Dès qu’il s’agit de questions identitaires, les passions se déchaînent, les esprits s’excitent et les surenchères s’enflamment. Jamais abordées dans un climat apaisé. Les postures névrotiques l’emportent outrageusement sur les positionnements rationnels. Signe d’un rapport bien particulier qu’ont les Algériens avec leur passé tronçonné, fantasmé, avec leurs langues sacralisées et violentées, avec leur culture et leur civilisation anesthésiées et dévitalisées. Le lien à la religion congèle carrément la pensée. Cet ensemble de représentations sociales et imaginaires devant servir naturellement de libérateur du génie créatif d’une société a conduit, chez nous, à un assèchement des facultés intellectuelles. Les idées novatrices et iconoclastes sont comme assignées à résidence. La réappropriation du soi culturel a longtemps été suspectée et vigoureusement combattue.
En opposant à l’extrême les éléments constitutifs d’une identité plurielle, les identitaristes ont fini par installer le corps social national sur une poudrière où les populistes tiennent la flamme. Conséquence de la pensée unique stérilisante qui tient lieu d’un programme national, la culture algérienne, dans ce qu’elle a de matériel et d’immatériel, est sclérosée. Jamais comme élément dynamique, évolutif et enrichissant. Pis encore : le choix idéologique opéré au lendemain de l’indépendance n’avait aucun enracinement local et réel. Mais, une construction artificielle bâtie sur le sable d’Arabie et l’Algérie a fini par être arrimée à un monde qui n’a jamais été le sien. Un détournement du moi algérien au profit d’un surmoi importé.
L’entreprise de ré-ancrage de la personnalité algérienne dans son sillon naturel a été laborieuse et non sans dégâts. Il a fallu des décennies de lutte pour décomplexer les Algériens vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur appartenance. Une prouesse intellectuelle collective. L’Algérie algérienne ouverte sur l’universel est un fait d’engagement citoyen. Une construction par en bas. La régression politique d’en haut n’a pas pu empêcher cette Algérie d’advenir. Un acquis historique qui passe mal chez les nouveaux Don Quichotte. Minoritaires mais trop bavards, ils occupent le centre vidé de sa substance et poussent à la marge les esprits lucides. Ces derniers doivent reprendre le dessus pour anéantir les capacités de nuisance des nostalgiques d’une nation fantasmée. En perte de vitesse, ils sont capables de tout brûler.
Liberté, 26 juin 2021
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