Il est sot, mais n’est-ce pas leur domaine d’application, que ces militaires qui ont regroupé assez de neurones pour rédiger un « Appel à Macron », aient omis de nous préciser qu’ils entendaient gagner aujourd’hui une guerre qu’ils ont perdue hier : celle d’Algérie. Cette fois le djebel aurait nos banlieues pour décor. En préambule signalons que la qualité de la langue française, celle mobilisée pour annoncer l’offensive, est d’un médiocre rare. Que, dans le 9-3 on trouve aisément de petites « hordes » de scribes capables de mieux écrire que ces cerveaux trop confinés sous feuilles de chêne. Puisque nos traineurs de sabres ont placé le débat sur le « Français », qu’ils sachent qu’ils ont déjà perdu cette guerre. Mais ils en ont l’habitude.
Par Jacques-Marie Bourget
Nos journalistes saute-info n’ont pas cherché à informer le public, alors qu’il lui aurait été utile d’en savoir plus sur ces héros lanceurs « d’Appel ». Inexpugnables guerriers qui s’apprêtent pourtant à mourir dans leurs lits. Utile d’en savoir un peu plus sur la vraie nature des pétitionnaires, ces gens d’Arc qui veulent sauver la Patrie. S’il m’arrive de lire « « Le Monde », souvent équipé de gants de ménage, je dois reconnaitre que, cette fois encore c’est Ariane Chemin, la dame de fer du vespéral, qui sauve l’honneur d’un métier perdu.
La talentueuse consœur nous signale que Jean-Pierre Bernadac, l’ex-capitaine de gendarmerie qui, le premier, a lancé « l’Appel » à Macron afin que l’on ouvre la chasse en banlieue, est un ancien patron du DPS, le service d’ordre du Front National. Brave fille, Ariane ajoute « qu’il n’a jamais milité en politique ». Sans nous expliquer comment il est possible, par exemple, de commander aux barbouzes du FN tout en étant, pourquoi pas, un membre du NPA ? Donc, tout en étant aussi neutre qu’un PH de chimie peut l’être, Bernadac mouline de la copie, en musclé qui pense. Dans certains courriers, nous dit Chemin, « il évoque à mots à peine couverts, la possibilité d’un coup d’Etat militaire. Il crée pour cela un site, Place d’armes ».
Ne voilà-t-il pas un rebelle de qualité, un révolté qui a mal à la France dès qu’il entend les chants des patriotes du FN ?
FN un jour FN toujours, voilà que Bernadac, obsédé mais non lecteur du « Coup d’Etat Permanent », retombe par hasard sur une noble et vieille connaissance, le général trois étoiles (ce qui est faible au Michelin) Emmanuel de Ricoufftz. Rencontré jadis dans un régiment de biffins. Voilà une bien belle corniche pour exposer les théories de notre sauveur de la Nation. Bon. Il y a bien sûr un nouveau bémol dans la fanfare de nos amis claironnant leur « Appel » totalement « apolitique » : cet idiot utile de Ricoufftz ne trouve rien de plus valorisant que de se présenter, en 2014, aux municipales du Grau-du-Roi, sur la liste d’un dissident du FN, néanmoins ami de Gilbert Collard. Ce qui indique un vrai encrage non partisan.
Le général de Villiers, frère de l’autre, « l’agité du bocage » qui surfe sur l’eau bénite du Puy du Fou, a mis la barre à belle hauteur en publiant un livre dans lequel il appelle « à l’Insurrection ». Nom de Dieu, il faut faire plus ! En professionnels de la position du tireur couché, Bernadac et son commando décident donc de désigner une cible. Ce sera la remise en ordre de l’immigration et la mise au pas des hordes de banlieue. « Vaste programme », pour s’en tenir au célèbre jugement d’un autre homme des casernes.
J’allais oublier une autre star dans cette constellation d’étoiles, signataire de « l’Appel » de Bernadac : le général Christian Piquemal. Le 6 février 2016, ce démocrate est interpellé à Calais par la police après une prise de parole lors d’une manifestation contre les migrants et l’ « islamisation de l’Europe ». Cette manifestation, interdite par la préfecture, était organisée à l’initiative du mouvement d’extrême droite PEGIDA, qui défend le nationalisme Allemand.
« L’Appel », rédigé en langue de chêne, est publié dans « Valeurs Actuelles ». Un opuscule de mieux en mieux nommé, vue la rapide ascension des droites extrêmes qui trouvent là un polygone de sustentation. Cette publication s’est naguère mise en surbrillance en publiant un entretien, plus que complaisant, de Samir Geagea, l’un des bourreaux du massacre Sabra et Chatila, crime qualifié « d’acte de génocide » par l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 82. Entretien réalisé par un ami de Trump et de la vérité : André Bercoff.
Le reste de la copie étant plate comme un béret de chasseur alpin, je me borne à vous soumettre deux extraits de cette prose signée par les héros qui défendent le pays :
« Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieues, entraine le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution… »
« Or, nous, serviteurs de la Nation (sic, cette fois avec majuscule) qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l’exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements des spectateurs passifs. »
« Comme le disait le cardinal Mercier (vous ne rêvez pas…), primat de Belgique : « Quand la prudence est partout, le courage n’est nulle part. »
Magnifique, et je vous ai prévenus : ces militaires veulent enfin gagner, cette fois à Saint Denis et aux Mureaux, la guerre perdue en Algérie.
L’allusion au cardinal Mercier, né en 1851, indique à elle seule l’état poussiéreux régnant dans ces esprits. Appelons Wikipédia à l’aide :
« Dans sa lettre pastorale de carême de 1908, le Cardinal Mercier soutient l’encyclique Pascendi Dominici Gregis qui rejette le modernisme, et dénonce la théorie de l’évolution, une hypothèse « même pas avérée dans le champ restreint de la formation des espèces végétales ou animales ».
Selon un prêtre flamand, il lui aurait expliqué lors d’un entretien sa vision sur la coexistence des Flamands et francophones en Belgique : « Moi, je suis d’une race destinée à dominer, et vous d’une race destinée à servir. » Mercier ? Voilà un top model.
Ce que je déplore, et Ariane Chemin a fait le travail, quotidien oblige, un peu trop vite, c’est que l’absence d’informations sur l’engagement d’extrême droite de ces candidats au ratissage des banlieues, n’ait pas été exposé. Ce qui a conduit 58 pour cent des français à approuver la position de cette bande de factieux, dignes de jouer dans la pièce de Boris Vian « Le Goûter des généraux » ou de vivre désormais au métro « Muette ».
Jacques-Marie Bourget
Afrique-Asie, 16 mai 2021
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