Maroc Confidentiel

L’autre guerre des services secrets marocains : en finir avec l’ami de Mohamed VI

 

Par Ignacio Cembrero

22/06/2021 – 05:00 Mis à jour : 22/06/2021 – 09:20

« Abou Azaitar continue ses provocations contre le peuple marocain ». C’est ainsi que le journal numérique marocain « Barlamane » a titré sa diatribe contre l’ami proche du roi Mohammed VI la semaine dernière. Barlamane » appartient à un petit groupe de presse dirigé par Mohamed Khabachi, qui a notamment été directeur de la communication du ministère marocain de l’intérieur et de l’agence de presse officielle (MAP). La chronique de  » Barlamane « , qui s’ajoute à quelques autres publiées récemment dans divers médias proches des autorités de Rabat, est la démonstration que les services sécuritaires, policiers et secrets marocains veulent en finir avec Abou Bakr Azaitar, 35 ans, qui, le 20 avril 2018, est soudainement devenu le grand ami du monarque alaouite. Un mois et deux jours après que le magazine « Hello ! » ait annoncé en exclusivité le divorce de Mohammed VI et de la princesse Lalla Salma, Abou Bakr et ses deux frères, Ottman et Omar, ont été reçus au Palais Royal de Rabat par le monarque. Il a tenu à féliciter Ottman pour sa victoire dans la Brave Combat Federation et Abu Bakr pour son entrée dans l’Ultimate Fighting Championship, la ligue la plus importante de la modalité d’arts martiaux qu’il pratique (MMA).

Depuis, le duo athlétique et son frère Omar, qui fait office de manager tout en travaillant comme restaurateur, sont devenus inséparables du dirigeant alaouite. Dans un premier temps, au printemps et à l’été 2018, une bonne poignée de photos de Mohammed VI avec ses nouveaux amis, notamment Abou Bakr, ont fait surface sur les réseaux sociaux. Ils ont été vus ensemble en train de dîner à Tanger, à bord d’un yacht ou en train de visiter la ville en voiture. D’autres rapports indiquent que le roi et le trio sont tous partis en vacances aux Seychelles ou ont navigué en Méditerranée à bord du yacht que leur a prêté l’émir du Qatar. Aujourd’hui, leur présence est devenue plus discrète, mais ils entretiennent toujours une relation étroite avec le monarque.

De l’Allemagne au Maroc

Tous trois ont la nationalité allemande bien qu’ils soient d’origine marocaine. Ils sont nés et ont grandi à Cologne, mais vivent au Maroc depuis plus de trois ans maintenant. Leur vie dans le royaume alaouite a été émaillée d’incidents, de scandales publics et d’un étalage débridé de luxe et de privilèges. Ils portent atteinte à la bonne réputation de la monarchie. C’est pourquoi l’appareil de sécurité a décidé d’y mettre un terme. Comme il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de les assassiner, comme le roi Hassan II l’a fait en 1983 avec le général Ahmed Dlimi, qu’il soupçonnait de conspirer contre lui, l’objectif est de les discréditer. Peut-être que de cette façon, le roi sera persuadé de se séparer d’eux. Les services secrets marocains sont efficaces. Preuve en est qu’en avril, ils ont rapidement appris que Brahim Ghali, le leader du Front Polisario, avec lequel le Maroc est en guerre, avait été admis à l’hôpital San Pedro de Logroño sous un autre nom. L’information a été divulguée à des journaux amis et la diplomatie marocaine a alors commencé à protester contre la « déloyauté » de l’Espagne. Rabat a accentué la crise avec son voisin espagnol. Le premier à ouvrir le feu contre les Azaitars a été, le 1er mai, le quotidien « Hespress », le journal le plus lu du Maroc, avec un article de 3 400 mots publié en français et en arabe. Elle a commencé par rappeler le casier judiciaire de deux des frères en Allemagne. Il a ensuite passé en revue leur penchant pour les voitures de luxe qu’ils conduisent, d’une Mercedes Brabus 800, estimée à 200 000 euros, à une Rolls-Royce, dont le prix dépasse le demi-million.

