Les vaccins au service de la géopolitique chinoise en Afrique – Partie 2/2 : Un déploiement controversé de vaccins chinois sur le continent africain
En Afrique comme ailleurs, l’analyse de la politique sanitaire et vaccinale permet d’appréhender les intérêts des bailleurs et leurs relations avec les pays récepteurs de vaccins.
La démonstration de force chinoise semble s’inscrire dans ses objectifs géopolitiques et commerciaux vis-à-vis de plusieurs pays du continent (1). Cependant, celle-ci suscite des regards sceptiques de la part des partenaires traditionnels, notamment la France et les Etats-Unis. Plusieurs voix s’élèvent pour déplorer ce qu’elles considèrent comme une nouvelle illustration d’une relation déjà asymétrique (2).
2.1 Des intérêts politiques et commerciaux certains
La Chine a mobilisé d’importants moyens pour déployer ses vaccins sur le continent africain, sans doute dans l’espoir d’améliorer son image et de bénéficier des retombées de ses actions au-delà de la pandémie du coronavirus. Elle s’affiche comme une puissance bienfaitrice, proactive dans le domaine sanitaire et sa place sur la scène internationale semble prendre de nouvelles couleurs.
Blason doré et secousses géopolitiques
Le continent africain est loin d’être le seul bénéficiaire des vaccins chinois. Malgré l’écho médiatique, la place réservée au continent reste faible comparée à celles des pays d’Asie du Sud-Est comme l’illustre le tableau ci-dessous.
Les vaccins chinois Sinopharm et Sinovac sont très utilisés en Asie du Sud-Est et présents au Moyen Orient, en Amérique latine et dans quelques pays d’Europe de l’Est.
La Chine, comme la Russie, autre pays producteur de vaccins, redore son blason au niveau international[1]. Les intérêts géopolitiques semblent de nouveau se caractériser en blocs, l’Est faisant face aux pays occidentaux et les jeux de pouvoir entre les grandes puissances internationales se voient reconfigurés.
Dans la plupart des pays où sont livrés les vaccins, la Chine cherche également à construire des partenariats économiques et commerciaux. Ses intérêts se matérialisent dans la Belt and Road Initiative ou « Nouvelle route de la soie ». Ce projet chinois majeur vise à augmenter la coopération, principalement à travers l’Eurasie. Annoncé en automne 2013, il regroupe des projets d’infrastructures et d’importants accords commerciaux. En plus de répondre à un déficit en infrastructures chez les pays partenaires, il s’agit également pour la Chine d’étendre son influence géopolitique. L’Afrique de l’Est, bénéficiaire de nombreux prêts chinois, a ainsi été parmi les premières zones bénéficiaires du vaccin.
Depuis une dizaine d’années et de manière plus ou moins virulente selon les agendas de chacun, Pékin est critiqué pour son opportunisme. Les uns lui reprochent ses tactiques concurrentielles discutables pour obtenir des marchés publics et le risque d’un piège d’insolvabilité pour les pays africains. Les autres pointent du doigt son non-respect des droits humains et son partenariat avec des régimes dictatoriaux.
Dans cette bataille avec les pays du Nord, qui se joue en grande partie sur le terrain médiatique, la Chine a pris de l’avance et exploite, comme souvent, sa position de « pays du Sud » et le fait de ne pas détenir de passif colonial en Afrique, pour étendre son influence.
Un nouveau rôle international ?
Redistribution des cartes ? Pas vraiment, la politique vaccinale de la Chine s’inscrit dans une stratégie politique de développement adoptée de longue date : « A friend in need is a friend indeed »[2] [C’est dans le besoin que l’on connaît ses amis]. Les besoins des pays africains appellent une réponse: la Chine la propose.
L’évolution du rôle de Pékin s’explique par le fait qu’outre le désir d’accentuer son assise sur les relations commerciales avec l’Afrique, la Chine se veut plus qu’un partenaire économique. Après avoir développé des outils de coopération variés (FOCAC[3], Institut Confucius…), la diplomatie vaccinale chinoise vient renforcer l’architecture de ces échanges. Son rôle ne se limite pas à la simple livraison de vaccins. Elle s’emploie désormais à attirer l’attention de la communauté internationale sur la question sanitaire en Afrique. En mai 2021, la Chine se disait notamment favorable à la proposition de l’Organisation mondiale du commerce sur une levée des brevets pour les vaccins anti-Covid.
