Maroc, Abdellatif El Hammouchi, espionnage, Pegasus, #Maroc #Pegasus
Abdellatif El Hammouchi : Rabat, les oreilles
Le Patron des services de sécurité marocains écoute beaucoup, et, avec l’affaire Pegasus, il entend ses oreilles siffler.
Ah, les furtives amours tarifées, les lâchetés, les mensonges, les misérables petits tas de secrets des voisins, beaucoup s’en délectent, certains y consacrent leur vie. Abdellatif El Hammouchi, par exemple, le patron de la sécurité marocaine, véritable caïd du renseignement. Des dossiers sur tout le monde, de la star du foot à un intime du roi, du parlementaire zélé au moindre petit gars trop bavard des faubourgs de Rabat ?
Oui, bien sûr, c’est la base du boulot, l’âme humaine est faible, le peuple inconstant, c’est si facile de lui montrer la tête, une révolte est vite arrivée, autant éviter. Hammouchi est un humaniste à sa façon.
Une grande carcasse, un visage tout en longueur, tantôt sinistre, tantôt d’une grande jovialité, une presse qui l’encense sans craindre le ridicule parce qu’elle n’a pas d’autre choix, c’est fou ce qu’il fait peur. Il ne dort presque pas, n’a pas de loisirs : espionner, écouter, piéger, chasser la dissidence, la flairer avant même qu’elle ne naisse, c’est un métier à plein temps.
« Jamais dans l’histoire du Maroc un flic n’a disposé d’un tel pouvoir. Hammouchi a une double casquette, sécurité, intérieur et services secrets. Personne du temps de Hassan II n’était aussi puissant. Il est dans les murs depuis 30 ans, discret, efficace, apprécié, incontournable », raconte un diplomate français. A-t-il fait écouter Emmanuel Macron, Edouard Philip, Jean-Yves Le Drian et son propre patron, Mohammed VI, via le fameux logiciel espion Pegasus ? Aucun bon connaisseur du Maroc l’écarte.
Surveillance tous azimuts
« Tout le monde écoute le monde. Les pudeurs de chaisière des officiels français qui s’en vont répétant que, « si les faits sont avérés, tout cela est d’une extrême gravité » font sourire, dans le monde du renseignement. Les Etats-Unis ont écouté l’Elysée pendant des années depuis le dernier étage de l’ambassade, ils ont fait la même chose avec les allemands, et même avec leurs grands amis britanniques. Ce qui gêne toujours les Etats, c’est quand ces pratiques arrivent sur la place publique, ce qui oblige à des réactions diplomatiques alambiquées », s’amuse un ancien de la DGSE.
La probabilité que Hammouchi ait fait écouter « M6 » n’émeut pas grand monde. « Si Hammouchi a donné cet ordre, c’est dans le but de protéger la monarchie. Mohammed VI est devenue trop proche de trois boxeurs allemands d’origine marocaine, qui affichent leur proximité avec lui sur les réseaux sociaux, leur opulence, leur arrogance. Cela choque profondément les élites du pays, et Hammouchi est inquiet de cette dérive », raconte le journaliste Ignacio cembrero, grand spécialiste du Maroc. « Il n’a pas fait ses études au Collège Royal, comme la quasi totalité des proches du roi, il est donc une sorte d’intrus et profite évidemment du fait que, dans le fonds, M6 n’est pas intéressé par le pouvoir, mais par la fête et la bamboche », rappelle Jean-Pierre Tuquoi, auteur d’un livre très sévère sur Mohammed VI, « Le Dernier Roi. Crépuscule d’une dynastie » (Grasset).
Hammouchi a toujours pu dormir ses deux oreilles. Accusé par plusieurs Marocains et par certaines ONG de tortures, il a été défendu bec et ongles par le roi. En 2014, une juge d’instruction française tente de le convoquer à la suite d’une plainte déposée contre lui. S’ensuit une brouille d’une année entre la France et le Maroc, qui se termine par un amendement ajouté à la convention franco-marocaine d’entraide pénale, garantissant à Rabat la plus grande tranquillité en cas de plainte sur le sol français. Dans la foulée, l’offense se voir promette une breloque : officier de la Légion d’honneur. Bernard Cazenave, à qui échoit en 2015 le douteux privilège de la lui remettre, n’apprécie guère. « Il ne voyait pas pourquoi il devait s’y coller, lui », s’amuse l’un de ses anciens collaborateurs. Les socialistes espagnols l’ont également décoré de la de l’ordre de la Guardia Civil.
Un allié indispensable
Pourquoi tant de prévenance ? L’homme est une source unique de renseignement sur le monde du djihadisme. « Juste après les attentats de Casablanca, en 2003, Hammouchi a eu l’intuition qu’il s’agissait là d’un sujet central. Il s’est investi à fond dans l’étude des mouvances radicales. Sa connaissance du sujet en fait un interlocuteur très soutenu en France, en Espagne, mais aussi aux Etats-Unis, assure Vincent Hugueux, auteur de « Tyrans d’Afrique » (Perrin).
La France a trop besoin de ses lumières et de son soutien pour l’opération Barkhane, pour faire contrepoids aux Algériens ; qui jouent double jeu dans le nord du Mali. Les services de Hammouchi surveillent en plus les imams marocains qui forment les imams français, et c’est un allié contre les Turcs, qui obsèdent Macron », précise Antoine Glaser, fondateur de « La Lettre du continent » et spécialiste de la Françafrique.
« S’il faut sacrifier quelqu’un, ce seront des lampistes qui paieront », rigole un diplomate. Ça tombe bien, leurs dossiers sont déjà prêts.
Anne-Sophie Mercier
Le Canard enchaîné