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Par Nadji Azouz
L’assassinat prémédité et ostensiblement filmé du jeune de Miliana Djamel Bensmail, en public et devant des policiers incapables de le soustraire à la vindicte d’une foule hystérique, n’a pas encore révélé ses secrets. L’enquête de Justice, annoncée par le Procureur général de Tizi Ouzou, devrait faire toute la lumière sur cet acte d’une barbarie inouïe.
Pour ce qui le concerne, l’Etat, incarné en la circonstance par l’Exécutif, devrait situer, avec précision et à tous les niveaux, les défaillances, les négligences et les fautes éventuelles des structures administratives et sécuritaires ayant favorisé la perpétration de ce crime collectif dans l’espace public.
L’enquête devrait déterminer pourquoi ce jeune bénévole de la solidarité nationale a été arrêté par la police locale, pourquoi celle-ci a laissé les lyncheurs le prendre des mains des policiers en service, pourquoi ces derniers ont laissé agir les assassins et pourquoi ils n’ont pas fait appel à des renforts pour gérer préalablement la foule en furie ? En attendant les réponses probantes à ces questions et les résultats de l’enquête, on se contentera donc de tirer les premiers enseignements du crime dû au racisme et à la folie collective à Larba Nath Irathen.
De cet acte d’une cruauté indicible, on retiendra, par conséquent et pour l’instant, deux choses essentielles. La défaillance frappante des représentants locaux de l’Etat et, surtout, l’idée que ce dernier ne suscite plus, à tous ses échelons, le respect et la crainte légitime chez beaucoup de gens en Kabylie. A telle enseigne que des individus bravent allégrement son autorité incarnée en la circonstance par des policiers, et au point de leur arracher, sans coup férir, un coupable présumé. Et de l’assassiner ensuite dans des conditions spectaculaires et effroyables, en direct, et avec une large diffusion sur les réseaux sociaux !
La présence significative de l’Etat, ce n’est pas, après coup, le déplacement du Premier ministre et de certains membres de son gouvernement à Tizi Ouzou pour s’enquérir des conséquences des incendies qui endeuillent la Kabylie à une vaste échelle. Cette présence est certes indispensable même si elle est tardive et ne donne pas lieu à la communication institutionnelle ad hoc. Une communication à caractère pédagogique, marquée par l’intelligence politique et la compassion nécessaire en une telle circonstance dramatique. Une communication de terrain qui devait être appuyée, en amont, par une communication de crise. Communication qui rassure et qui montre en même temps un gouvernement en action.
Bref, un Exécutif qui assure et rassure, agit et dit ce qu’il faut, en temps réel. La forte présence sur le terrain de l’ANP, qui assure pour sa part toute sa part citoyenne et son rôle d’acteur constitutionnel et civique au service du Bien commun, a, paradoxalement, mis en exergue la faiblesse de l’Exécutif qui n’a pas été en mesure de déployer ses plans ORSEC, encore moins de jouer son rôle en matière de gestion préventive des catastrophes, naturelles ou pas.
Les feux apocalyptiques en Kabylie ont été donc l’occasion de révéler, au grand jour, une ANP fidèle à elle-même, au service du peuple, de l’Etat et du pays. Engagement puissant des moyens humains et matériels et sens du sacrifice chèrement payé, et notamment une communication de tous les instants qui informe et éclaire l’opinion publique au moment opportun et à postériori. Autant de vertus qu’on aurait aimé voir les pouvoirs publics civils en faire preuve.
L’épreuve des feux et l’expression criminelle de la folie collective dans cette ville de la Haute Kabylie ont également mis en évidence un peuple absolument admirable dans l’expression collective et individuelle de la solidarité, la cohésion sociale et l’unité nationale. Un comportement patriotique et civique matérialisé par les centaines d’actions de solidarité active, en nature et en argent, en provenance des quatre points cardinaux du plus grand pays d’Afrique et du Bassin méditerranéen. Une attitude des plus réjouissantes, exprimée, à titre symbolique, d’abord par le père de la victime qui ne crie pas vengeance et clame toute sa considération et son amour d’Algérien pour ses frères et sœurs en Kabylie profondément éplorée. Ensuite, par certains de nos compatriotes de Larba Nath Irathen partis présenter les excuses et les condoléances de toute la ville pour l’horreur commise par des psychopathes parmi eux.
Ce vaste élan de solidarité spontanée, a eu pour résultat collatéral de souligner par ailleurs l’absence de l’Exécutif qui s’est montré impuissant à venir au secours des innombrables victimes dans une région dévastée, à grande échelle et sur tous les plans.
Aussi inédit qu’il soit par son ampleur, il n’est toutefois pas étonnant de la part d’un peuple qui sait se montrer fraternel, généreux et surtout lucide face aux menées de déstabilisation et de division qui visent à saper les fondements du pays, en ciblant l’Etat et la société. Et il relève d’une tradition immémoriale qui s’appelle, dans notre langue ancestrale, « afud ». En tamazight, afud, pluriel ifuden, signifie, en son sens premier, un bout de branche ou un moignon de branche coupée d’un arbre vivrier. Par flexion et variation, on a aussi iffaden, les jambes. Et par extension de sens, afud suggère aussi la vigueur, la santé, la force physique ou morale.
C’est tout cela que cette immense vague de solidarité du pays avec sa région kabyle suggère. Comme elle pourrait signifier, en l’absence de l’Exécutif, que le salut citoyen ne viendrait pour une large part que de la société solidaire. Précisément du citoyen conscient et responsable dans une société en mouvement et en empathie.
Le Jeune Indépendant, 12/08/2021