France. Fracture entre les générations : lors des célébrations de l’élection à l’Elysée, il y a quarante ans, le secrétaire du parti n’est pas là. « Je ne suis pas un gardien de musée », s’est justifié Olivier Faure. La responsabilité du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 pèse également lourd.
Anna Maria Merlo
C’est « la crise de quarante ans », a plaisanté le journal Libération. Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président, le premier socialiste de la Cinquième République. La gauche était dans l’opposition depuis plus de vingt ans. A l’époque, il y avait eu une grande fête à la Bastille, il y avait un grand espoir de « changer la vie ». Rien de tout cela 40 ans plus tard.
LA VIEILLE GARDE a célébré dimanche l’anniversaire au Creusot, une commune ouvrière, de l’ancien président François Hollande qui a revendiqué la succession : gouvernement Mitterrand, Jospin, sa présidence de 2012 à 2017, avec un sous-entendu confus sur lui-même par rapport à la présidentielle de 2022 : « Le socialisme a encore quelque chose à dire, sa mission réformatrice n’est pas terminée. » L’actuel secrétaire du Ps, Olivier Faure, n’était pas présent, il a préféré participer à la marche pour le climat à Paris, avec les autres forces de gauche (même si les leaders des différents partis ont été tenus à distance les uns des autres) : « Je ne suis pas un gardien de musée – s’est-il justifié – mon but n’est pas de rester prisonnier de l’histoire, la meilleure façon d’être fidèle à Mitterrand, c’est d’être aux côtés des jeunes qui se mobilisent pour construire l’avenir. » Hier soir, Faure a organisé une commémoration dans l’actuel siège du Ps, à Ivry-sur-Seine, tandis que dans l’ancien siège, rue de Solférino, vendu à des particuliers et en cours de rénovation pour accueillir les bureaux d’une multinationale de la parfumerie, la grande enseigne « Parti socialiste » qui se dressait sur le fronton du bâtiment est dans les décombres.
À UN AN de la présidentielle, le Ps n’a pas de candidat, après l’échec et mat de 2017, où Benoît Hamon avait recueilli un peu plus de 6%. La maire de Paris, Anne Hidalgo, y réfléchit, la décision sera prise en septembre, mais les sondages ne sont pas encourageants. Faure pense à une candidature unique avec Europa Ecologia, mais le leadership viendra des Verts, le Ps suivra (et la gauche désunie présentera une série de candidats au premier tour, avec la sécurité de ne pas arriver au second). Ce choix est condamné par la vieille garde, qui a vécu le « programme commun » avec le Pcf en position dominante. « Nous ne recevons pas de leçons de ceux qui sont responsables de l’échec de la gauche », a répondu Faure à Hollande.
MAIS IL Y A UN AUTRE clivage profond et grave entre l’ancienne et la nouvelle génération : le jugement sur la responsabilité française dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. C’est la fin de l’ère Mitterrand, la présidence est en déclin, en proie à de nombreux maux. Une commission d’historiens, voulue par Emmanuel Macron, a établi les lourdes responsabilités de la France, qui a détourné le regard pendant la préparation du génocide. Une autre commission, mise en place par le Rwanda, est allée encore plus loin dans ses accusations de responsabilité.
Une réconciliation des mémoires entre la France et le Rwanda est en cours, Macron se rendra à Kigali. Raphaël Glucksmann, chef de file socialiste aux dernières élections européennes (il est membre du groupe Place Publique) a demandé un examen de conscience du Ps sur les responsabilités de l’équipe Mitterrand. Mais Hubert Védrine, qui était alors secrétaire général de l’Elysée, et tous les autres de la vieille garde refusent de reconnaître la faute. « Même la communauté internationale n’a rien anticipé », a encore dit François Hollande hier.
ABOLITION DE LA PEINE DE MORT, cinquième semaine de vacances, 39 heures (puis 35 avec Jospin), retraite à 60 ans, nationalisations de grandes entreprises et de banques, rôle de Sos Racisme, politique culturelle menée par Jack Lang devenue un modèle mondial, grandes interventions architecturales (notamment à Paris) : les premières années de la présidence Mitterrand ont laissé des traces et le souvenir de la possibilité d’agir. Hier, c’était le 20e anniversaire de la loi Taubira sur l’esclavage, un crime contre l’humanité.
Aujourd’hui, parmi les divisions et les rancunes, l’adhésion au projet de construction européenne est l’un des principaux héritages. Mitterrand, qui, dès 1983, avait été contraint de faire le choix de l’austérité dans un monde dominé par Reagan et Thatcher, avait compris que la France n’aurait pas pu préserver ce qu’il avait appelé son « rang » (à l’occasion de sa participation à la première guerre du Golfe), c’est-à-dire qu’elle serait devenue une puissance de second rang, si elle ne s’était pas liée aux autres pays européens dans ce qui est aujourd’hui l’UE.
Il Manifesto, 11 mai 2021
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