Je vais le dire franchement et sans exagération aucune. Ce livre est une pépite, un des meilleurs, si ce n’est le meilleur de tous les témoignages écrits par ceux qui ont participé à la guerre d’indépendance et que j’ai pu lire. Et que dire de cette magnifique photo de couverture prise à Berrouaghia en 1962!
Je viens de terminer sa lecture et j’écris donc ce post à chaud, ce que je fais d’habitude quand je descends un ouvrage (vous n’avez qu’à lire mes autres comptes-rendus de lecture). Et je vous assure que s’il n’y avait que l’état du cinéma algérien de mauvais et le monopole des ministères de la culture, de la défense et des moudjahidines quand il s’agit de faire des films sur la révolution et ses héros, alors je serais quand-même dehors chaque Vendredi (ou Samedi) pour exiger leur départ et crier yetnahhaw ga3 car ils empêchent de se faire, avec la qualité qu’il faut, des films tels que celui que j’imagine à partir des mémoires de Mokhtar Mokhtefi, et bien d’autres.
J’ai entendu parler de Mokhtefi il y a quelques années mais je ne savais rien à son sujet. Puis, il y a quelques mois, j’ai lu un livre de sa veuve, Elaine Mokhtefi. J’ai moyennement apprécié le livre (ce qui explique mon commentaire laconique sur GoodReads) mais il m’a poussé à chercher à lire les mémoires de son défunt mari.
Les mémoires de Mokhtefi racontent sa vie depuis son enfance jusqu’à l’indépendance du pays. Dans un style très rafraîchissant et éloigné des habituelles auto-biographies de ses “camarades” de la révolution, l’auteur nous conte le cheminement de l’enfant de Berrouaghia (une ville que je connais pour sa fameuse prison dans laquelle le Pouvoir a mis plusieurs opposants politiques) qui acquiert une conscience nationaliste et qui milite au lycée à Blida puis à Constantine avant de rejoindre le Maroc pour une formation en télécommunications, de passer par le maquis et participer à la mise en place du réseau de communications de l’ALN avant de revenir au Maroc pendant un moment pour finir en Tunisie en cadre du célèbre MALG du non moins célèbre Boussouf.
Ce cheminement, parfois du fait du hasard, lui fait croiser le chemin de gens qui ont laissé leur marque dans l’Histoire. Je ne parle pas de Ahmed Gaid Salah ya meskine. Je parle plutôt de Hassan Hassani, Amara Rachid, Fadhila Saadane, Pierre & Claudine Chaulet, Abdelhafid Boussouf, Krim Belkacem, Ahmed Benbella, Benyoucef Benkhedda, Houari Boumediene, Colonel Lotfi, Ali Kafi, Lakhdar Ben Toubal, Boualam Bessaieh et j’en passe.
Mokhtar Mokhtefi écrit sans filtre et sans arrière-pensées mais je ressens qu’il prend parti pour les intellectuels de la guerre d’indépendance, dont il fait partie. Je ne sais pas toujours distinguer ses opinions de l’époque de celles qu’il tenait au moment d’écrire le livre et certains passages m’ont semblé naîfs mais l’ensemble respire la sincérité. A moins que je me sois fait avoir comme un bleu par l’ancien cadre du MALG qu’il était devenu
Le livre est plein d’anecdotes qui, avec le reste, permettent de saisir l’état d’une partie de la société algérienne d’avant la guerre, les différences de classes, de génération, le formatage des “évolués” et leurs enfants, les conflits entre arabisants et francisants, entre ceux de l’intérieur et de l’extérieur, entre citadins et ruraux, entre lettrés et illettrés, le régionalisme au sein de la révolution, etc. Le livre permet bien-sur de percevoir le gap entre les musulmans, les européens et les juifs ainsi que le racisme exercé par les institutions coloniales. Il permet aussi de saisir l’apport des mousseblines et de plein d’autres gens de bonne volonté, et il souligne la grande influence de Messali que beaucoup croyaient à l’origine de la révolution. Cette croyance étant en partie due à la clandestinité des leaders du FLN/ALN qui n’étaient donc pas connus du peuple jusqu’en 1956 et au-delà. Cette clandestinité que Mokhtefi a dû respecter est un élément important du livre tout comme le climat de suspicion créé par Boussouf et ses agents qui infestaient la capitale tunisienne et qui montaient des dossiers sur tous les Algériens.
Mokhtar Mokhtefi n’est pas tendre quand il donne son avis, et c’est aussi ce qui rend son livre intéressant car il écorche certains récits trop à l’avantage de certaines personnes citées plus haut. Et il écorche même le slogan que beaucoup d’entre nous répétons aujourd’hui, avec fierté: “Un seul héros le peuple” qu’il qualifie de vide de sens en précisant qu’il fut inventé par Yacef Saadi et ses potes qui s’étaient rangés du côté de Benbella et Boumedienne, contre le GPRA.
Je regrette que Mokhtefi soit décédé avant l’écriture de la suite, le récit de sa vie après l’indépendance. Mais était-ce dans ses plans?
Patriots on Fire, 8 juillet 2019
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