Algérie. Les Fakhamatouhou meurent aussi

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Le mot fakhamatouhou sacralisant le président de la République est mort dès le premier discours de Abdelmadjid Tebboune du 12 décembre 2019. La copie originale est récemment enterrée au carré des martyrs. Paix à son âme. Avant de tourner cette page troublée, jetons-y un coup d’œil rapide. «Sa grandeur», traduction approximative mais très parlante du mot fakhamatouhou. Elu pour la première fois en 1999, n’avait-il pas dit : «L’Algérie, c’est moi» ? Son subconscient avait aussi parlé. Un premier indice, vite oublié dans le sillage d’une campagne électorale où il avait vraiment suscité des espoirs.

Sans être candidat unique, il était seul en course, les six autres s’étaient retirés. Son grand projet était un paquet cadeau offert par les militaires, connu sous l’appellation de réconciliation nationale. Pourquoi pas ? Tous les nouveaux mariés se voient offrir des présents. Cependant, sa véritable offrande, au sens sacrificiel, n’était autre que l’Algérie et sa manne financière mais alors personne ne le savait. C’était au siècle dernier.

Mon propos n’est pas de faire son bilan pris partiellement en charge par la justice algérienne. Je veux seulement préciser que la véritable réconciliation nationale n’a commencé que vingt ans après : le 22 février 1999 : le Hirak. Révolution moyennement spontanée et qui a regroupé autour du drapeau des millions d’Algériens pour mettre un terme au règne de Bouteflika.

Comme toute révolution, le Hirak a ses contre-révolutionnaires et ses déçus tant les agendas sont différents et les attentes très hautes. Pour les premiers, ils se retrouvent à la fin du printemps 2019 dans un dégagisme outrancier avec de nombreuses déclinaisons : une constituante, «Madania la Askaria», des cris pour l’indépendance et j’en passe ! La première revendication doit être éclairée par l’exemple tunisien. Une Assemblée constituante qui a délibéré durant deux années et demie pour que tout président post Ben Ali ne dispose pas de pouvoirs réels. Trente mois d’économie perdue, il en résulte un immobilisme constitutionnel.

Presque dix ans plus tard, l’inattendu Président tunisien Kaïs Saïed, un constitutionnaliste confirmé, tente de remédier au péché originel de la révolution tunisienne. Le palais de Carthage siffle la fin de la récréation, le Président prend les rênes et veut mettre un terme à la cacophonie. «Madania la Askaria» est un ancien slogan du FIS durant les années 1990, faut-il le rappeler ? Quant à la revendication de l’indépendance, faut-il rappeler aussi le poids de la colonisation française et ses méfaits ?

La déception de nombreux hirakistes est compréhensible car naturelle. Leur patience est à bout et est aggravée par la pandémie planétaire. Seulement, la reconstruction d’un Etat est chronophage mais la feuille de route doit être encore plus explicitée, aussi les grands chantiers prioritaires. Je préfère le terme grands chantiers à celui de réformes trop galvaudé. Tout d’abord, je considère le fait que l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika ne fût pas traîné devant les tribunaux est une bonne chose après réflexion. Hâtivement, j’avais pensé que la ligne de défense «responsable mais pas coupable» n’était pas indiquée.

J’ai révisé ma première réaction. Un étalage judiciaire des actes du premier magistrat du pays aurait rendu la reconstruction de l’État encore plus complexe, déjà que la tâche est titanesque. J’entends aussi le débat concernant les incarcérés qui pose les jalons d’un allégement des peines contre restitution des fortunes au Trésor public. C’est du presque déjà vu. Succédant à Boris Eltsine, Vladimir Poutine avait exigé des oligarques et mafieux russes de rendre une partie de leur fortune et de quitter la politique contre une immunité. Ils ont tous accepté, seul Mikhaïl Khodorkovski, ancien patron de Gazprom, a refusé, il a eu droit au tarif syndical : 10 ans de prison. Aujourd’hui, la société gazière russe est la cinquième au monde par la capitalisation boursière devancée par la Saoudi Aramco.

