Le 8 mai 1923 naissait une des plus grandes représentantes du raï algérien : Cheikha Remitti. Une chanteuse sans tabou qui a inspiré des générations d’artistes après elle.
Cette chanteuse à la voix grave et rocailleuse s’appelle Saâdia Bedief mais elle est connue sous le nom de Cheikha Rimitti ou Remitti, on peut dire les deux. Elle vient de l’ouest algérien dans une région appelée Oranie. C’est ici que le raï serait né. A l’époque, au début du XXe siècle, on est loin des rythmiques modernes que l’on retrouve aujourd’hui dans ces chansons. L’on faisait alors surtout appel aux instruments traditionnels et l’on s’inspirait beaucoup de chants bédouins.
Les femmes se sont très tôt emparées de ce répertoire, voire sont les pionnières du raï. C’est en tout cas ce que suggère l’historien Ahmed Hachlaf qui définit le raï comme une musique à la base essentiellement féminine à destination d’un public de femmes. On va ensuite nommer celles qui portent ce répertoire et les appeler des cheikhates.
Des chansons sans tabous
Cheikha Rimitti en est l’une des plus grandes représentantes. Elle va bouleverser le monde de la musique algérienne à la fois sur le plan musical mais surtout au niveau des paroles.
Ses chansons parlent de la vie quotidienne, des difficultés liées à la guerre, de la condition des femmes, de désir et de sexualité. Et c’est très cru. Par exemple, un de ses premiers enregistrements qui date de 1954 est une chanson qui parle du tabou autour de la virginité. Ce titre sera aussi son premier succès.
Dans la culture algérienne, les cheikhates n’ont pas la même valeur que leurs pairs masculins, les cheikhs. Ces musiciennes n’ont pas bonne réputation, mais alors quand en plus, elles chantent des musiques sensuelles et sexuelles, c’est un affront que Cheikha Rimitti va subir toute sa vie.
Une pionnière et grande inspiratrice
Pourtant, cette figure du raï est aussi très respectée pour tout ce qu’elle a apporté à cette musique. Sa manière poétique de faire toutes ses allusions sexuelles, c’est elle qui va la première utiliser toutes ces métaphores et doubles sens qui vont faire la richesse de ce genre musical. Ce sera d’ailleurs un autre de ses combats : tenter de réparer une injustice, celle de tous les hommes qui vont après elle s’emparer de ce répertoire, s’inspirer des chansons de Cheikha Rimitti sans jamais la créditer.
Parce que le raï à partir des années 70 est devenu une des musiques les plus populaires d’Algérie. On l’entend partout, on l’écoute partout. Mais on n’assume pas forcément d’écouter les chansons de Cheikha Rimitti qui s’installe alors en France, à partir de 1978, entre autres pour avoir le droit de jouer sur scène et être diffusée ce qui n’était plus le cas dans son pays natal.
Le raï d’hier et d’aujourd’hui
Pendant plus de 20 ans, Cheikha Rimitti enchaîne les succès. A la fin des années 90, elle fait appel à de nombreux musiciens rock stars pour enregistrer son album, Sidi Mansour, ce qui la propulse sur la scène internationale.
Dans cet album le raï est bien modernisé et c’est une musique qui continue encore aujourd’hui d’évoluer. Ce plongeon dans la vie et l’œuvre de Cheikha Rimitti permet de comprendre d’où vient ce genre musical, de quoi il s’inspire et en l’occurrence de ne pas omettre le rôle des femmes dans les traditions musicales des différents pays, ici en Algérie.
France Musique, 08 mai 2021
Etiquettes : Algérie, musique, raï, Cheikha Rimitti, Sidi Mansour,