par Karima Moual
Au Maroc, en Algérie et en Tunisie, certains dénoncent l’achat de 181 produits chimiques qui ne sont pas commercialisés dans l’UE. Les lacunes du règlement relatif à l’importation et les dangers pour la santé des produits retournés.
Ce que nous trouvons dans les rayons du supermarché, ou dans l’étal de notre marchand de légumes préféré, doit être sain et sûr, mais il est faux de penser qu’il suffit de garantir ces deux caractéristiques uniquement à l’intérieur des frontières nationales. La sonnette d’alarme vient du sud de la Méditerranée, plus précisément de trois pays du Maghreb : le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, où l’on se plaint de la commercialisation de pesticides dangereux produits par l’Europe, qui interdit leur utilisation à l’intérieur de ses frontières mais continue à les produire pour les exporter ailleurs. Il est bien connu qu’il existe des êtres humains de première classe et de seconde classe, mais le fait que ce concept de double standard soit si effrontément réglementé par le continent des droits ne peut qu’être embarrassant.
En revanche, si des restrictions sont appliquées en Europe, on profite des failles pour vendre des produits toxiques, exposant ainsi le Maghreb aux poisons fabriqués dans l’UE. Si nous examinons les données de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), nous trouvons pas moins de 181 produits chimiques qui sont interdits de commerce mais peuvent être exportés. Pourquoi ? On dit que le diable est dans les détails, et c’est également le cas : la responsabilité finale de ces achats n’incombe pas aux fabricants mais aux pays importateurs. Selon la convention de Rotterdam, toute exportation doit être notifiée à l’Agence européenne des produits chimiques. Dans plus de la moitié des cas, les autorités compétentes du pays importateur doivent non seulement être informées, mais aussi notifier en retour leur consentement à recevoir ces produits. Toutefois, 40 % de ces substances (pas moins de 73 articles) ne sont pas soumises au consentement. L’entreprise de fabrication européenne peut donc souvent se passer de l’approbation des autorités pour vendre ces pesticides très toxiques aux entreprises d’importation locales.
Il n’est donc pas surprenant que, ces dernières années, la voix de la dénonciation s’élève de plus en plus, avec des rapports effrayants, sur les problèmes liés à l’utilisation excessive des pesticides et au manque de dispositifs de protection chez les agriculteurs qui les utilisent. Parce que les effets de ces substances sur la santé peuvent être importants non seulement par contact direct et inhalation, mais aussi par contamination de la chaîne alimentaire une fois libérées dans l’environnement. Des chiffres ? Les intoxications dans le monde (mortelles ou non) sont passées de 25 millions en 1990 à 385 millions aujourd’hui, touchant près de la moitié des travailleurs agricoles, a révélé le Pesticide Action Network (PAN) en décembre 2020.
En Tunisie, l’Agence de promotion des investissements agricoles (APIA) a estimé en 2015 que l’utilisation de pesticides très dangereux pouvait expliquer en partie l’augmentation des cancers dans le pays. Enfin, la Banque mondiale a estimé en 2018 que sur les 276 substances actives utilisées dans le pays, au moins 84 avaient un effet néfaste sur la santé. Cela suffira-t-il à changer ce double standard ? Probablement pas. Et donc, comme mentionné dans l’introduction, ceux qui pensent qu’ils ne sont protégés qu’à l’intérieur de leurs propres frontières ont tort, car l’économie circulaire fonctionne dans plusieurs directions, et ne peut pas toujours être considérée comme vertueuse. Les pays tiers qui reçoivent ces produits dangereux cultivent en fait des fruits et des légumes qui sont à leur tour exportés à bon prix, même vers notre Vieux Continent, et selon toute vraisemblance aussi dans les rayons de notre supermarché ou sur l’étal de notre marchand de légumes de confiance.
La Repubblica, 18 mai 2021
Etiquettes : Pesticides, agriculture, Union Européenne, UE, exportation, Maghreb, interdiction, Maroc, Algérie, Tunisie,
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