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« Nous existons donc uniquement grâce à la colonisation ? L’Algérie était déjà un pays bien avant la France ! » Face au kiosque à journaux qui expose les unes de la presse algérienne, rue Didouche-Mourad au centre-ville d’Alger, les discussions sont vives. Les photos des présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune s’étalent sur les manchettes de la plupart des quotidiens, qui reviennent sur la crise diplomatique du week-end.
« Quelle sera la prochaine étape ? On va couper les relations, comme avec le Maroc ? », lance à Middle East Eye, non sans ironie, un retraité avec ses quatre journaux sous le bras, en faisant référence à la rupture des relations diplomatiques avec Rabat, annoncée fin août.
Depuis une semaine, les tensions qui vont crescendo entre Paris et Alger ont fini par éclabousser ceux que l’on disait « protégés par leur relation privilégiée » : les deux présidents.
Première charge, l’annonce par Paris de la réduction des visas octroyés aux Algériens en guise de mesure de rétorsion face au « refus » d’Alger de délivrer les laissez-passer consulaires permettant d’expulser les clandestins et autres « radicalisés » vers l’Algérie.
D’après les chiffres du gouvernement français, Alger n’a délivré, entre janvier et juillet 2021, que 31 laisser-passer consulaires – dont seulement 22 ont été exécutés – sur un total de 7 731 obligations de quitter le territoire qui concernent des migrants clandestins.
Malgré les nombreuses relances de Paris sur le sujet, Alger a qualifié cette décision de « disproportionnée » et de « malencontreuse ».
L’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, a été convoqué par le ministère des Affaires étrangères, et les médias algériens ont accusé Macron de chasser sur les terres de l’extrême droite et du polémiste Éric Zemmour, dans une sorte de surenchère électoraliste.
« Le système algérien est fatigué »
Les choses auraient probablement pu en rester là, mais une série de déclarations d’Emmanuel Macron, le 30 septembre, lors d’une rencontre avec de jeunes Franco-Algériens et Français ayant un lien avec la guerre d’indépendance (1954-1962), rapportées par Le Monde, ont aggravé la situation.
Sur la question des visas, le président français a précisé : « On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude de demander des visas facilement. »
D’autres salves ont suivi contre « l’histoire officielle », selon lui « totalement réécrite » par l’Algérie, sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
« La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle », a-t-il poursuivi, en attaquant au passage la Turquie, responsable selon lui de « désinformation » et de « propagande ».
« Je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. Et d’expliquer qu’on est les seuls colonisateurs, c’est génial. Les Algériens y croient. »
Enfin, le chef de l’État français s’en est pris au « système politico-militaire ».
« On voit que le système algérien est fatigué, le hirak [vaste mouvement populaire ayant conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika] l’a fragilisé. J’ai un bon dialogue avec le président Tebboune, mais je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur. »
Ulcéré, Alger n’a pas tardé à réagir, samedi 2 octobre, en rappelant « pour consultation » son ambassadeur à Paris, Mohamed Antar-Daoud.
Quelques heures après, un long communiqué était publié par la présidence algérienne : « L’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures. »
L’opinion publique et les médias ont aussi vivement réagi aux déclarations de Macron. Pour le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, proche des Frères musulmans) Abderrezak Makri, les propos du président français sont une « déclaration de guerre contre l’Algérie, peuple et État ».
Sur Twitter, deux hashtags sont devenus viraux : « Vive les autorités algériennes » et « Chasser l’ambassadeur de France est une demande populaire ».
Représailles
« Cette fois-ci, la crise va durer », pressent un cadre de l’État contacté par MEE, en rappelant que 2022 sera l’année de la présidentielle française « où les thèmes de l’immigration et de l’identité se sont imposés », et celle du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Deux événements aux enjeux mémoriels et migratoires intimement liés pour Paris comme pour Alger.
« Il est regrettable que des déclarations non démenties d’une autorité française de ce niveau adoptent sur l’Algérie un discours adapté à chaque échéance électorale, faisant de notre pays un sujet de débat récurrent pour devenir un problème de politique interne », a d’ailleurs déclaré l’ex-ministre et ambassadeur Abdelaziz Rahabi dans un communiqué.
« Il y aura forcément des répercussions dans les différents domaines de coopération », poursuit le haut fonctionnaire.
Les représailles ont déjà commencé : la France n’a désormais plus le droit de survoler le territoire algérien avec ses avions militaires, ce qu’elle faisait dans le cadre de l’opération Barkhane pour rejoindre le nord du Mali, une faveur accordée par le président Bouteflika il y a quelques années.
Selon des informations recueillies par MEE, les échanges entre le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra et son homologue Jean-Yves Le Drian à New York fin septembre en marge de l’Assemblée générale des Nations unies « ne se sont pas bien passés ». « Pourtant, ils se connaissent assez pour se dire les choses », insiste auprès de MEE une source proches des Affaires étrangères.
Par ailleurs, une source officielle a révélé au site TSA que l’Algérie allait « procéder à une évaluation minutieuse de ses relations économiques et commerciales avec la France ».
« Nous nous réservons la possibilité de réorienter, en toute souveraineté, certains flux vers d’autres partenaires plus prévisibles, plus conséquents et surtout plus soucieux de l’égalité souveraine des nations », a précisé cette source.
Dans les milieux économiques, un chef d’entreprise nuance : « Les crises à répétition entre Alger et Paris nous montrent que ces crispations diplomatiques ne changent pas grande-chose dans le fond. L’Algérie n’est pas le Maroc : on n’a pas une communauté française de plusieurs milliers de personnes, des centaines d’entreprises françaises, etc. Entre Alger et Paris, même quand ils se parlent au téléphone, il y a des problèmes ! »
Par Malek Bachir
Middle East Eye, 03/10/2021
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