On se rappellera toujours cette image du président Bouteflika serrant le cou d’un professeur de l’université d’Oran, alors qu’à Alger, des universitaires se faisaient savamment tabasser devant le Palais du gouvernement où ils avaient osé poser pied pour exposer leurs revendications au chef de l’Exécutif. Cette hantise (qu’assimileront certains à une haine) de l’instruit, perçu de facto comme un intellectuel et suspect de pouvoir avec ses idées échafauder des coups tordus ou sous-entendre des coups d’État, remonterait jusqu’au traumatisant épisode de la Bleuite : des étudiants sacrifiés sur de simples soupçons de prédispositions à l’antipatriotisme. Depuis, c’est devenu une sorte de syndrome que cultivent les dirigeants algériens, qui, depuis l’indépendance, s’affairent à mater, à dompter ou à exiler tout intellectuel non convertible ou non domesticable.
Ils ne savent pas qu’un intellectuel est avant tout le symptôme de la liberté qui, malheureusement, ne s’enseigne pas dans les zaouïas, seul repaire culturel où ont été abreuvés les premiers responsables du pouvoir en Algérie. Sauf qu’avec Bouteflika, on a droit à cette sorte d’élégance post-acte “regrettable” où il se rattrape avec des excuses… discrètes. Mais l’histoire ne s’arrête pas à un cas “accidentel”, il sera réédité sous différentes formes pour le même objectif. Mettre, symboliquement et politiquement, l’intellectuel, l’universitaire “hors d’état de nuire”.
Et avant, on recourra souvent à l’article 120 de l’exclusion. Les victimes de l’État-FLN en ont peut-être moins souffert que les victimes actuelles de ce système (qui est son prolongement naturel) dont on ne déchiffre ni la tête ni la vision. Et c’est tout naturellement que des universitaires sont réprimés et mis en détention.
Seraient-ils tous de la graine de Gramsci ? Les régimes autoritaires répondront, sans hésitation, par l’affirmative. Ce qui se confirme avec l’affaire du Dr Djabelkhir qui, dans un pays démocratique, serait inscrite comme une honteuse séquence d’atteinte à la pensée. Et encore plus proche, le sort réservé au professeur Mimouni de Constantine. Et ce seront encore les concepteurs de la gestion par la matraque qui viendront vociférer leurs regrettables constats de la fuite des cerveaux. Le pays fuite pourtant de partout.
Liberté, 17 mai 2021
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