Le projet Pegasus : pourquoi des enquêtes comme celle-ci sont au cœur de la mission du Guardian
Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian, revient sur notre récente enquête sur NSO Group, qui vend des logiciels espions utilisés par les gouvernements du monde entier, et explique pourquoi ce type de journalisme est si vital.
Katharine Viner
Lorsque le responsable des enquêtes du Guardian, Paul Lewis, m’a parlé pour la première fois d’une énorme fuite de données suggérant que des régimes autoritaires utilisaient peut-être des logiciels de piratage de smartphones pour cibler des activistes, des politiciens et des journalistes, le pire est peut-être que je n’ai pas été particulièrement surprise.
Plus nous en apprenons sur la surveillance mondiale, depuis les révélations de Snowden du Guardian en 2013, plus le monde s’est habitué à l’idée que les gouvernements, démocratiques ou non, sont vivement intéressés par l’utilisation de la technologie et des téléphones dans nos poches pour nous surveiller.
Les révélations de cette semaine, faites par le Guardian et 16 autres organisations médiatiques travaillant avec Forbidden Stories, une organisation médiatique à but non lucratif basée à Paris, illustrent la manière inquiétante dont les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les hommes politiques et d’autres personnes peuvent être ciblés à l’aide de logiciels d’espionnage, ou « spyware ».
L’outil de piratage de téléphone, Pegasus, peut recueillir des données, enregistrer des vidéos à l’aide de la caméra d’un téléphone, activer le microphone en secret, prendre des captures d’écran et des informations de localisation, le tout à l’insu de son propriétaire. Un téléphone peut être infecté sans même que son propriétaire ne clique sur un appel ou un message entrant.
NSO vend son logiciel à 40 gouvernements dans le monde (elle ne précise pas lesquels), et affirme que son objectif est de les aider à enquêter sur les terroristes et les criminels. Mais la fuite d’une liste de dizaines de milliers de numéros, dont beaucoup appartiennent à des personnes n’ayant aucun lien apparent avec la criminalité, et les analyses médico-légales effectuées sur certains de leurs téléphones, suggèrent que certains gouvernements espionnent les militants pro-démocratie, les journalistes enquêtant sur la corruption et les opposants politiques.
Les enquêtes de ce type sont lourdes sur le plan juridique et complexes sur le plan technique. Elles impliquent des dizaines de journalistes, d’experts en informatique et de juristes d’entreprise répartis sur plusieurs sites. Les personnes faisant l’objet d’une enquête sont souvent très secrètes et disposent de ressources financières et technologiques considérables. Elles ne veulent pas de l’examen minutieux auquel les journalistes courageux les soumettent. Il peut être très risqué de publier des choses que les puissants ne veulent pas voir publiées.
Et pourtant, pour le Guardian, de telles enquêtes sont au cœur de notre mission. Grâce à notre indépendance, nous sommes en mesure d’enquêter avec audace, en faisant passer la vérité avant l’agenda d’un propriétaire, d’investisseurs ou d’actionnaires. Et comme nous sommes financés par les lecteurs, nous avons pu maintenir notre journalisme ouvert à tous, de sorte que lorsque des histoires importantes comme celle-ci se présentent, tout le monde peut les lire.
Depuis les révélations de Snowden jusqu’à notre examen permanent des grandes technologies, le Guardian s’efforce depuis longtemps d’exposer la façon dont la technologie peut être détournée pour porter atteinte à la démocratie et aux droits de l’homme.
Si vous appréciez cette mission, n’hésitez pas à nous rejoindre aujourd’hui. Votre soutien permettra à nos journalistes de continuer à examiner de près les gouvernements et autres acteurs qui exploitent la technologie au mépris des droits de l’homme.
The Guardian, 23/07/2021
Etiquettes : Pegasus, espionnage, logiciels espions, NSO Group,