Gavin Mortimer*
Les ondes françaises ont crépité d’indignation cette semaine, alors que les politiciens se tordaient les mains devant l’abstention record au premier tour des élections régionales. Dimanche dernier, 66 % des électeurs français ont trouvé autre chose à faire que de voter, ce qui a incité Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, à proclamer que cette participation « abyssale » mettait « en péril la démocratie ». La démocratie française est malade », a déclaré Emmanuel Rivière, de l’institut de sondage Kantar Public.
Monsieur Attal a peut-être eu la malchance de tenir ses propos le mercredi 23 juin, cinq ans jour pour jour après que le peuple britannique a voté pour quitter l’Union européenne. L’événement n’est pas passé inaperçu en France, notamment parmi les millions d’hommes et de femmes qui, en 2005, se sont prononcés sur la relation du pays avec l’Union européenne lors d’un référendum visant à ratifier la Constitution élaborée l’année précédente.
Une question simple a été posée aux électeurs : Approuvez-vous le projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ?
Une grande partie des médias et de la classe politique était persuadée que la réponse serait un « Oui » retentissant, mais ce ne fut pas le cas. Le « non » l’a emporté, 55 % des électeurs ayant rejeté la Constitution lors d’une participation de près de 70 %. Vous voyez, Monsieur Attal, il fut un temps où les Français aimaient voter.
Et comment l’Establishment français a réagi à leur défaite ? Ils l’ont ignorée. Le président de l’époque, Jacques Chirac, ardent europhile, a d’abord déclaré à la nation dans un discours : « C’est votre décision, c’est votre décision souveraine et j’en prends acte ».
Mais il ne l’a pas fait. Il a tergiversé suffisamment longtemps pour transmettre le problème à son successeur, Nicolas Sarkozy, lui aussi membre à part entière du fan club de Bruxelles. Lorsqu’il est devenu président en 2007, Sarkozy et les autres pays de l’UE ont effectivement rebaptisé la Constitution « traité de Lisbonne », qui a été adopté par le Parlement français. Travail accompli, supposent de nombreux politiciens. Ce fut une indication révélatrice de leur arrogance à croire qu’il n’y aurait aucune répercussion à ignorer les gens qu’ils représentent.
Le parti qui a le plus souffert est celui des socialistes. La gauche avait été le soutien le plus enthousiaste de la campagne du Non, et l’enfer n’a pas de pire furie qu’un socialiste méprisé. La désintégration de la gauche française au cours de la dernière décennie, et en particulier sa rupture avec son noyau ouvrier, remonte au vote de 2005.
Le référendum a marqué une rupture », a déclaré Marie-Georges Buffet, leader du parti communiste français de 2001 à 2010. Les gens ont voté, et il y a eu un refus d’accepter la décision du peuple. La désillusion s’est installée ».
S’il y avait un peu de courage dans la classe politique française, s’ils respectaient le peuple, ils suivraient la Grande-Bretagne et soumettraient à nouveau au vote l’adhésion de la France à l’UE. Mais ils ne le feront pas, car ils savent quel serait le résultat, il serait pour le Frexit. Emmanuel Macron l’a admis lors d’une interview avec la BBC en 2018.
Je fais l’expérience de cet euroscepticisme partout où je vais en France : de Bayonne à la Bretagne, des Pyrénées au Pas-de-Calais, les Français à qui je parle en ont assez de l’UE. Au début du mois, j’ai passé deux jours à faire du vélo dans la Somme, à visiter les champs de bataille et les cimetières de la Première Guerre mondiale. La région a été durement touchée par les retombées économiques du Covid, ses deux principaux employeurs – le tourisme et l’industrie aéronautique – étant à genoux.
Un commerçant de la ville d’Albert était ravi de rencontrer un Britannique, une rareté dans une région où, normalement, à cette époque de l’année, des milliers de touristes des champs de bataille viennent d’outre-Manche. Nous avons parlé du Covid et de son impact, et ses lèvres se sont retroussées lorsque nous avons abordé la question du vaccin. Quel gâchis l’Union européenne en a fait, a-t-elle dit. Vous, les Britanniques, vous avez eu la bonne idée d’en sortir ».
L’UE n’a pas seulement gâché le déploiement des vaccins ; elle a aussi gâché les démocraties, non seulement en France, mais aussi aux Pays-Bas, qui ont également rejeté la Constitution en 2005, et en Irlande, qui a dit non au traité de Lisbonne en 2008 avant d’être invitée à voter à nouveau et à produire un « oui ». Comme l’a demandé le Guardian en réponse à la façon dont le peuple irlandais a été traité : « Quelle partie du « non » irlandais l’UE ne comprend-elle pas ?
C’est l’arrogance de l’UE, Monsieur Attal, qui met en péril la démocratie en France et non l’apathie des électeurs qui n’ont jamais oublié 2005.
*Gavin Mortimer est un écrivain et un historien qui s’intéresse particulièrement aux forces spéciales de la Seconde Guerre mondiale. Son prochain livre, une biographie de David et Bill Stirling, fondateurs des SAS, sera publié par Constable plus tard cette année.
The spectator, 25 juin 2021
Etiquettes : France, Union Européenne, UE, Frexit, Brexit, élections régionales, taux d’abstention,
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