Depuis décembre dernier, le mois au cours duquel il a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël, dans la foulée des trois normalisations arabes avec ce dernier, le Maroc a beaucoup fait parler de lui, mais à aucun moment de façon à le grandir aux yeux du monde. Le premier dérapage de la série, c’est en mars dernier qu’il l’a commis, lorsque son gouvernement a pris l’étrange décision de couper tout commerce avec une ambassade implantée sur son sol, celle de l’Allemagne, coupable à ses yeux d’avoir rappelé son attachement au droit international relativement à la question du Sahara occidental.
Faute de pouvoir rompre ses relations diplomatiques avec un pays qui compte sur la scène internationale, il met en quarantaine son ambassade, un morceau de lui sur lequel il peut en effet exercer des représailles. Il n’allait pas se contenter de cette première réaction contre ce qu’il a appelé l’«activisme antagonique» de l’Allemagne, à la suite de la reconnaissance de la «marocanité» du Sahara occidental par le président sortant américain Donald Trump, puisqu’il s’est résolu à rappeler son ambassadrice à Berlin pour consultations.
De son point de vue, ce qui aurait été convenable de la part de l’Allemagne, c’était de s’aligner sur l’initiative américaine, ou à tout le moins de ne pas partir en campagne contre elle, en aucune façon de rappeler que sa propre position sur le sujet restait quant à elle conforme au droit international.
Après l’Allemagne vient le tour de l’Espagne d’être prise à partie, pour avoir accepté que le président sahraoui, Brahim Ghali, vienne se faire soigner chez elle des suites de sa contamination par le Covid-19. A la différence de l’Allemagne qui n’a que son ambassade au Maroc, peu de chose donc pour exercer sur elle un chantage fructueux, l’Espagne y a Ceuta, en plus de Melilla, toutes deux à portée de représailles bien plus douloureuses. Le Maroc a vite fait de submerger la première de milliers de migrants, à la fois pour la désemparer, se rire de ses tentatives pataudes de repousser les vagues humaines déferlant sur elle, et pour l’Espagne forcer soit à chasser le patient sahraoui, soit à le lui livrer. Il n’a obtenu ni l’un ni l’autre, mais une méfiance accrue de l’Espagne, outre une condamnation de son chantage à l’émigration par l’Union européenne. C’est au mois de mai que tout cela s’est produit.
Le meilleur est pour la suite, pour aujourd’hui justement, avec l’éclatement d’une affaire d’espionnage de portée mondiale, dans laquelle il tient la vedette aux côtés d’Israël. Lui-même, contrairement aux autres Etats mis en cause, ne s’est pas contenté de se servir du logiciel espion israélien Pegasus à des fins de politique interne, mais pour surveiller à leur insu des personnalités françaises, à côté de journalistes connus, dont Edwy Plenel.
Parmi les chefs d’Etat et chefs de gouvernement figurant dans la longue liste des personnes ciblées, il y a le président français, dont l’un des portables a pu être infecté par Pegasus, auquel cas c’est le Maroc qui serait responsable. Une expertise est en cours pour tirer cela au clair. Si elle confirme l’implication du Maroc, les relations avec la France, son meilleur soutien dans le conflit du Sahara occidental, risquent de beaucoup changer. Or ce n’est pas là les seules récentes dérives marocaines.
Il y a aussi celle qui nous concerne nous Algériens directement, qui a vu l’ambassadeur marocain revendiquer auprès des membres de l’Organisation des pays non-alignés l’indépendance de la Kabylie, c’est-à-dire son soutien entier aux thèses séparatistes du Mak. Il est impossible de faire plus pour achever de détériorer les relations avec l’Algérie.
Des dizaines de milliers de téléphones mis sur écoute : Le Maroc impliqué dans un grave scandale d’espionnage
Une quinzaine de médias internationaux ont révélé l’un des plus grands scandales d’espionnage de la décennie, dans lequel est impliqué le Maroc qui a mis sous surveillance des journalistes marocains, une trentaine de professionnels de médias étrangers, ainsi que des responsables politiques de différents pays. En effet, le Maroc s’est empêtré dans une nouvelle affaire d’espionnage à l’aide d’un logiciel israélien nommé «Pegasus», prouvant ainsi des informations récurrentes sur une collaboration avec Israël dans le domaine de l’espionnage remontant à soixante ans.
