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En dépit de la chasse que leur mènent les garde-côtes algériens et européens, le nombre de harragas algériens ne cesse d’augmenter. Le traitement sécuritaire semble inefficace pour endiguer le phénomène qu’on ne peut expliquer uniquement par des raisons économiques.
Ils sont des milliers à tenter la traversée périlleuse pour espérer rejoindre, clandestinement, les rivages de l’Europe. Sur des embarcations de fortune ou des bateaux Go Fast, à la merci de passeurs sans vergogne et des conditions imprévisibles de l’ouest de la Méditerranée, ils mettent leur vie en jeu pour réaliser un rêve qu’ils partagent, sans exagération, avec la majorité des jeunes maghrébins.
Le phénomène prend de plus en plus d’ampleur ces derniers temps. Avant, il concernait quelques desperados et têtes brûlées, tous jeunes de sexe masculin. Aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver des vieux et des vieilles parmi les candidats. Des familles entières jouent parfois à cette roulette, des mères enceintes accompagnées d’enfants en bas âge tentent aussi la folie.
Rien que ce weekend, une barque avec à son bord 15 harragas Algériens a accosté sur une des plages d’Almeria en Espagne. Presque au même moment, trois autres embarcations transportant 32 Algériens dont une femme enceinte sont arrivées à Alicante. Les garde-côtes espagnols ont, par ailleurs, sauvé de la mort 17 personnes en pleine mer, dont des femmes et quatre bébés. Combien sont-ils ceux qui ont réussi le passage sans être interceptés par les services de sécurité algériens ou ceux des sud de l’Europe ?
Le Harga est une tendance qui va croissant car la migration est presque inscrite dans les gènes de l’humain. Lorsque celui-ci vit mal, a faim ou soif sur sa propre terre, il se met en route pour se mettre à l’abri sous des cieux plus cléments.
Les jeunes algériens ne souffrent pas de faim, même si le chômage, l’oisiveté, la dégradation de l’image et l’estime de soi rendent leur quotidien amer. Ils ressentent alors un fort besoin de se surpasser, de mener l’aventure qui peut leur être fatale pour tenter de reprendre la main, croient-ils, sur leur destin. Ce qui les attend sur la terre d’accueil est souvent le contraire de ce qu’ils espéraient mais briser ses chaînes pour réaliser le rêve de partir est en soi une forte motivation de défier la mort.
La harga en Algérie date du début du 20e siècle. Le mouvement migratoire régulier vers la France a débuté en 1905. A l’époque, l’industrie française cherchait une main d’œuvre bon marché qu’elle recrutait dans ses colonies. Toutefois, par une circulaire du 8 octobre 1924 et des mesures de même nature adoptées en 1926, la libre circulation entre l’Algérie et la France a été stoppée. Sauf que le désir d’émigrer pour améliorer les conditions de vie de leur famille, poussaient des travailleurs à vouloir rejoindre la métropole par n’importe quel moyen. Tout comme aujourd’hui, ils payaient des sommes d’argent pour embarquer clandestinement essentiellement vers Marseille.
La catastrophe du Sidi Ferruch
En mai 1926 un incident, resté dans l’histoire sous le nom de « catastrophe du Sidi Ferruch », a coûté la vie à plus de 20 passagers fraudeurs en route vers le continent. Les malheureux étaient morts étouffés dans des réduits où ils s’étaient cachés pour échapper aux contrôles de la police.
Huit mois plus tard, onze autres algériens ont connu le même sort dans les soutes du Charley-le-Borgne. En février 1927, à Port-la-Nouvelle dans l’Aude, quarante-huit « travailleurs » venus d’Algérie sont retrouvés entassés dans les cales du voilier Afrique et privés de nourriture substantielle après avoir payé la somme de 1 000 francs par tête.
À l’indépendance, la liberté de circulation entre l’Algérie et la France a été rétablie à la faveur des Accords d’Evian. Le flux sud nord a repris de plus belle puisque l’économie française, en particulier le secteur du BTP, était en plein boom et employait à tour de bras des salariés à bas coût. Face à ce déplacement de masse, le racisme anti-maghrébin a connu une flambée dans les discours politiques, dans les médias et dans la vie ordinaire. Heurté par cette situation le président Houari Boumédiène a décidé en 1973 de suspendre l’émigration algérienne de travail. Une année plus tard, le gouvernement français prend une décision similaire avant d’imposer, en 1986, un visa obligatoire pour les ressortissants du Tiers-Monde voulant entrer sur son territoire.
Depuis, certains Algériens qui n’ont pas la possibilité d’obtenir ce document se tournent vers les passeurs pour émigrer clandestinement. Les prix sont prohibitifs : près de 500 milles dinars sur une barque normale et plus de 700 mille sur un Go Fast, sur un hors-bord muni d’un moteur de 300 chevaux. Mais ni le prix à payer, ni le risque de noyade, ni le traitement dégradant qu’ils subissent dans les centres de détention des services d’immigration européens ne semblent plier la volonté de ces aventuriers prêts à tout pour changer d’air.
Mohamed Badaoui
La Nation, 20/09/2021