Après la reconnaissance de son ingérence dans les affaires souveraines de l’Algérie et son action future contre l’unité de son territoire : Fuite en avant et aventurisme du Makhzen !
par Noureddine Khelassi
Provocation, escalade, hostilité, ingérence, aventurisme, irresponsabilité. Tels sont les principaux mots-clés du dernier épisode fiévreux de la traditionnelle stratégie de la tension adoptée par le Maroc à l’égard de l’Algérie. Cette ultime séquence est illustrée par la nouvelle posture officielle de l’olibrius diplomatique qui sert de représentant permanent du Makhzen aux Nations-Unies à New York. Ce gugusse agité, qui n’est pas à sa première provocation ni à sa dernière dérive, a reconnu le soutien de son État, et de longue date, à un mouvement séditieux et classé comme organisation terroriste en Algérie. Et a annoncé également que le Maroc apportera désormais un soutien public à cette organisation séparatrice en appuyant, de manière explicite et officielle, un prétendu « droit à l’autodétermination du peuple kabyle » qui, selon les propos franchement bellicistes d’Omar Hilale, subirait « la plus longue occupation étrangère ».
Le texte distribué par ce spadassin diplomatique du Makhzen à l’ONU est une agression caractérisée contre la souveraineté de l’Algérie, une ingérence manifeste dans ses affaires intérieures et une atteinte directe à son unité nationale. C’est un pas dangereux, un de plus et de trop, qui a été franchi dans la stratégie de la tension entretenue par le Maroc contre notre pays, en raison du soutien indéfectible qu’il apporte depuis 1973 à la cause de décolonisation du Sahara Occidental.
Cette nouvelle escalade semble être encouragée par la fuite en avant dont le palais royal fait preuve depuis la reconnaissance de son annexion des territoires sahraouis par le Président américain Donald Trump. Une attitude arrogante et irresponsable, renforcée par ailleurs par l’alliance stratégique, à caractère diplomatique et militaire, avec Israël. Ces assauts de surenchère du Makhzen l’ont incité d’autre part à utiliser, à grande échelle, l’immigration clandestine, comme arme de déstabilisation massive de l’Espagne et de l’Union européenne qui refusent de s’aligner sur la position du Maroc dans le dossier du Sahara Occidental. On a vu à ce sujet comment le Makhzen, adepte du chantage migratoire, a piteusement essayé d’organiser une autre « marche verte » contre les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, en y poussant, par vagues continues, des milliers de jeunes desperados marocains, candidats potentiels à l’exil.
L’Algérie perçue comme «ennemi stratégique»
Cette politique agressive du Makhzen à l’endroit de l’Algérie a des racines profondes. Elle procède de sa perception de son voisin de l’Est comme un ennemi historique qu’il faut déstabiliser à tout prix et affaiblir sans cesse. En avril 2020, une étude d’un think tank marocain (proche des FAR) intitulée « Pour une nouvelle stratégie de défense intégrée du Maroc » présente en effet l’Algérie comme un ennemi stratégique. Cette boîte à idées ne s’est pas contentée de préconiser l’adaptation permanente de l’outil de guerre des FAR par rapport à la menace permanente que l’Algérie est supposée représenter. Elle propose de mettre en place un système militaire en adéquation avec des ambitions géostratégiques africaines et des visées impériales. Ce qui tend à suggérer que l’armée marocaine n’est pas un simple instrument de défense et de neutralisation des menaces auxquelles elle doit faire face, mais un dispositif offensif au service d’un rêve hégémonique. Deux autres épisodes, côté marocain, sont venus donner un peu plus de relief à cette appréhension de l’Algérie comme ennemi stratégique. On a noté également en 2020 un dérapage contrôlé du consul du Maroc à Oran qui a déclaré que l’Algérie indépendante est un « pays ennemi ». Et on a noté aussi la construction en cours d’une base militaire d’écoute juste à la frontière avec l’Algérie, notamment grâce à l’aide d’Israël.
