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Les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc se sont récemment durcies et leur avenir devient incertain. Dans le même temps, les conditions de vie de la population des pays du Maghreb stagnent malgré les revendications. Le point avec Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS.
Traditionnellement difficiles, les relations entre l’Algérie et le Maroc ont connu une récente dégradation en août avec la rupture de leurs relations diplomatiques, puis avec l’annonce de l’Algérie de fermer son espace aérien à tous les avions marocains. Comment expliquer et analyser cette rupture au regard de l’histoire des relations entre ces deux pays ?
Les relations entre le Maroc et l’Algérie sont historiquement difficiles et froides. Elles sont caractérisées par une rivalité pour le leadership de la région, mais également par des périodes de tensions. On l’a dans un premier temps vu lors du contentieux territorial qui a mené à l’affrontement entre l’armée algérienne et l’armée royale en 1963 lors de la guerre des Sables (1963-1964). Puis, ces tensions se sont cristallisées autour du conflit du Sahara occidental suite au soutien qu’a apporté Alger au Front Polisario qui revendique l’indépendance du territoire disputé entre le Polisario et le Maroc. Ces tensions se sont enfin traduites par la fermeture des frontières terrestres depuis 1994.
Cependant, on observe une récente dégradation des relations et une rapide escalade des tensions entre les deux États. Elles sont relatives à plusieurs facteurs. Elles tiennent d’abord à la diplomatie unilatérale adoptée par le roi Mohamed VI sur le dossier du Sahara occidental depuis son retour au sein de l’Union africaine en 2017. Cette diplomatie a notamment permis l’ouverture de consulats par certains pays, tels que les Émirats arabes unis, traduisant ainsi la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par une voix unilatérale. La reconnaissance de cette souveraineté a par ailleurs été opérée par Donald Trump, durcissant les relations entre Maroc et Algérie. Puis, elle été effectuée de façon conditionnée, par la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, moment diplomatique marquant des nouvelles tensions entre Alger et Rabat. L’escalade s’est en outre accélérée ces derniers mois suite à la déclaration du représentant marocain à l’ONU, Omar Hilal, en juillet dernier, en faveur de ce qu’il considère être le droit à l’autodétermination du peuple kabyle, jouant sur les revendications du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).
D’autres évènements ont également envenimé les relations entre les deux pays : l’affaire d’espionnage Pegasus, ainsi que les propos tenus par le ministre israélien des Affaires étrangères à l’encontre de l’Algérie lors de sa visite au Maroc les 11 et 12 août derniers. Cette situation a particulièrement suscité la colère des dirigeants algériens, considérant ces propos comme une déclaration ouverte d’hostilité envers l’Algérie, en rupture avec les accords signés lors de la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) prônant des relations de bon voisinage et d’amitié entre les pays du Maghreb.
Dans la course à l’hégémonie entre ces deux puissances, ces tensions illustrent-elles un tournant pour le rayonnement diplomatique de ces pays ? Quelles réactions de la part de la communauté internationale ?
Certes, la course à l’hégémonie régionale reste un mobile de taille pour les deux pays. Alger cherche à réaffirmer son poids dans la région après plusieurs années de repli qui avaient laissé la voie ouverte au rayonnement de Rabat aux niveaux régional et international. La stratégie africaine de Rabat lui a permis de développer des relations et des accords commerciaux avec les groupes régionaux comme la CEDEAO et retourner certains États africains en sa faveur sur le dossier du Sahara occidental. Les accords commerciaux avec l’Union européenne intégrant le territoire disputé sont considérés comme un exploit par Rabat tant pour sa revendication de la marocanité du Sahara occidental que sur son positionnement de leader régional. Un activisme diplomatique qui risque d’irriter Alger et relancer la compétition entre les deux voisins.