La politique chinoise portera-t-elle ses fruits ? A l’échelle internationale, Pékin fait face à un scepticisme généralisé et il est difficile d’avoir des sondages clairs quant à la perception des actions chinoises sur le continent africain. Malgré la méfiance renforcée par le souvenir encore présent de scandales autour d’essais cliniques illégaux sur des populations africaines[4], les vaccins chinois sont perçus par beaucoup comme une opportunité de contenir au mieux la pandémie. La majorité des gouvernements ont accepté les échanges avec la Chine et une partie de la population africaine voit ce déploiement de manière favorable.
Cependant, d’autres se montrent réticents à l’idée même de vaccin, source abondante de fake news sur le continent comme ailleurs. La couverture internationale de la question est éloquente (prédation, danger etc…) et les critiques fusent. Si ces dernières proviennent sans doute en partie d’un sentiment de concurrence des puissances occidentales, privées de plusieurs opportunités commerciales, le climat de méfiance autour de la puissance chinoise n’est pas tout à fait sans fondement. Pour certains analystes [5], cette politique vaccinale ne ferait qu’illustrer, à nouveau, la relation asymétrique de la Chine avec le continent africain.
2.2 La nouvelle illustration d’une relation asymétrique ?
Offres opaques, conditions parfois floues aux conséquences majeures sur le long terme, comme dans bien d’autres secteurs, la relation entre la Chine et les pays africains peut poser question. Le régime réel sous lequel les vaccins arrivent sur le continent africain (achat ou « don ») n’est pas toujours clairement déterminé. Dans ce contexte délicat et avec l’aggravation de la pandémie sur le continent africain, la question de la qualité des vaccins prend de l’ampleur.
L’inconnue du statut des vaccins chinois sur le continent africain
Quel statut pour les vaccins chinois qui arrivent sur le continent africain ? Le ministre de la Santé sénégalais évoquait sur Twitter un « don » de la part des chinois avant de se rétracter[6]. Lors d’une conférence de presse en février 2021, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères de la Chine a confirmé que son pays fournissait une aide vaccinale gratuite à 53 pays « qui en ont besoin », citant à ce titre la Guinée équatoriale et le Zimbabwe. Il a ajouté que la Chine faisait des exportations vers 27 pays qui avaient passé commande, notamment le Maroc et le Sénégal[7]. Les vaccins chinois sur le continent africain seraient pour la grande majorité des dons dont l’absence apparente de conditionnalité inquiète les acteurs internationaux.
Face à une telle “générosité”, le narratif dominant semble s’interroger sur la marge de manœuvre dont disposent réellement les pays africains en réponse aux éventuelles requêtes chinoises. Les questionnements autour de cette relation qualifiée d’asymétrique s’illustrent dans d’autres secteurs, notamment le domaine extractif, souvent pointé du doigt. En République Démocratique du Congo par exemple, certains prêts chinois sont gagés sur des ressources locales. Pour les projets de financement d’infrastructures, des matériaux et main d’œuvres chinois étaient souvent utilisés (moins maintenant), limitant ainsi les retombées économiques pour le pays d’accueil. Ces éléments renforcent l’idée d’une relation inégale et alimentent la tension autour des relations sino-africaines.
Malgré tout, la Chine n’a, à ce jour, pas clairement établi de conditionnalité à l’aide vaccinale. Que doivent les pays africains bénéficiaires des dons ou livraisons de vaccins chinois ? Seront-ils en mesure de payer ? Cette interrogation prend toute son ampleur face au nombre croissant de pays africains qui en bénéficient dans le domaine vaccinal.
Outre la dimension géopolitique ou commerciale, c’est désormais la question sanitaire qui préoccupe les analystes qui s’interrogent sur l’efficacité des vaccins chinois.
Les interrogations autour de la qualité des vaccins chinois
Il n’est pas aisé de se prononcer sur le sujet de la qualité des vaccins car selon l’OMS, il n’est pas possible de comparer de manière pertinente l’efficacité des vaccins parce que les différentes étapes de test sont menées de manières diverses et que chaque vaccin est efficace pour différents stades du virus[8]. Le vaccin chinois Sinovac a par exemple eu des résultats décevants au Brésil[9] (50,4% d’efficacité) et les vaccins AstraZeneca ne protègent pas efficacement contre le variant sud-africain. Entre ces deux vaccins mal-aimés du public, la faveur semble tout de même être réservée à l’AstraZeneca, considéré comme plus efficace[10]. Les vaccins de Sinopharm et Sinovac font l’objet de critiques notamment en provenance des Etats-Unis et d’Hong-Kong[11], reprochant notamment à ces laboratoires un manque de transparence autour des résultats et de ne pas avoir mené d’essais de phase III avant la mise en marché[12].