Ce think tank militaire préconise en effet « une nouvelle stratégie de défense intégrée » contre les menaces militaires, jugées réelles, que représentent pour le royaume alaouite l’Espagne au Nord et l’Algérie à l’Est. Une préconisation en forme d’aveu d’existence d’une paranoïa aiguë qui fait penser aux auteurs de l’étude que le Maroc est pris en tenaille entre deux menaces militaires puissantes et durables. Une recommandation dont la sémantique guerrière trahit la démesure d’ambitions impériales, voire impérialistes. Qu’on en juge notamment à travers ce petit inventaire de formules éloquentes : « Stratégie d’expansion des empires marocains », « prise de contrôle et d’influence dans la zone s’étendant jusqu’à la Guinée au Sud, et en se limitant au Mali à l’Est », soit une aire géographique s’étendant bien au-delà de l’ancienne Afrique soudanaise d’avant et du temps des colonisations. Ou encore le vocable « leadership » (politique, économique et militaire) utilisé trois fois dans une même page, et une fois dans la courte conclusion de l’étude. De même que le mot « puissance » deux fois usité en introduction et en conclusion. Le terme « empire » une seule fois mais au pluriel, et, dans la même logique d’appétit stratégique, les termes « influence », « contrôle », « expansion » et « profondeur stratégique » appuient en un seul usage la démonstration de l’ambition historique, mais toujours actuelle, de l’hégémonisme du Makhzen.
L’obsession durable « d’identifier ses ennemis et rivaux historiques » est donc bien appuyée dans cette étude adossée à l’examen de la balance militaire et, en filigrane, le souci d’atteindre au moins la parité stratégique avec l’Algérie. Elle est fondée sur la notion même de dissuasion. Ses auteurs ne manquent donc pas de suggérer que les FAR doivent au moins mettre à jour leur appareil de défense pour rattraper les retards technologiques, et être en mesure de répondre, le cas échéant, aux manifestations de la supposée menace stratégique venue de l’Est. On sait que la dissuasion consiste à prévenir un acte éventuel en persuadant celui qui l’envisagerait que les coûts consécutifs en excéderaient les bénéfices escomptés. Il est vrai que l’adoption par le Makhzen de la théorie de la dissuasion stratégique est dans l’ordre logique des choses : l’idée que la possession de moyens militaires appropriés est de nature à dissuader un « pays ennemi » d’attaquer remontant à l’Antiquité. Mais le Maroc, qui est par essence géographique un pays essentiellement maritime – deux mers dessinent ses contours physiques et décident de son approche de la menace stratégique au Nord – et ne possède donc de frontières terrestres qu’avec l’Algérie voisine et, par le fait accompli de l’annexion coloniale du Sahara Occidental, avec la Mauritanie, veut par conséquent renouveler la place de la dissuasion dans sa stratégie défensive-offensive. Les crânes d’œufs qui ont proposé en 2020 « une nouvelle stratégie de défense intégrée du Maroc » basée sur un « nouveau dispositif militaire dissuasif » remplacent l’idée de « comment éviter la guerre ? » par « comment gagner la guerre ? » À l’instar de la dissuasion nucléaire qui repose sur la peur du recours par l’Autre à l’arme atomique, le souci de ces stratèges est de conserver des moyens suffisants de frappe contre l’agresseur présumé après avoir subi une première attaque : c’est la fameuse « capacité de seconde
frappe », élément moteur de la course aux armements à laquelle se livre éperdument un Maroc qui n’a pourtant pas les moyens financiers de ses grandes ambitions qui dépassent en fait le cercle de l’équilibre de la menace.
Pour que cette nouvelle stratégie militaire offensive puisse avoir du sens, il faudrait que l’état-major des FAR et le cabinet du Palais royal soient en mesure d’évaluer, avec précision, les coûts, les gains et les pertes de leurs actions. Car les décisions irrationnelles du Makhzen pourraient conduire à des décisions rationnelles de l’autre côté de la frontière Est, et donc surprendre le Maroc et déclencher un engrenage des plus périlleux. Dans un contexte de crise endémique singularisant les relations bilatérales, le discours de ce think tank, aux accents martiaux, est de nature à altérer le jugement de ceux auxquels il est destiné en premier ressort. La possibilité d’une mauvaise interprétation des intentions de l’Autre peut conduire notre voisin de l’Ouest à des décisions irrationnelles au regard du principe même sur lequel repose la dissuasion, à savoir la neutralisation réciproque.
Dans l’histoire de la Guerre froide, la crise de Cuba a pourtant force de bon exemple. Elle a amené à prendre des mesures autres que militaires visant à diminuer les risques propres à la dissuasion nucléaire grâce à des moyens de communiquer en temps de crise entre les deux camps. Grâce aussi à la possibilité de toujours mieux connaître les intentions réelles de l’adversaire par des moyens précis d’observation et d’espionnage. Enfin, grâce surtout à la maîtrise des décisions d’emploi et de préparation des armes par la centralisation et le renforcement de la sécurité de la chaîne de commandement qui est en Algérie une préoccupation permanente de l’état-major de l’ANP et de ses organisations de veille et de vigilance.
