L’Audience nationale ne voit aucune raison de convenir de mesures de précaution pour empêcher Brahim Ghali de quitter l’Espagne, malgré les accusations visant à empêcher son retour en Algérie.
La crise diplomatique entre l’Espagne et le Maroc a un troisième axe dans cette relation, l’Algérie. Jusqu’à présent, l’accent a été mis uniquement sur les deux pays, en oubliant le troisième partenaire en question. Confrontée au Maroc pour son influence et la défense du leader du Front Polisario, l’Algérie est un partenaire stratégique essentiel pour l’Espagne. Surtout, parce que le gaz algérien représente près de 55 % des importations annuelles de l’Espagne. Cette semaine, en plus du conflit avec le Maroc, les relations avec l’Algérie étaient sur le point de s’effondrer. Grâce à l’Audience nationale, Pedro Sánchez s’est épargné un conflit majeur avec ce pays.
Le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, s’est rendu à Logroño à bord d’un avion médicalisé algérien et, sous une fausse identité, s’est enregistré dans un hôpital pour y être soigné pour Covid. Un véritable affront au Maroc de la part du gouvernement espagnol et une formule, celle de l’enregistrement sous une fausse identité, qui fait actuellement l’objet d’une enquête par les autorités judiciaires.
Mardi dernier, au plus fort de la crise, le juge Santiago Pedraz a annoncé la réouverture d’une enquête sur une plainte déposée en Espagne contre le dirigeant du Front Polisario et d’autres responsables sahraouis pour des crimes présumés de génocide et de torture, déposée par l’Association sahraouie pour la défense des droits de l’homme (ASADEH). Le Ghali a également reçu une deuxième plainte déposée par un particulier, Fadel Mihdi Breica.
Ghali lui-même a refusé de signer le reçu de la première convocation au motif qu’il souhaitait contacter l’ambassade d’Algérie et des personnes de confiance avant de le faire.
La situation s’est avérée extrêmement complexe, puisque les deux accusations ont demandé mercredi de décréter la détention provisoire au vu du « risque très élevé de fuite », ou à défaut, de lui interdire de quitter le pays en vue de son éventuel départ vers l’Algérie.
Enfin, aucune des deux affaires ouvertes contre le Ghali devant l’Audiencia Nacional n’a donné lieu à l’imposition de mesures de précaution, comme la restriction de leurs mouvements et leur départ éventuel du pays. Quelque chose qui, selon des sources diplomatiques, aurait signifié « un grand conflit avec l’Algérie » la même semaine où l’Espagne et le Maroc rompent leurs relations.
Le bureau du procureur de l’Audiencia et le juge Santiago Pedraz ont refusé d’imposer des mesures de précaution car ils considèrent que les preuves de crimes présentées jusqu’à présent contre le Ghali sont trop faibles pour soutenir une telle décision.
La Justice évite, de cette façon, à Pedro Sánchez un nouveau conflit diplomatique qui aurait supposé une autre crise au sein du Gouvernement. Le Ghali pourra retourner en Algérie malgré les accusations portées en Espagne et sa convocation le 1er juin.
La rupture avec le Maroc
L’Espagne sauve ainsi un conflit avec l’Algérie, mais comme il arrive toujours dans ces cas, les décisions affectent aussi les tiers et, dans ce cas, la décision de la Justice aggrave encore plus la crise avec le Maroc.
L’ambassadrice du Maroc en Espagne, Karima Benyaich, a averti vendredi que si l’Espagne décide de renvoyer le leader du Front Polisario d’Espagne de la même manière qu’il y est entré, « elle opte pour la stagnation et la dégradation des relations ». Cette information a été rendue publique par le ministère des affaires étrangères à Rabat.
L’ambassadeur a souligné que ce qui se passe avec le Ghali « est un test pour l’indépendance de la justice espagnole, en laquelle nous avons pleinement confiance », mais aussi un autre test pour savoir si l’Espagne « choisit de renforcer ses relations avec le Maroc ou préfère collaborer avec ses ennemis ».
De son côté, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a déjà pris sur lui de dire que l’ambassadeur ne retournera pas en Espagne « tant que les causes de la crise persistent ».
« S’il y a un problème ou une crise, c’est parce que l’Espagne a préféré agir et se coordonner avec les adversaires du Maroc plutôt que les sentiments du peuple marocain par rapport à une question fondamentale pour le royaume », a déclaré le chef de la diplomatie marocaine, selon Reuters.
« Une crise de grande ampleur ».
Des sources diplomatiques préviennent Economía Digital qu’il s’agit d’une « crise de longue haleine ». C’est dire que le conflit Espagne-Maroc va s’éterniser. Son ambassadeur n’a pas de date de retour, tandis que le ministère des affaires étrangères dirigé par Arancha González Laya analyse soigneusement comment gérer la suspension de certaines réunions bilatérales à caractère technique.
De même, il n’y a toujours pas de date pour le sommet de haut niveau reporté depuis décembre, mais rien n’indique que les domaines les plus sensibles, la coopération dans la lutte contre l’immigration illégale ou le djihadisme, aient été affectés, selon les sources de la Moncloa.
Des sources diplomatiques sont convaincues que Rabat comprend que l’Espagne ne pouvait ignorer la demande de l’Algérie et apprécie le rôle qu’elle joue en sa faveur au sein de l’UE. En ce moment, soulignent les mêmes sources, l’Espagne tente d’obtenir de l’UE qu’elle n’inclue pas le Maroc dans sa liste grise de paradis fiscaux.
Les plus de 20 000 entreprises espagnoles ayant des intérêts au Maroc ont déjà demandé l’aide du gouvernement espagnol, comme l’a publié Economía Digital, face à d’éventuelles représailles. Plus précisément, 21 800 entreprises à capitaux espagnols opèrent avec un stock d’investissement cumulé d’environ 8 454 millions d’euros, selon les données de l’ICEX qui ont été recensées en 2019 (avant la pandémie).
Les hommes d’affaires espagnols craignent des représailles
La fédération de Ceuta de la CEOE a averti cette semaine, au début de la crise diplomatique entre l’Espagne et le Maroc, que les autorités marocaines parlaient déjà de prendre des « représailles commerciales et de freiner les investissements espagnols » dans le pays. Face à ces tensions, « nous craignons un scénario de représailles », commentent les employeurs et révèlent que du côté du gouvernement « nous n’avons pas encore reçu de réponse ».
Les hommes d’affaires craignent que la crise diplomatique entre les deux gouvernements n’aboutisse à trois scénarios possibles : le frein aux investissements espagnols dans les grands projets d’infrastructure et de tourisme que le Maroc a en cours ; que le financement pour les hommes d’affaires espagnols qui veulent opérer dans le pays devienne plus cher et, troisièmement, l’inquiétude que le Maroc ait déjà ouvert la porte aux grandes entreprises internationales américaines qui, sans porter atteinte à l’hégémonie française, grignotent le terrain des entreprises espagnoles.
Ce dernier point a été renforcé par la « capote américaine » que le gouvernement de Joe Biden a donnée ce mardi au Maroc, à travers un appel au renforcement de leurs relations bilatérales. Ce qu’elle n’a pas encore fait avec l’Espagne.
Les hommes d’affaires préviennent que le problème diplomatique entre les gouvernements « prendra du temps » et qu’il en va du volume des exportations espagnoles, qui sont passées de 1,9 % en 2011 à 3,0 % en 2019 et 2,6 % en 2020. En janvier 2021, les exportations espagnoles vers le Maroc ont atteint 601 millions d’euros.
Economia digital, 22 mai 2021
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