Algérie-France: Paris joue-t-elle l’apaisement ?

par Abla Chérif

Un épisode de la vie politique française n’est pas passé inaperçu cette fin de semaine. Le MAE français a en effet refusé de se laisser entraîner vers le terrain planifié d’une ex-ministre socialiste qui l’interrogeait de manière très tendancieuse sur la situation actuelle en Algérie. Une carte en faveur de l’apaisement entre Alger et Paris ?

Abla Chérif – Alger (Le Soir) – La scène se déroulait mercredi durant une séance plénière au Sénat français. Laurence Rossignol, député socialiste et ex-ministre du Travail, interpelle Jean-Yves Le Drian et lui demande de s’exprimer sur la situation en cours en Algérie.

Elle évoque «la répression qui s’abat sur le Hirak, les condamnations à des peines de prison, les emprisonnements de journalistes…», mais son interlocuteur refuse de se laisser entraîner sur ce terrain. Il use d’un langage diplomatique, appelle à «la poursuite des réformes en Algérie», souhaite leur réussite «au bénéfice de l’Algérie et des Algériens».
«Les autorités algériennes ont exprimé l’ambition de réformer l’Algérie en profondeur, dans un esprit de dialogue et d’ouverture qui correspond aux attentes qui ont été exprimées dans le Hirak, de manière pacifique et avec dignité, par les Algériens. Notre seul souhait, c’est la réussite des réformes au bénéfice de l’Algérie et des Algériens (…) c’est à eux et à eux seuls de fixer les modalités de ce destin, dans le respect des libertés publiques, dans le respect de la liberté d’expression, dans le respect de la liberté de la presse, auxquelles la France est attachée partout dans le monde», dit-il. Laurence Rossignol insiste, Jean-Yves Le Drian lui répond : «Je trouve le moment de votre question singulier, puisqu’il y a des élections législatives dans 15 jours en Algérie et que la campagne est ouverte, et vous permettrez madame la présidente, que par respect à la souveraineté du peuple algérien, je ne fasse pas de commentaires supplémentaires.» Le débat est clos.

Le chef de la diplomatie française vient de dépasser un écueil qui aurait pu ajouter un coup aux relations algéro-françaises en souffrance depuis un moment. Son attitude peut-elle être interprétée comme un geste en faveur de l’apaisement en période de tension très perceptible entre les deux pays ? Une certitude, ces mots, et la position affichée tranchent avec ceux utilisés avant et après l’arrivée du successeur de Abdelaziz Bouteflika.

Des propos de Le Drian en faveur d’une transition en Algérie avaient, on s’en souvient, soulevé le courroux de Abdelmadjid Tebboune (candidat) et rien ne s’était réglé en fait après son accession à la présidence de la République. À l’origine des désaccords, des propos d’Emmanuel Macron sur la question sensible de la mémoire, l’ambassadeur de France en Algérie soupçonné d’outrepasser ses prérogatives. La fameuse phrase du chef d’État français «ni repentance ni pardon» a ainsi exacerbé les tensions qui auraient pu retomber compte tenu des avancées observées dans le dossier de la mémoire. Ces propos ont été mal acceptés à Alger où l’on a entendu un officiel, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, El Hachemi Djaâboub, qualifier carrément la France «d’ennemi traditionnel et éternel de l’Algérie» lors d’une séance de questions orales au Sénat. Pour beaucoup, cette déclaration semble d’ailleurs avoir été à l’origine du report inexpliqué de la visite du Premier ministre français à Alger.

Il était prévu que Jean Castex préside avec son homologue algérien Abdelaziz Djerad la 5e session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN). Cet incident a été suivi, deux jours plus tard, par des déclarations officielles d’un autre ministre et ces dernières ont prouvé l’existence de désaccords entre Alger et Paris. Dans un entretien accordé au site arabophone Arabic Post, le ministre de la Communication a évoqué les rencontres de l’ambassadeur de France en Algérie avec plusieurs chefs de partis politiques, notamment de l’opposition. «Je crois que l’ambassadeur de France ne ratera pas ces précieuses opportunités grâce à sa grande expérience et sa connaissance des limites et des règles de la pratique diplomatique, notamment en Algérie, qui, le cas échéant, n’hésitera pas à prendre les mesures nécessaires pour corriger la situation», a déclaré Ammar Belhimer.

Le retour de l’ascenseur ne s’est pas fait attendre. Le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, avait réagi aux propos d’El Hachemi Djaâboub en affirmant qu’ils allaient entraîner un rappel de l’ambassadeur de France en Algérie.

Dans un entretien au Figaro, Emmanuel Macron a par contre qualifié «d’inacceptables» les déclarations du ministre algérien du Travail et a évoqué l’existence de «quelques résistances» en Algérie aux efforts de réconciliation des mémoires entre les deux peuples et pays. Ils ont été interprétés comme étant aussi une réponse indirecte au chef d’État algérien qui n’a jamais cessé lui aussi d’évoquer l’existence de «parties (lobbyes) françaises hostiles à l’avancée des relations, qui demeurent cependant bonnes, entre les deux pays».

L’escalade dans les mots s’en était arrêtée là. La dernière sortie officielle française en direction de l’Algérie se démarquait de toute cette tension. Le Drian s’est éloigné du terrain de l’escalade. Une simple pause, ou la fin des tensions ?

Le Soir d’Algérie, 29 mai 2021

Etiquettes : Algérie, France, relations bilatérales, apaisement, Laurence Rossignol, députée socialiste, situation en Algérie, langage diplomatique, réformes en Algérie, libertés publiques, liberté d’expression, Jean-Yves Le Drian, Sénat,

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