Les Forces Démocratiques Alliées : Les rebelles ougandais travaillant avec IS en RD Congo
Par Linnete Bahati et Driss El-Bay
La région orientale de la République démocratique du Congo est depuis longtemps un berceau de l’activité rebelle, souvent le prolongement du conflit dans les pays voisins, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda.
Les Forces démocratiques alliées (ADF) de l’Ouganda comptent parmi les groupes les plus notoires qui y opèrent actuellement.
Cette organisation militante islamiste a été créée dans les années 1990 et s’est d’abord occupée des griefs intérieurs de l’Ouganda.
Mais après sa réapparition en RD Congo, son activité a pris une dimension djihadiste plus globale, avec des attaques de plus en plus revendiquées au nom du groupe État islamique (EI).
Comment les ADF ont-ils commencé ?
Les ADF ont été créés dans le nord de l’Ouganda par d’anciens officiers militaires fidèles à l’ancien homme fort Idi Amin.
Ils ont pris les armes contre le président ougandais de longue date, Yoweri Museveni, en invoquant la persécution des musulmans par le gouvernement.
Après sa défaite face à l’armée ougandaise en 2001, il s’est réinstallé dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo.
Après une période de faible activité, les ADF sont réapparus en 2014 avec une série d’attaques contre des civils congolais.
Musa Seka Baluku est devenu chef en 2015 après l’arrestation de son prédécesseur Jamil Mukulu.
Baluku aurait d’abord prêté allégeance à IS en 2016.
Mais ce n’est qu’en avril 2019 que l’IS a reconnu pour la première fois son activité dans la région, lorsqu’il a revendiqué une attaque contre des positions de l’armée près de la frontière avec l’Ouganda.
Cette déclaration a marqué l’annonce de la « province d’Afrique centrale » (Iscap) d’IS, qui comprendra plus tard le Mozambique.
Bien que certains éléments indiquent que l’IS a coopté les ADF, l’IS n’a jamais mentionné publiquement leur nom dans sa propagande.
En septembre 2020, Baluku a affirmé que l’ADF avait « cessé d’exister ».
« Actuellement, nous sommes une province, la province centrafricaine, qui est l’une des nombreuses provinces qui composent l’État islamique », a-t-il déclaré.
Les médias locaux attribuent toujours des attaques aux ADF.
Quelle est la situation en RD Congo ?
Selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, les ADF ont tué environ 200 civils et en ont déplacé près de 40 000 autres à Beni depuis janvier 2021. Le groupe rebelle vise également les troupes du gouvernement et de l’ONU.
Depuis l’émergence de l’EI en RD Congo, la fréquence des attaques a augmenté.
Les attaques d’Iscap ont lieu dans le territoire des ADF, en se concentrant sur le territoire de Beni au Nord-Kivu, avec des incursions occasionnelles dans la province voisine d’Ituri.
La grande majorité d’entre elles visent des cibles militaires, mais les attaques les plus meurtrières visent des civils chrétiens.
L’attaque la plus importante de l’Iscap jusqu’à présent semble avoir été l’évasion de prison d’octobre 2020 à Beni, qui a conduit à l’évasion de plus de 1 000 prisonniers.
Craintes d’un conflit religieux
Le conflit dans l’est de la RD Congo a souvent provoqué des tensions ethniques, mais l’implication de l’IS risque d’ajouter une dynamique sectaire.
La RD Congo est majoritairement catholique romaine, et l’église est un acteur clé dans le pays. Les musulmans représentent environ 10 % de la population.
La communauté musulmane de Beni est de plus en plus virulente à l’égard du groupe rebelle, mais cela a un coût.
En mai, deux éminents ecclésiastiques connus pour leurs critiques à l’égard des ADF ont été abattus à Beni.
Le groupe rebelle a également été lié à des attaques contre des catholiques. En octobre 2012, il a enlevé trois prêtres catholiques dans un couvent de la localité de Mbau. On ignore toujours où ils se trouvent.
Dans sa propagande, l’EI a souvent désigné les chrétiens et raillé le gouvernement de la RD Congo pour son « échec » à les protéger de ses attaques.
Une telle provocation est caractéristique de l’EI, qui cherche souvent à exacerber les tensions locales pour renforcer ses références en tant que défenseur des musulmans ordinaires contre l' »oppression ».
La propagande de l’EI
L’ADF ne semble pas diriger ses propres médias ni revendiquer de manière indépendante la responsabilité des attaques.
Mais l’EI dispose d’une opération médiatique en ligne sophistiquée et centralisée, soutenue par une multitude d’organes de soutien opérant sur diverses plateformes de messagerie.
L’essentiel de la propagande de l’Iscap consiste en des déclarations écrites d’attaques et des photos de leurs conséquences.
En mars, en guise de démonstration de force, l’Iscap a publié des images censées montrer ses militants parcourant les rues d’un village de la province d’Ituri après une attaque contre l’armée. Mais de telles images sont rares et suggèrent que l’EI n’est pas encore devenu une force significative en RD Congo.
En octobre 2020, le journal phare d’IS, al-Naba, a publié une infographie spéciale présentant les opérations de l’Iscap sur une période de 12 mois, mettant en évidence des attaques en RD Congo et au Mozambique.
Expansion régionale des djihadistes
La violence rebelle dans l’est de la RD Congo a été largement soutenue par l’absence d’institutions gouvernementales solides et la méfiance à l’égard des interventions militaires.
Ce sont là des conditions idéales pour l’expansion de l’EI, comme en témoigne sa poussée en Irak et en Syrie en 2014, et plus récemment en Afrique de l’Ouest, où il s’est étendu au-delà du nord-est du Nigeria, dans la région du Sahel.
De même, l’expansion des EI est souvent motivée par des alliances ou la cooptation de groupes locaux établis partageant une idéologie commune, comme cela semble s’être produit avec les ADF.
L’Iscap est susceptible d’exploiter l’augmentation de la violence pour étendre ses activités dans les pays voisins.
C’est d’ailleurs déjà le cas, avec une augmentation des attaques au Mozambique et la première attaque revendiquée par l’Iscap en Tanzanie en octobre de l’année dernière, qui aurait fait 20 morts parmi les soldats.
Cette expansion, ainsi que celle observée en Afrique de l’Ouest, s’inscrit dans le cadre d’une tendance générale à se tourner vers l’Afrique après les récents revers subis par l’EI dans ses foyers traditionnels du Moyen-Orient.
BBC News, 13 juin 2021
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