Dans un entretien à Sputnik, le Dr Cheikh Hamdi, expert sécuritaire mauritanien, évoque le rôle de son pays dans la lutte antiterroriste au Sahel. Il explique l’apport de la Mauritanie à la force G5 Sahel et sa coopération avec les États-Unis dans le contexte de la fin de l’opération Barkhane. Pour lui, sans développement, il n’y aura pas de paix.
Mardi 27 juillet, une source gouvernementale mauritanienne a indiqué à l’agence France-Presse (AFP) que les deux Mauritaniens enlevés samedi 17 juillet avec trois ressortissants chinois par des terroristes avaient été libérés. Ils travaillent tous pour un consortium sino-mauritanien chargé du bitumage de routes et de la construction de ponts, sur un site de travaux à quelque 55 kilomètres de la ville de Kwala, dans la région malienne de Nara, située non loin de la frontière mauritanienne.
En tant que membre de la force G5 Sahel, quelle est la situation politique, économique et sécuritaire en Mauritanie, dans le contexte des changements régionaux? Quelle est la position et le rôle de ce pays concernant la crise sécuritaire au Sahel à l’aune de la fin de l’opération militaire française Barkhane? Comment se positionne ce pays quant aux luttes d’influence des différentes puissances mondiales agissant dans la région?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le docteur Soulaimane Cheikh Hamdi, expert mauritanien en sécurité régionale et internationale, et chercheur en politiques de défense.
Un pays stable
«La Mauritanie a une superficie de plus d’un million de kilomètres carrés et une population de près de quatre millions de personnes», indique le docteur Cheikh Hamdi, soulignant que le pays «a plusieurs richesses minières, dont l’or et le fer, et dispose de côtes considérées parmi les plus riches dans le monde en ressources halieutiques».
Et d’ajouter que «la Mauritanie a un système politique démocratique depuis trois décennies qui connaît des élections libres et des passations de pouvoirs pacifiques. Ceci, en dépit de trois tentatives de coup d’État, dont la dernière en 2008, qui ont été très vite circonscrites pour laisser à nouveau la place aux élections libres au suffrage universel».
Dans le même sens, il souligne que «la stabilité politique de la Mauritanie, la clarté de son approche sécuritaire et ses succès dans la lutte contre le terrorisme lui ont conféré un rôle important dans le groupe des pays du G5 Sahel [Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad, ndlr]».
Un leader dans la formation des militaires
Outre le fait que la Mauritanie n’a pas envoyé de soldats pour participer directement aux opérations militaires de la Force G5 Sahel sous commandement de la France, notamment au nord du Mali, «ce qui a perturbé, à un certain degré, les relations franco-mauritaniennes, il n’en demeure pas moins que le pays apporte une aide précieuse en termes de formation des officiers supérieurs des écoles d’état-major et de guerre», informe l’expert.
À ce titre, il rappelle que «le collège de défense du G5 Sahel se trouve dans la capitale mauritanienne Nouakchott. Cette importante institution militaire, créée en 2013 par l’armée mauritanienne, une année avant le début de l’opération Barkhane et la création de la force G5 Sahel, joue un rôle important en termes de préparation des officiers face à la montée des organisations terroristes dans la région. Cette activité djihadiste a commencé au Sahel dans les années 1990, avec l’arrivée des combattants d’Afghanistan et le repli vers la région subsaharienne des terroristes qui ont ensanglanté l’Algérie durant la décennie noire, forcés par l’armée algérienne qui les a chassés du territoire national. En ce moment, il y a 13 organisations terroristes dans le Sahel, qui se renforcent avec l’arrivée de milliers de combattants d’Irak et de Syrie aidés par la situation instable en Libye et dans la région des trois frontières [entre le Mali, le Niger et Burkina Faso, ndlr]».