Une posture paranoïaque permanente
Le Maroc est donc dans une posture paranoïaque permanente. Délires découlant probablement du rêve grandiose du « Grand Maroc » et des « stratégies d’expansion des empires marocains », avec leurs corollaires la « puissance », le « leadership », le « contrôle », « l’influence » et la « puissance », mots-clés de la terminologie guerrière de l’étude du think tank. Le facteur déterminant de la force militaire en perpétuelle consolidation est au centre des préoccupations stratégiques du Makhzen. Sur ce plan, l’étude du Forum FAR Maroc, qui a fait sienne la devise latine « si vis pacem para bellum », reconnaît d’entrée que la naissance de l’Algérie indépendante a constitué « la menace majeure sur l’existence du Maroc actuel ». Elle admet ensuite que la doctrine et la capacité de guerre installée du Maroc ont été déterminées par cette « menace majeure » présumée. Les auteurs de l’étude le reconnaissent d’ailleurs sans ambages en soulignant que « l’équipement, la formation et la disposition des unités des FAR ont depuis ce jour (la fin de la colonisation de l’Algérie, Ndlr) été orientés dans la perspective d’une confrontation éventuelle avec l’Algérie ». Deux faits de guerre marquants, l’agression contre l’Algérie en 1963 et le conflit militaire au Sahara Occidental annexé en 1975 sont considérés, par conséquent, comme un déclic et un « tournant décisif dans la construction de la doctrine des FAR ». Laquelle est notamment fondée sur « le souci de stopper l’assaut d’un ennemi en supériorité numérique et d’arrêt de colonnes blindées venant de l’Est ».
Cette doctrine, structurée par la croyance permanente en une menace stratégique émanant d’un voisin présumé malveillant, et par définition offensif et expansif, est cependant spécieuse. Fallacieuse, elle l’est assurément, car elle suppose, comme le prétend ce think tank, que les FAR ne s’équipent qu’en « réponse aux acquisitions récentes de l’ANP algérienne » et, de ce fait, « entreprennent un programme ambitieux de modernisation des dotations toutes armes confondues ». Et si l’Espagne et surtout l’Algérie n’existaient pas, le Maroc se serait-il abstenu alors de bâtir ses FAR pour être finalement le Costa-Rica du Maghreb et de l’Afrique ? On ne peut cependant pas suggérer l’existence d’une doctrine militaire purement défensive et déterminée par l’existence théorique d’une menace offensive permanente du voisin, et évoquer en même temps, comme le fait clairement ce forum des FAR, une « stratégie d’expansion des empires marocains ». Et surtout une « prise de contrôle et d’influence dans la zone s’étendant jusqu’à la Guinée au Sud, et en se limitant au Mali à l’Est ». Ou encore parler de « leadership », de « puissance »
d’« influence », de « contrôle », d’« expansion » et de « profondeur stratégique ». Il y a là une contradiction majeure et une absurdité flagrante ! Un paradoxe et une aberration d’autant plus grands que l’Algérie, désignée comme ennemi stratégique et héréditaire, est ciblée en profondeur, à 200 km d’Alger, à travers une liste d’objectifs stratégiques devant être l’objet de frappes lointaines, telles la base aérienne de Chlef, les infrastructures militaires de Sidi-Bel-Abbès et les installations gazières et pétrolières d’Arzew !
Toutefois, face à l’Algérie, reconnue par le think tank comme la première force sous-marine dans le monde arabe, et à défaut de gaps technologiques à surmonter ou a réaliser, le Maroc a d’incontestables retards à rattraper notamment dans les domaines aérien (chasseurs et bombardiers de 4e génération, hélicoptères de combat), naval (frégates évoluées, BPC, bâtiments de soutien et d’assistance), sous-marinier (sous-marins classe Kilo) et dans celui de la défense aérienne, talon d’Achille des FAR (sites stratégiques à découvert, pas d’équivalent des systèmes S300 ou même de S400 (?). Sans compter, en termes de menace aéroterrestre, l’absence reconnue d’un système moderne de communication sécurisée relatif au commandement et à l’échange de données entre les unités opérationnelles. Sur la balance stratégique, cette liste de handicaps militaires marocains n’est pas exhaustive. Le sujet n’est donc pas l’examen détaillé et expert des avantages et des désavantages, mais l’idée même que malgré les retards technologiques, quantitatifs et qualitatifs des FAR par rapport à l’évolution de la machine de défense algérienne, le système de guerre marocain est à la fois défensif et offensif. Sachant qu’il s’inscrit dans la double logique du rapport de force et du rapport de puissance, c’est-à-dire la capacité opérationnelle et le pouvoir de tirer le plus grand bénéfice de la puissance de feu possédée et de la force de dissuasion accumulée.