Ainsi, Poutine a fait sortir l’État russe de son coma éthylique. Il en est différemment en Algérie. Nos oligarques ont été jugés et condamnés, il n’y a pas eu de négociations en amont, les Algériens ne l’auraient pas compris. La question du dilemme cornélien qui oppose pragmatisme et morale ne peut être rejetée d’un revers de main. Sans être prioritaire, elle mérite une analyse froide : coûts et avantages.

Je n’ai pas de réponse, je rappelle seulement que la récupération des biens mal acquis est un processus qui s’étale sur au moins une dizaine d’années. Les fortunes colossales de Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, entre autres, ne sont pas encore restituées. Le seul exemple abouti est celui du Président philippin Ferdinand Marcos, déchu en 1986 et dont la fortune détournée du Trésor public estimée à 10 milliards de dollars de l’époque n’a été que partiellement récupérée dix-sept ans plus tard. À titre de comparaison, le carnet de commande de l’oligarque Ali Haddad est évalué aux environs de 17 milliards de dollars, soit le quart du PIB du Malawi en 2018. À méditer, surtout aujourd’hui avec la multiplication des sociétés-écrans qui résistent aux plus sévères lois anti-blanchiment.

Maintenant, pour la nouvelle Assemblée nationale, élue sans fraude, les défis sont énormes. En premier lieu, l’économie. Comment mobiliser l’épargne nationale constituée en grande partie par l’informel ? Des nouvelles lois incitatives sont à voter et pourquoi pas à travers un grand emprunt national ? Le cœur du sujet, c’est d’alimenter le crédit en faveur des entreprises, grand facteur de croissance. En même temps, refonder les systèmes éducatif et sanitaire. Le premier devrait reposer sur une offre structurée de culture générale, socle pour l’organisation de toute réflexion. À commencer par former les formateurs de demain notamment pour la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe, question d’enrichir l’identité nationale et de la retirer des mains monopolisatrices de certains.

Quant au secteur de la santé mis à nu par la pandémie, s’inspirer de l’expérience cubaine est une approche parmi d’autres. En effet, les Cubains ont créé les techniciens de la santé, premier accueil des patients pour mieux les orienter par la suite. Prise en charge plus rapide et plus efficace. Aucun responsable cubain n’a été soigné à l’étranger. Bien au contraire, des célébrités ont séjourné dans des hôpitaux de La Havane, Gabriel Garcia Marquez et Maradona, entre autres. Même sous embargo, Cuba vient de fabriquer son deuxième vaccin, efficace à 92%, qui dit mieux ? Le pays de Pasteur qui en importe encore !

Les prochaines municipales renferment un enjeu d’importance. Tout appel au boycott est non seulement irresponsable mais criminel. La mairie constitue le lien principal du citoyen avec la représentation de l’État. Une relation à consolider pour rapprocher l’Algérien au centre de décision de son environnement immédiat. Un premier pas vers un énorme chantier : la territorialisation de l’Algérie. Je préfère ce vocable à celui de régionalisation trop connoté et encore plus à celui de fédéralisation dont les relents séparatistes sont sournois. Il s’agit de créer des territoires aux spécificités économiques, culturelles, climatiques communes. Le tout pour entamer une décentralisation nécessaire pour la transformation du citoyen ou de son représentant le plus immédiat en acteur politique quotidien. Responsabilisé, les élus d’un territoire vont le valoriser sur le plan agricole, industriel, culturel et touristique. Jusqu’à quand l’Algérien doit rouler des centaines de kilomètres pour faire un plongeon sur les plages de Hammamet ? Alors que le pays dispose de 1 200 kilomètres de côtes. Un tel édifice ne peut tenir que si les territoires ont des complémentarités économiques. Un grand chantier mais d’avenir. «Sa grandeur» est décédée alors que la grandeur éternelle repose sur des projets ambitieux réalisés en commun.

Naoufel Brahimi El Mili

Le Soir d’Algérie, 30/09/2021

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