Mais les instabilités régionales, en Libye et au Sahel notamment, exercent beaucoup de pression sur les deux pays, et contribuent également à l’escalade des tensions. L’Algérie et le Maroc sont deux pays pivots de la région Maghreb-Sahel considérés comme des partenaires clés par les puissances internationales afin de garantir la stabilité de la région, lutter contre le terrorisme et enrayer le crime organisé. La montée des tensions entre les deux pays pourrait venir ternir le tableau aux yeux de la communauté internationale, ou tout du moins susciter son inquiétude. De fait, ces tensions pourraient entraver la stabilité régionale, déjà très fragile.
Toutefois, même si Alger a choisi l’escalade en refusant de renouveler le contrat sur le gaz et en fermant son espace aérien, ces mesures se font avec une certaine retenue. Les deux États ont conscience qu’une telle escalade serait mal vue au niveau international. Ils feront donc tout pour éviter de subir la pression de la communauté internationale.
Entre relations tendues entre le Maroc et l’Algérie, et une démocratie tunisienne de plus en plus étouffée par son président Kaïs Saïed, quel avenir pour la population de ces pays du Maghreb ?
Les révoltes de 2011 en Tunisie, au Maroc et le récent soulèvement de la population algérienne depuis février 2019, illustrent une évolution au sein de la population maghrébine : elle est en quête de plus de libertés, de démocratie et de justice. Ces revendications apparaissent lors des manifestations, regroupant une jeunesse plus éduquée et ouverte au monde, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux. Mais, cette évolution de la société maghrébine se heurte à l’immobilisme des politiques en place, d’une élite vieillissante et des systèmes de gestion économique, politique et sociale obsolètes. Effectivement, la réaction des pouvoirs en place se caractérise la plupart du temps par une absence de réponse, ou bien par quelques réformes institutionnelles et constitutionnelles qui n’apportent pas de changement sur le terrain. Les réformes structurelles, politiques et sociales qui pourraient satisfaire les revendications de ces populations ne voient donc pas le jour.
C’est le cas au Maroc. En effet, malgré les réformes constitutionnelles en réaction au mouvement de février 2011, le roi dirige le pays d’une main de fer, contrôlant la vie politique, économique et sociale du pays. On observe aussi un retournement de situation en Algérie par rapport au début de la mobilisation, avec une montée en puissance d’une politique répressive sur les militants et la presse. Enfin, la Tunisie voit son président Kaïs Saïed concentrer le pouvoir entre ses mains, prenant le risque d’une dérive autoritaire, allant à l’encontre de l’esprit de la révolution tunisienne.
Ainsi, face aux revendications démocratiques de ces populations, les pouvoirs en place s’accrochent encore au paradigme sécuritaire, ce qui les rend réticents à conduire leur pays respectif à une démocratisation réelle, à des réformes profondes sur le plan politique, économique et social. Le paradigme sécuritaire est également soutenu par les puissances étrangères pour lesquelles prime la stabilité de ces États et de la région. Par extension, cette primauté à la stabilité se fait aux dépens des droits à la liberté, la justice, et au développement. D’autant que la corruption continue de gangréner les différents pays et entrave tout développement.
Bien sûr, l’instabilité de la région n’encourage pas non plus ces pays à mener des réformes politiques sereines vers une démocratisation. Elle conduit au contraire à pérenniser l’immobilisme politique à l’origine même des différentes crises, y compris économiques et sociales, qui crée un sentiment de désespoir que l’on observe au sein de la population maghrébine et visible dans la montée des flux migratoires. On le voit notamment avec les migrations illégales des boat people : des dizaines de milliers de personnes sont arrivées en Espagne ces derniers mois en plus de l’augmentation des demandes de visas. Ces crispations politiques conjuguées avec la dégradation de la situation économique et sociale de ces pays transforment malheureusement les sociétés maghrébines en une poudrière. Cela suscite ainsi beaucoup d’incertitude et d’inquiétude pour ces pays et pour la région.
Brahim Oumansour
IRIS, 07/10/2021