Ainsi, «partant de son expérience dans la lutte anti-terroriste depuis les années 1990, il a été décidé de mettre les moyens et les compétences de ce collège à la disposition du G5 Sahel, étant donné que tous ces pays font face au même environnement et aux mêmes menaces terroristes», ponctue-t-il, précisant qu’«en trois ans de fonctionnement actif, plus de 100 officiers y ont été formés. Le collège de défense du G5 Sahel, actuellement reconnu comme une institution transnationale, va également former des hauts gradés d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Cameroun».
Quid de la lutte d’influence des grandes puissances?
Avec le changement de cap décidé par la France concernant l’opération Barkhane et le début du retrait d’une partie de ses soldats du Mali, «une nouvelle approche stratégique était nécessaire pour combler le vide qui sera laissé par le départ de ces derniers», explique le docteur Cheikh Hamdi, soulignant que «c’est ainsi qu’est apparu le rôle américain».
«Les États-Unis ont mis au point une stratégie soigneusement étudiée pour remplacer la France au Sahel, craignant une présence russe et chinoise de plus en plus importante dans la région, notamment après les deux coups d’État au Mali», précise-t-il, soutenant qu’«à la lumière de cette nouvelle donne, l’approche américaine était claire: mettre le paquet sur la Mauritanie en faisant d’elle son premier partenaire».
En effet, selon lui, «le pays accueille la plus grande base américaine de forces spéciales, qui a englouti pas moins de 500 millions de dollars d’investissements pour sa construction, avec l’objectif d’améliorer les capacités des cinq pays du Sahel dans le cadre d’une coopération directe avec la Mauritanie, devenue tête de pont du rôle américain dans la région». Dans ce cadre, «Nouakchott a connu des visites successives du commandant adjoint du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) et de personnalités militaires de premier plan, en plus des manœuvres qui ont
lieu de temps en temps, dont la dernière s’est déroulée en 2020, sur le sol mauritanien, et qui avait été considérée comme la plus importante en Afrique».
lieu de temps en temps, dont la dernière s’est déroulée en 2020, sur le sol mauritanien, et qui avait été considérée comme la plus importante en Afrique».
La paix et la sécurité par le développement
Enfin, l’interlocuteur de Sputnik affirme que, quels que soient les résultats qui seront obtenus en termes de lutte antiterroriste, «il est évident que l’approche sécuritaire à elle seule ne peut en aucun cas venir à bout des mouvements djihadistes qui exploitent la pauvreté des populations locales pour recruter de nouveaux combattants. Sans un développement soutenu intégrant dans une même dynamique tous les pays du Sahel, il ne pourrait y avoir de stabilité et de sécurité pérennes et résilientes».
Dans ce cadre, Soulaimane Cheikh Hamdi rappelle que «les pays du Sahel et d’Afrique en général manquent cruellement d’eau potable et d’énergie, les deux piliers incontournables de toute politique de développement. Il faudrait faire du dessalement de l’eau de mer à très grande échelle afin de revitaliser tous les lacs secs dans ces régions désertiques, en particulier le lac Tchad, chose qui permettra d’endiguer d’énormes problèmes de pauvreté, de tensions et d’immigration clandestine par le développement d’une agriculture massive et d’une industrie de transformation agroalimentaire».
Par ailleurs, «il est nécessaire d’aider les pays africains avec du matériel agricole tout en envisageant une fabrication locale via un transfert de technologies, mais aussi de développer les TIC [technologies de l’information et de la communication, ndlr], l’industrie pharmaceutique, les équipements médicaux, les nanosciences et les nanotechnologies, l’industrie aéronautique et spatiale, la formation universitaire, la recherche et le développement, et la coopération culturelle, afin de diminuer la dépendance aux ex-puissances coloniales».
Pour se faire et afin d’abréger les souffrances des peuples subsahariens, «il est impératif que les États-Unis, l’Union européenne, dont en particulier la France, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, la Russie, la Chine, la Turquie et l’Inde créent des espaces d’entente, de détente et de coopération dans la région, où les intérêts de tout un chacun seront préservés à même de permettre et d’assurer un développement équitable et viable aux pays africains dans la paix et la sérénité», conclut-il.
Sputnik, 29/07/2021
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