Après ce pistolet de départ journalistique, d’autres journaux ont tiré à leur tour. Le « Barlamane » numérique accuse pratiquement Omar Azaitar de trahison pour avoir ouvert un restaurant sur la Costa del Sol, une franchise d’une chaîne allemande, « en pleine crise avec l’Espagne ». Le frère qui se consacre aux affaires a déjà ouvert en beauté à Tanger, en juillet 2019, un restaurant de hamburgers de la chaîne 3H’S. Quelques jours plus tard, le roi a envoyé son fils, le prince Hassan, y déjeuner pour l’aider à le promouvoir. Ottman Azaitar sème la terreur à Rabat », titrait « Atlasinfo » le 21 mai, un journal en ligne appartenant à un autre ancien responsable de l’agence officielle MAP. Il consacre un long article à raconter comment cet autre membre de la confrérie a tenté d’éviter la queue au café Starbucks de la gare centrale de Rabat, où il est entré sans masque. Lorsque le barista a refusé de le servir, il a donné un coup de poing sur la table et lorsqu’un policier lui a demandé sa carte d’identité, il a répondu en riant, menaçant d’appeler ses patrons.

Une fois de plus, c’est le journal « Hespress » qui a été le plus précis dans son attaque. Le 10 mai, il a publié une compilation exhaustive, comprenant des photos des montres de luxe d’Abu Azaitar. Le sportif expose aussi bien une Richard Mille RM 11 Yas Marina, estimée à 475 000 euros, qu’une « modeste » Patek Philippe de 205 000 euros. Le journal calcule que, au total, il possède plus de 2,35 millions d’euros de montres. Hespress’ rappelle également que, pendant le Ramadan (mois de jeûne pour les musulmans), Abubakr faisait des travaux de charité. « Quelle crédibilité pouvez-vous avoir lorsque vous distribuez des sacs d’épicerie aux sans-abri et aux démunis avec une montre d’un demi-million de dollars au poignet ? », demande le journal. Les critiques à l’encontre des Azaitars ont transcendé la presse pour atteindre les réseaux sociaux et ne proviennent pas uniquement de comptes anonymes. « Alors que le roi Mohammed VI donne des instructions pour que les Marocains de l’étranger voyagent à des prix raisonnables, les @abu_azaitar mettent en ligne des photos de leurs voyages en jets privés de luxe », s’indigne sur Twitter Samira Sitail, qui était jusqu’à l’année dernière directrice de la télévision publique 2M et que Wikipedia et d’autres publications décrivent comme une amie personnelle de Fouad Ali el Himma, l’homme qui dirige le Maroc après Mohammed VI. « Il y a des coups de pied au cul qui ont un destinataire », conclut Sitail, qui illustre son tweet par une photo d’Abu Bakr à bord d’un de ces avions.
Les journaux marocains omettent de souligner les liens entre le souverain et les Azaitars. Tout au plus, ils laissent échapper que les frères ont profité de la générosité royale. Ni les arts martiaux pratiqués par Abu Bakr et Ottman, ni les deux restaurants de hamburgers qu’Omar vient d’ouvrir ne leur permettent de s’enrichir rapidement. Les montres et les voitures sont probablement des cadeaux du monarque. Les gens du peuple marocain ignorent presque tout de cette fraternité qui gravite autour de Mohammed VI, mais pas les élites marocaines. Pour eux, les liens étroits entre les Azaitars et le chef de l’État sont un sujet de conversation récurrent. L’avis est unanime : la relation nuit à l’institution. S’ils retournent définitivement en Allemagne, la bourgeoisie marocaine l’applaudira de tout cœur.
El Confidencial, 21 juin 2021
Etiquettes : Maroc, Mohammed VI, frères Azaitar, Abou Bakr Azaitar, ser
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