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Après des années de luttes sociales, les habitants de Jerada ont décidé de prendre la Commune. ENASS vous raconte le récit d’une victoire populaire et les premières semaines d’un conseil municipal qui cristallise toutes les attentes. Les leaders du mouvement protestataire de 2017 ont été élus à la tête du Conseil municipal de Jerada (530 km de Rabat), ancienne ville minière dans l’est du Maroc. Le 24 septembre dernier, Abdellah Derouich, 37 ans, devient le nouveau président du conseil communal de Jerada. Ce militant du Hirak remplace la notable Mbarka Toutou, du PAM. C’est la première expérience politique de cet enseignant du primaire, qui boycottait jusqu’à-là les élections.
Avec cette nouvelle dynamique, les habitants veulent tourner la page de plusieurs années de tensions sociales et de répression de leur mouvement. Ils s’offrent une lueur d’espoir pour sauver leur ville. L’expérience menée dans cette même ville de 43 000 habitants, s’annonce inédite au Maroc. Elle sera scrutée par le pouvoir central à Rabat comme par les observateurs de la vie politique et sociale. Les militants devenus élus auront cinq ans pour faire renaitre Jerada de ses cendres.
Le Hirak change de stratégie
Le 8 septembre, la ville a voté massivement pour la liste des jeunes qui représentait le mouvement de la protestation de 2017. Cette mobilisation populaire et massive est née après la mort de deux mineurs dans une galerie de charbon clandestine. Ce mouvement dénonçait l’abandon de cette ville sinistrée. Il revendiquait « une alternative économique » aux mines fermées depuis 1998.
Comme le Hirak du Rif, les protestations ont été sévèrement réprimées par les autorités, les leaders du mouvement ont été tous arrêtés et condamnés, avant d’être graciés par le roi Mohammed VI.Cette approche classique, et qui semble efficace, pour laquelle le pouvoir marocain opte pour faire taire tout mouvement de contestation locale. Mais les militants du Hirak ont décidé de changer leur fusil d’épaule. Ils ont choisi de participer à la gestion de leur ville.
Les militants du Hirak constituent une liste pour participer aux échéances électorales du 8 septembre dernier sous les couleurs du Parti du progrès et du socialisme (PPS). La liste du Hirak rafle 27 sièges sur les 30 en jeu dans le conseil municipal. Cette liste s’offre ainsi 90% des sièges. Cette victoire leur a garanti une majorité confortable au sein de la Commune, ainsi qu’un siège au sein du Conseil de la région de l’Oriental, et même la présidence du Conseil provincial, en plus d’un élu à la Chambre professionnelle. En somme, un plébiscite populaire pour le Hirak et ses militants.
Le chemin vers cette victoire passé par la nécessité de convaincre les militants de choisir une casquette politique pour participer aux élections. La plupart des jeunes du Hirak avaient des réserves envers des partis, comme une bonne partie de la population du Maroc. Seule une minorité était proche des partis de la gauche radicale.
Démocratie directe
Ce processus a duré quatre mois. Il a été divisé en trois étapes : Délibération population, rencontres politique et sélection des candidats.La première phase consacrée à la délibération populaire sur soit la participation ou le boycott des élections. De aziz Boudchich, ex-détenu du Hirak revient sur ce process qui s’apparente à un exercice de démocratie directe : « Dans les quartiers, la parole a été donné aux habitants. Chaque quartier avait désigné un coordinateur, qui organisait des sessions de Libre Débat. Il s’agissait de ressusciter les mêmes méthodes utilisées durant le Hirak de 2017 », explique-t-il.Après deux mois de discussions, il y avait un consensus pour participer aux élections. « C’était la tendance générale chez la population et il fallait l’accepter, quel que soit nos positions concernant les élections et les institutions », poursuit ce leader du mouvement.
La population avait son mot à dire dans ces négociations. « C’est la population qui nous a convaincu de nous présenter. Ils ne voulaient plus voir les mêmes visages dans la gestion de la commune. Çela n’avait pas de sens après le Hirak et après tant de sacrifices que les mêmes personnages restent aux commandes », rappelle le nouveau président de la commune.
Même son de cloche d’Aziz Boudchich, ex-détenu politique et figure de proue du mouvement de protestation qui avait purgé deux ans de prison à la suite de sa participation au Hirak.« Les gens sont venus chez nous pour nous inviter à ne pas boycotter ces élections, car une telle décision conduirait inévitablement au maintien des figures honnies à la gestion de la chose publique de la ville. La population voulait participer», insiste-t-il dans un entretien téléphonique, avec ENASS.Bien qu’il soit privé de ses droits politiques (voter ou se porter candidat aux élections), cette situation n’a pas empêché Boudchich de mener campagne pour ses camarades.
Puis une deuxième étape a été marquées par des rencontres avec des responsables de partis politique qui avaient exprimé des positions favorables au Hirak. Trois partis ont été exclus dès le départ de ces rencontres (RNI, UC et Istiqlal) en raison de leurs positions hostiles à ce mouvement social.
Finalement, les habitants acceptent l’offre du PPS jugée « la plus intéressante », décrivent plusieurs sources interrogées par ENASS.D’ailleurs, le SG du PPS, Nabil Benabdallah leurs a donné « une carte blanche et a présenté toutes les garanties nécessaires pour préserver l’indépendance de cette expérience », poursuivent les mêmes sources. A partir de cet accord, les militants contribuent à restructurer les sections locales et régionales du PPS.