Sur le continent africain, les réticences au sujet du vaccin chinois semblent cependant portées par la population plus que par les gouvernements. Parmi ces derniers, rares sont ceux qui se sont exprimés publiquement contre la vaccination en général. Exception faite du feu président Tanzanien John Magufuli qui n’avait eu de cesse de minimiser la gravité de l’épidémie et avait déclaré que les vaccins n’étaient pas bénéfiques[13].
Au sein des gouvernements qui échangent avec la Chine, rien ne semble indiquer qu’il y ait des partenariats privilégiés avec les compagnies chinoises. Les éventuelles critiques sont dirigées contre les vaccins chinois sans distinction.
Au Nigeria, pas de prise de position officielle sur la qualité du vaccin chinois mais les négociations ont traîné en longueur. En janvier 2021, le ministre Nigérian des affaires étrangères évoquait des négociations avec la Chine pour un approvisionnement en vaccins. Finalement, le Nigeria a reçu 4 millions de doses d’AstraZeneca via l’initiative COVAX, puis le pays s’est discrètement tourné vers le vaccin Johnson & Johnson[14]. Contrairement à ses voisins de l’Ouest, comme le Sénégal et la Guinée équatoriale, les transactions avec la Chine se sont fait attendre. D’après un membre de la Chambre des Représentants nigérianes, le problème majeur est lié à l’efficacité du vaccin et « une fois que les vaccins chinois auront passé les tests et sont approuvés par l’OMS, il ne devrait pas avoir d’oppositions. » Dans ce pays de près de 220 millions d’habitants où à peine la moitié de la population semble prête à se faire vacciner, la validation récente de l’OMS favorisera peut-être le déploiement des vaccins chinois.
La question de la qualité des vaccins est donc cruciale et cette dernière a récemment été au cœur des débats dans les Seychelles.
Outre la question de l’efficacité des vaccins qui se pose d’ailleurs pour l’ensemble des vaccins actuellement sur le marché faute d’études à long terme, se présente également le sujet de la contrefaçon, problème courant dans le secteur sanitaire en Afrique. Le gouvernement chinois a donc mis en place des politiques de renforcement des contrôles pour éviter la production illégale de faux vaccins pouvant alimenter le continent africain et le monde. Face à la pénurie des vaccins, le marché des faux est florissant, comme l’illustre l’exemple récent en Ouganda où fin février, près de 800 Ougandais se voyaient injecter de faux vaccins par des médecins et infirmiers sans scrupules[19].
Conclusion
En juin 2021, l’Afrique avait bénéficié d’un pourcent des 2.1 milliards de doses de vaccin administrées dans le monde[20]. Seuls 9.4 millions d’Africains sont complètement vaccinés sur les 1.3 milliards d’habitants du continent. Malgré cela, la question vaccinale reste un problème à nuancer, compte tenu de la différence d’échelle et le taux de mesure limité de contaminations et de décès liés au Covid sur le continent africain.
Souvent accusée de relier à ses politiques d’ »aide » ou de « développement » des intérêts commerciaux et économiques, la Chine n’est pas la seule à fonctionner ainsi. Bien que les partenaires occidentaux présentent souvent le développement comme une question technique, les travaux en études de développement illustrent qu’il y a toujours des intérêts et des jeux de pouvoir entre les acteurs. L’aide d’où qu’elle provienne est profondément politique.
La pandémie permet à la Chine de montrer ses meilleurs aspects et notamment la robustesse de sa gestion de la crise sanitaire. La santé va-t-elle devenir la figure de proue du soft power chinois ?
L’agenda géopolitique ne doit pas occulter l’importance de régler la crise sanitaire et d’assurer un accès rapide et abordable au vaccin à toutes les populations africaines. Le débat autour des vaccins chinois en Afrique peut en effet détourner l’attention de la question cruciale qu’est l’investissement dans le secteur pharmaceutique africain afin de développer la production de vaccins sur le continent. [21] Tout en soulignant la capacité d’organisation de nombreux pays africains, la crise liée au coronavirus a mis l’accent sur la nécessité de réformer le système sanitaire de plusieurs d’entre eux. Il est crucial de prioriser le renforcement des systèmes de santé sur le continent ce qui n’est pas toujours pris en compte dans les politiques de développement des partenaires occidentaux traditionnels malgré les mentions fréquentes dans les discours politiques[22].
