Il a fallu 100 000 dollars plus les frais, et l’opportunité d’une réduction de peine de prison, pour que le développeur de smartphones collabore avec le Federal Bureau of Investigation (FBI) en 2018 et donne le coup d’envoi de l’opération Trojan Shield, selon un document judiciaire.
Trois ans plus tard, l’enquête impliquant 9 000 agents des forces de l’ordre de 17 pays a vu les autorités surveiller 27 millions de messages provenant de 12 000 appareils dans 100 pays et suivre les activités de plus de 300 groupes criminels organisés, a indiqué l’agence de l’Union européenne chargée de l’application de la loi, Europol, dans un communiqué.
À ce jour, il y a eu plus de 800 arrestations et la saisie de plus de huit tonnes de cocaïne, 22 tonnes de cannabis, deux tonnes de drogues synthétiques, 250 armes à feu, 55 véhicules de luxe et plus de 48 millions de dollars en espèces et en crypto-monnaies, a précisé Europol.
D’autres arrestations et saisies sont attendues, a-t-il ajouté.
Le document judiciaire américain – un affidavit d’un agent spécial du FBI publié pour la première fois par Vice News – indique que la « source humaine confidentielle », un ancien trafiquant de drogue, avait créé un nouveau téléphone crypté durci avec une application sur mesure appelée ANOM.
La source est montée à bord après que les autorités ont démantelé le réseau de smartphones cryptés Phantom Secure et arrêté son PDG en 2018.
Depuis au moins une décennie, les groupes criminels organisés utilisent des téléphones comme Phantom Secure pour organiser des transactions de drogue, frapper leurs rivaux et blanchir des gains illicites sans être détectés, selon la police. Parmi les nombreuses fonctionnalités de ces téléphones, le contenu peut être effacé à distance s’ils sont saisis.
Mais alors qu’un modèle est mis hors d’état de nuire, de nouveaux modèles entrent sur ce marché lucratif.
Le FBI a décidé de lancer le sien, en insérant dans les appareils une clé maîtresse qui s’attache à chaque message et permet aux forces de l’ordre de les décrypter et de les stocker au fur et à mesure de leur transmission.
QUELQUES BIÈRES
En 2018, des enquêteurs et des analystes de la police australienne ont rencontré le FBI. « Comme vous le savez, certaines des meilleures idées viennent autour de quelques bières », a déclaré mardi Reece Kershaw, commissaire de la police fédérale australienne (AFP).
Poussé par les autorités, le développeur devenu informateur a fait appel à ses distributeurs de confiance, qui ont ciblé le marché australien. Ils ont opté pour un lancement en douceur en octobre 2018. Le développeur a donné aux distributeurs seulement 50 appareils à vendre. Voyant un « énorme jour de paie », ils ont accepté, selon l’affidavit.
Alors que l’AFP surveillait les messages et les photos partagés sur les appareils, « 100 % des utilisateurs d’ANOM dans la phase de test ont utilisé ANOM pour se livrer à une activité criminelle », indique l’affidavit. L’activité s’est développée de manière organique, par le bouche-à-oreille. Très vite, les criminels étrangers ont afflué pour utiliser le téléphone ANOM.
Les forces de l’ordre avaient un avantage qu’elles n’avaient jamais eu auparavant, dit M. Kershaw. Parmi les centaines d’arrestations et les tonnes de drogues saisies, les autorités australiennes ont déclaré qu’elles avaient également démantelé 21 projets de meurtre, dont un massacre, grâce à ANOM.
Mais, en raison de « problèmes technologiques », le FBI ne pouvait pas surveiller directement les téléphones en Australie. Une décision de justice rendue fin 2019 par un pays non spécifié où se trouvait un serveur pour les téléphones a toutefois donné à l’agence un accès bien plus important et plus rapide à leur contenu DeepL.
Le FBI et les forces de l’ordre d’autres pays ont découvert que le crime organisé italien, les triades asiatiques, les bandes de motards et les syndicats transnationaux de la drogue étaient tous utilisateurs.
Selon la déclaration sous serment de l’agent spécial et de M. Kershaw de l’AFP, les criminels utilisaient les téléphones ouvertement, souvent sans même utiliser de mots de code et en partageant fréquemment des photos d’importantes cargaisons de drogue et des détails sur la façon dont elles seraient transportées.
Parmi les images partagées dans l’affidavit figurent des monticules de blocs de drogues illicites et une valise diplomatique identifiée dans le document judiciaire comme étant française et prétendument utilisée pour transporter de la cocaïne depuis la Colombie. Il existe également des preuves de la corruption de fonctionnaires et de policiers.
Selon l’affidavit, les groupes criminels ont été « informés des mesures de répression prévues ».
« L’examen des messages ANOM a permis de lancer de nombreuses affaires de corruption publique de haut niveau dans plusieurs pays. »
Les raids visant les utilisateurs d’un autre téléphone crypté, Sky ECC, en mars, ont vu la popularité d’ANOM grimper en flèche, les utilisateurs actifs passant de 3 000 à 9 000 en quelques mois, selon l’affidavit.
Mais l’expiration, lundi, de l’ordonnance du tribunal de ce pays non spécifié a marqué la fin du torrent de renseignements criminels que constituaient les téléphones. Le lendemain, lors d’une série de conférences de presse dans le monde entier, l’opération « Bouclier de Troie » a été révélée.
Reuters, 08 juin 2021
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