La troisième phase a été dédiée au choix des candidats. Les militants du Hirak se sont retrouvés logiquement en tête des listes municipales et régionales, après l’aval des habitants. Mustapha Adaanine, une des figures du mouvement de contestation retrace cette étape : « Après avoir informé les habitants des offres politiques qu’on a reçu, c’était le tour de chaque quartier de proposer des candidats, des profils populaires et appréciés. Une fois choisi, le candidat ne peut pas dire non, il fallait respecter la tendance générale ». Les candidats choisis sont jeunes (50% des élus ont moins de 35 ans) et disposant d’un niveau universitaire (56% sont diplômés de l’enseignement supérieur). Un record national ! Seul bémol, la faible participation des femmes élues qui ne dépassent pas les 17% parmi les élus au Conseil.
Said Marzougui, fonctionnaire à la commune de Jerada fait partie des personnes choisies par son quartier. Il a été désigné comme tête de liste aux législatives. Ce fonctionnaire nous raconte cette expérience politique : « J’étais un simple sympathisant du Hirak, mais mon nom a été proposé plusieurs fois, j’ai hésité avant d’accepter de faire partie de cette expérience. Mais la population a son dernier mot », résume Marzougui. Le 8 septembre, ce dernier arrive troisième aux législatives. Des résultats qu’il conteste désormais auprès de la Cour constitutionnelle.
Les autres listes populaires (régionales et municipales) rencontrent un franc succès auprès de la population désireuse d’un souffle nouveau après des années de gestion marquées par une domination des « barons du charbon » sur la ville.
Attentes et limites
Passé le temps de l’euphorie, les militants-élus gardent pied sur terre et sont conscients des limites de cette expérience au sein des institutions. Ils ne se font pas trop d’illusions, puisque les prérogatives et les moyens de la commune sont limitées.
Les nouveaux élus héritent d’un conseil de commune peu doté de moyens financiers et humains, et de surcroit endetté.
Abdellah Derouich, nouveau président du conseil rappelle le contrat moral qui le lie à la population : « Dès la campagne, on a été franc avec la population. On n’a pas de baguette magique. Les prérogatives des conseils municipaux ne laissent pas beaucoup de marges de manœuvres. Mais on a promis à la population de se battre pour elle, car on lui doit cette victoire. Surtout que les habitants nous ont honoré par deux fois. La première fois en nous proposant dans les listes, et la seconde fois en menant campagne en notre faveur », reconnait-il, avec fierté.
Les nouveaux élus héritent d’un conseil de commune peu doté de moyens financiers et humains, et de surcroit endetté. Une situation financière délicate qui leur rendra la tâche difficile.
Place à l’action
Le nouveau Conseil a voulu donner le ton de son mandat dès le moment de la passation avec l’ancienne équipe dirigeante. Lors du protocole de la passation, le nouveau conseil a signé en émettant des « réserves » sur les dossiers hérités de l’ancien conseil. « On a opté pour ce choix pour éviter tout blocage du conseil. C’est un choix pragmatique, en attendant d’étudier minutieusement les comptes de l’ancien conseil. Durant les trois prochains mois, on va tout évaluer et réviser », confie Abdellah Derouich, président du conseil.
On a confiance en nos élus, ils pourront changer les choses.
Mustapha Adaanine, une des figures du mouvement de contestation
Le nouveau conseil veut d’abord rendre la vie moins difficile aux citoyens de Jerada. Il promet dans un premier temps d’améliorer l’accès à l’information et un meilleur accès aux services administratifs. « On ne peut plus tolérer qu’un citoyen galère pour obtenir un document administratif », insiste Derouich.L’un des objectifs principaux de ce Conseil composé de militants reste la rationalisation des dépenses et d’assurer une bonne gestion des maigres recettes de la ville. « On ne peut pas continuer de la même manière », martèle-t-il.
Adaanine se veut optimiste : « On a confiance en nos élus, ils pourront changer les choses. La priorité est de rompre avec le détournement et le gaspillage de l’argent public, c’est certes symbolique, mais c’est essentiel pour maintenir la confiance des gens, et leur prouver que leurs voix ont une valeur, que leur Hirak a servi à quelque chose ».
A la recherche d’investissements
Dans un deuxième temps, le nouveau conseil encourage des investisseurs à venir s’installer à Jerada en priorité. « Les élus sortants bloquaient l’arrivée de nouveaux investissements. Une minorité de personnes avait le monopole sur la ville et chassait tout nouvel acteur économique. Aujourd’hui, on doit garantir un climat sain pour attirer les détenteurs des capitaux, et pourquoi ne pas penser à signer un code d’honneur avec les investisseurs ainsi que les syndicats, pour garantir un pourcentage d’emplois pour la population locale », propose Boudchich. Dans une ville où le chômage des jeunes atteint un taux préoccupant de 60%, il faut multiplier les activités économiques. « Les projets industriels lancés en 2018 n’ont toujours pas démarré. Sur place Il n’y a que deux usines, c’est très faible », constate l’ex-détenu politique.
C’est la preuve que la population a une conscience politique.
Mustapha Adaanine
« Le nouveau conseil tend la main à tout le monde pour le développement de la ville, et nous espérons une collaboration positive des autorités locales et de l’Etat en général pour changer l’histoire et l’avenir de la commune », lance le président du conseil, armé d’une volonté populaire. Mais pour le nouvel élu, un premier objectif a été déjà atteint : « Barrer la route aux anciens élus et figures corrompus qui ont passé des décennies à mal gérer les affaires de la commune ». Et Adaanine de renchérir : « C’est la preuve que la population a une conscience politique ». La trajectoire des cinq prochaines années nous dira sur la capacité de collaboration entre les autorités et ses élus portés par un plébiscite populaire.
Imad Stitou
Ancrage, 10/10/2021