Avec cet ennemi algérien, utile et indispensable, qui déterminerait l’équation marocaine de recherche des équilibres stratégiques dans la région et de la pose des fondements de son ambition de puissance régionale à la recherche d’une profondeur stratégique, on est en fait dans cette « anormalité » des relations entre le Maroc et l’Algérie. Ce vocable caractéristique des rapports bilatéraux, on le doit à M. Ramtane Lamamra, alors ministre des Affaires étrangères durant le 4e mandat du Président Abdelaziz Bouteflika. À cette époque, notre vieux loup des mers de la diplomatie des temps de crise avait dit que « les relations avec le Maroc sont anormales (…), même si les relations entre les deux peuples sont exemplaires ». Au cœur de cette «anormalité», deux pommes de discorde, le Sahara Occidental et la frontière terrestre hermétiquement fermée.
S’agissant du Sahara Occidental, n’en déplaise toujours au Makhzen, la position de l’Algérie est en parfaite harmonie avec la légitimité internationale. En témoigne, entre autres résolutions, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui rappelle que le Sahara Occidental ne fait pas partie du Maroc, confirmant ainsi la position de l’ONU, celle de l’Union africaine et l’attitude de principe de l’Algérie. À ce sujet, les autorités algériennes successives ont souvent invité le Maroc à dissocier les problèmes bilatéraux de la question du Sahara Occidental qui est de la responsabilité de l’ONU. Le défi lancé aux autorités chérifiennes consiste donc à découpler la question du Sahara Occidental du dossier du contentieux bilatéral. Exactement comme ont pu le faire un certain temps le Président Chadli Benjedid et le roi Hassan II qui ont su nouer le dialogue entre les deux pays entre 1988 et 1991.
Une frontière terrestre close et militarisée
Restent alors les 1 559 km de frontière qui constituent la plus longue frontière terrestre fermée au monde. Il ne s’agit certes pas d’une situation de forte intensité conflictuelle, comme entre les deux Corées par exemple. Mais cette frontière a fini par être érigée en véritable barrière, tout en revêtant une dimension de plus en plus militarisée. Avec des enjeux politiques, économiques, territoriaux ou migratoires. Et un immense paradoxe : le fait que les ressortissants des deux États peuvent circuler par d’autres moyens entre les deux pays alors que, localement, la séparation terrestre se renforce progressivement depuis la fermeture de la frontière en 1994, à l’initiative première du Maroc. Quoique bien close, cette ligne de démarcation n’est pas si étanche que ça ! Elle reste néanmoins ouverte aux échanges transfrontaliers irréguliers. La limitation de circulation et les événements politiques entre les deux pays n’ont pas abouti en effet à l’assèchement économique total des échanges de part et d’autre, favorisés il est vrai par une certaine forme de mobilité pendulaire. L’axe est également emprunté par des migrants issus de l’Afrique subsaharienne.
Pour sa part, le Maroc pratique ce que les spécialistes appellent une «teichopolitique», c’est-à-dire une politique de cloisonnement de l’espace et d’édification de barrières diverses. Raisons officielles invoquées : la lutte contre l’immigration clandestine, la contrebande et la protection face au terrorisme. Arguments injustifiés, estiment les Algériens qui répondent par le creusement de tranchées à la construction de barrières murales par le Maroc. Les conséquences géopolitiques et économiques de la fermeture de la frontière sont assez évidentes pour être rappelées ici même. Mais alors quel avenir pour cette frontière fermée ? De manière générale, son ouverture était plus un souhait ardent marocain qu’algérien. Le gouvernement alaouite déclare vouloir ouvrir la frontière, tout en construisant des murs le long de cette ligne de démarcation et en prétendant, de manière spécieuse, se heurter au refus des autorités algériennes. Ces dernières sont pourtant catégoriques : elles n’ouvriront pas la frontière tant que les points en litige ne seront pas éclaircis à la faveur d’un dialogue serein et déconnecté du problème du Sahara Occidental.
Une évidence rappelée par Ramtane Lamamra, comme on l’a déjà vu, par la pertinente formule des relations étatiques anormales et des rapports exemplaires entre les deux peuples.
Le Soir d’Algérie, 19/07/2021
Etiquettes : Algérie, Maroc, Kabylie, Sahara Occidental, Omar Hilale,