Par Meriem Benchaouia
Sur les 50 000 numéros pistés, le Maroc, à lui seul, a pu accéder au contenu de dix mille téléphones, dont plus de 6 000 appareils de communication appartenant à des Algériens, entre «responsables politiques, militaires, hauts fonctionnaires, diplomates étrangers en poste ou militants politiques», selon le quotidien «Le Monde», membre du Consortium de médias à l’origine de l’enquête. Et dans cette opération de surveillance, «le Maroc ne s’est pas limité au (seul) territoire algérien». Selon la même source, «les numéros présumés de citoyens algériens, diplomates pour la plupart, ont été visés un peu partout dans le monde». Depuis la révélation par Amnesty International, en 2020, de l’infection du téléphone du journaliste marocain d’investigation Omar Radi par le même logiciel espion, les journalistes marocains indépendants se doutaient bien qu’ils pouvaient être ciblés, eux aussi, par le programme de surveillance commercialisé par l’entreprise israélienne NSO Group, régulièrement accusé de faire le jeu de régimes autoritaires. Les listes de numéros de téléphone sélectionnés comme des cibles potentielles ont montré, selon l’enquête, que le régime marocain a utilisé Pegasus pour viser, de manière systématique, des journalistes critiques du pouvoir, et des dirigeants des grandes rédactions du pays. Le scandale qui vient d’éclater avait été évoqué par le Pr Ammar Belhimer, actuellement ministre de la Communication, dans une chronique intitulée «L’œil du Mossad», parue en date du 26 novembre 2019 sur les colonnes du quotidien «Le Soir d’Algérie». Le Pr Belhimer avait relevé, notamment, dans son écrit que «les armes de l’ère numérique développées par Israël pour opprimer les Palestiniens sont rapidement réutilisées pour des applications beaucoup plus larges contre les populations occidentales qui ont longtemps pris leurs libertés pour acquis». Les Occidentaux doivent déchanter, en effet, quand on sait qu’un «big brother» lilliputien a acquis le pouvoir de suivre le moindre de leurs gestes ou de leurs paroles.
Un agissement «inacceptable» selon l’UE
L’affaire Pegasus d’espionnage de militants, journalistes et opposants du monde entier est «complètement inacceptable» si elle est avérée, a affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «Cela doit être vérifié», mais si c’est vrai «c’est complètement inacceptable», a déclaré la responsable à des journalistes à Prague. «La liberté de la presse est une valeur centrale de l’Union européenne», a affirmé Mme Von der Leyen. De son coté, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a considéré les faits «extrêmement choquants, et, s’ils sont avérés, (qui) sont extrêmement graves». «Nous sommes extrêmement attachés à la liberté de la presse, donc c’est très grave d’avoir des manipulations, des techniques qui visent à nuire à la liberté des journalistes, leur liberté d’enquêter, d’informer», a-t-il ajouté. Selon une enquête publiée dimanche par un consortium de dix-sept médias internationaux, le logiciel Pegasus, élaboré par l’entreprise sioniste NSO Group, aurait permis d’espionner les numéros d’au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes politiques, 85 militants des droits humains ou encore 65 chefs d’entreprise. Les données analysées par les rédactions du «Projet Pegasus», dont les quotidiens français «Le Monde», le britannique «The Guardian» et l’américain «The Washington Post», ne sont pas exhaustives. Elles semblent ne couvrir qu’une dizaine de pays clients de ladite société NSO, alors que l’entreprise affirme en compter une quarantaine.
Macron parmi les cibles du Maroc
Des numéros du Président Emmanuel Macron et de membres du gouvernement français, dont l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, ont été visés en 2019 par le Maroc, selon l’organisation Forbidden Stories, un consortium de médias à l’origine des révélations sur le logiciel de surveillance Pegasus. Des numéros du Président Emmanuel Macron et de membres du gouvernement figurent sur une liste de cibles potentielles du logiciel Pegasus, utilisé par certains États pour espionner des personnalités, a déclaré, mardi 20 juillet, Laurent Richard, directeur de l’organisation Forbidden Stories, confirmant une information du «Monde». Le quotidien a révélé que ces numéros figuraient «dans la liste des numéros sélectionnés par un service de sécurité de l’État marocain, utilisateur du logiciel espion Pegasus, pour un potentiel piratage».
M. B.
Le Jour d’Algérie, 21/07/2021
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