L’état actuel des recherches scientifiques laisse présager la nécessité d’un rappel, peut-être annuel du vaccin. Les partenariats sanitaires qui se font actuellement doivent s’envisager sur le long terme. Dans cette perspective, si l’appui international reste crucial, le développement des initiatives locales faciliterait l’accès au vaccin pour les populations africaines. La levée des brevets à l’OMC encouragerait cela et compte d’ailleurs parmi les outils de lutte contre le renforcement de politiques vaccinales de prédation en Afrique.
Comme l’Egypte qui a produit 300 000 doses du vaccin chinois Sinovac le 29 juin 2021[23], plusieurs pays africains (Sénégal, Afrique du Sud etc.) disposent d’infrastructures leur permettant de fabriquer le vaccin sur leur sol. Ces Etats nécessiteraient de plus grands investissements qui gagneraient à être privilégiés à la politique de don. Le Maroc est à ce jour un des seuls pays africains à avoir bénéficié d’investissements de ce genre, lui permettant de fabriquer 5 millions de doses de vaccin Sinopharm par mois. Ces investissements pourront-ils continuer à fonctionner indépendamment de la production du vaccin chinois pour faire face à d’éventuelles autres épidémies ?
La Chine a démontré qu’elle était un partenaire commercial de premier plan mais s’est moins illustrée en tant qu’investisseur. Elle a désormais l’opportunité de favoriser l’émergence de moyens de production locaux. Reste à voir si elle va le faire.
Au-delà de la question de l’approvisionnement, reste également celle du développement de variants au virus SARS CoV-2 (notamment le variant Delta répandu dans au moins 15 pays en juillet 2021) et à quel point les vaccins choisis par les pays africains pourront y faire face.
Rédaction : Omowumi Alao
Relecture : Sina Schlimmer, Alain Antil et Elisa Domingues dos Santos.
[1] https://www.la-croix.com/Monde/Covid-19-Chine-deploie-diplomatie-mondiale-vaccins-2021-01-20-1201135917
[2]http://www.chinafrica.cn/Special_Reports/China_Africa_Cooperation_in_Fighting_COVID_19/202002/t20200223_800194223.html
[3] Forum on China Africa-Cooperation
[4] https://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/CHIPPAUX/12513
[5] https://www.wathi.org/europeens-et-africains-ne-souhaitent-plus-etre-dans-un-rapport-asymetrique-afrique-la-tribune/
[6] https://www.lepoint.fr/afrique/vaccin-anti-covid-19-la-double-strategie-du-senegal-15-01-2021-2409805_3826.php#
[7] http://www.amb-chine.fr/fra/fyrth/t1856648.htm
[8] https://thediplomat.com/2021/03/5-reasons-to-worry-about-the-chinese-vaccine-diplomacy-narrative/
[9] https://www.bbc.com/news/world-asia-china-55212787
[10] https://www.healthline.com/health/astrazeneca-vs-sinovac
[11] https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210623-covid-19-des-rebonds-de-contaminations-font-douter-de-l-efficacit%C3%A9-des-vaccins-chinois
[12] https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210623-covid-19-des-rebonds-de-contaminations-font-douter-de-l-efficacit%C3%A9-des-vaccins-chinois
[13] https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/coronavirus-en-tanzanie-non-au-vaccin-oui-a-la-medecine-traditionnelle-clament-les-autorites_4283699.html
[14] https://healthpolicy-watch.news/nigeria-ditches-astrazeneca/
[15] https://ourworldindata.org/covid-vaccinations?country=OWID_WRL
[16] https://www.franceinter.fr/monde/les-seychelles-territoire-vaccine-ou-l-epidemie-de-covid-reprend
[17] https://www.franceinter.fr/monde/les-seychelles-territoire-vaccine-ou-l-epidemie-de-covid-reprend
[18] https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210623-covid-19-des-rebonds-de-contaminations-font-douter-de-l-efficacit%C3%A9-des-vaccins-chinois
[19] https://www.lci.fr/international/covid-19-des-centaines-d-ougandais-ont-recu-des-injections-de-faux-vaccins-2192150.html
[20] https://www.lefigaro.fr/international/ou-en-est-la-vaccination-en-afrique-20210611
[21] https://thediplomat.com/2021/03/5-reasons-to-worry-about-the-chinese-vaccine-diplomacy-narrative/
[22] https://www.vie-publique.fr/discours/277794-emmanuel-macron-14122020-ocde
[23] https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/production-de-vaccins-contre-le-covid-19-en-afrique-l-egypte-ouvre-la-voie-avec-le-serum-chinois-sinovac_4685555.html
Afrique décryptages, 29/07/2021
Etiquettes : Afrique, Chine, vaccination, coronavirus, covid 19, géopolitique, #Afrique #Chine #Covid19