responsabilité de ce qui lui est arrivé.
L’attitude du gouvernement ou de ceux qui tirent dans l’ombre les ficelles, montre des limites…à moins que l’objectif inavoué et impensable soit d’assurer à Ould Abdel Aziz une campagne de publicité gratuite. Ghazwani v/s Ould Abdel Aziz, Ould Abdel Aziz v/s Ghazwani, seul spectacle autorisé pour x mandats…et le système militaire garanti jusqu’à perpette ? A contrario, si le pouvoir veut en finir avec celui qui se considère ou, qui sait, qu’il considère lui-même comme son seul adversaire, il doit s’y prendre autrement. Laisser la justice poursuivre son travail en toute indépendance, comme cela semble encore le cas à ce jour, lui garantir ses droits dans un procès équitable, si la justice en ordonne la tenue : on attendra alors le verdict. Ensuite, le laisser faire de la politique, comme il en a le droit, en plein respect des règles de l’art. Et, à l’arrivée, les urnes parleront. Faute de quoi, Ould Abdel Aziz ne cessera de hurler à la chasse aux sorcières et de se présenter en victime du régime de son ex-compagnon d’armes. En bref, le pouvoir ne doit pas céder à la provocation, d’où qu’elle vienne.
De son côté, l’ex-Président aurait tout intérêt, s’il est aussi propre sur lui qu’il le prétend, à se plier aux instructions de la justice et de l’administration, cesser de narguer, pour ne pas dire provoquer le pouvoir, en le poussant dans ses retranchements… et ne surtout pas prendre les Mauritaniens pour des amnésiques. Il pourrait en assumer de fâcheuses conséquences.
Dalay Lam
Le Calame, 06 mai 2021
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