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Il y a 60 ans, le 17 octobre 1961, 30.000 Algériens, venus manifester pacifiquement à Paris subissent une violente répression. Bilan officiel : trois morts et une soixantaine de blessés, très loin de la réalité selon les historiens. Nous sommes six mois avant que les accords d’Evian ne scellent l’indépendance de l’Algérie, encore française. Les « Français musulmans d’Algérie » affluent depuis leurs bidonvilles en banlieue ou les quartiers populaires parisiens où ils vivent.
A l’appel de la branche du Front de libération nationale (FLN) installée en France, les manifestants ont bravé l’interdiction décrétée par le préfet de police, Maurice Papon (qui sera plus tard condamné pour complicité de crimes contre l’humanité, dans les années 1990, pour son rôle dans la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale). Ces manifestants vont subir la répression la plus meurtrière en Europe de l’Ouest depuis 1945, selon l’historien Emmanuel Blanchard. Quelque 12.000 manifestants sont raflés ce jour-là par la police. Des cadavres criblés de balles ou marqués par les coups seront repêchés dans la Seine les jours suivants. Bien plus que le bilan officiel. En 1988, Constantin Melnik, conseiller au cabinet du Premier ministre Michel Debré pendant la guerre d’Algérie, estimera que les « exactions » de la police ont fait une centaine de morts, tandis qu’un rapport au gouvernement en 1998 en comptabilisera 48.
Difficiles à établir précisément, les bilans avancés au fil des ans par les historiens vont d’une trentaine à plus de 200 morts. Aujourd’hui, ils s’accordent sur « au moins plusieurs dizaines de morts » du fait de la police le 17 octobre, selon M. Blanchard.
Une gigantesque rafle planifiée
En 1961, la Guerre d’Algérie dure depuis sept ans et les « Français musulmans d’Algérie », qui vivent depuis des mois les rafles et contrôles intempestifs de la police ou les « ratonnades » meurtrières d’escadrons clandestins favorables à l’Algérie française, sont soumis depuis le 5 octobre à un couvre-feu à Paris. Le 17 octobre, les manifestants veulent à la fois protester massivement contre ce couvre-feu et témoigner en nombre leur solidarité aux Algériens qui se battent au pays pour l’indépendance. Depuis le début de l’année, plusieurs policiers ont de leur côté trouvé la mort dans des attentats isolés attribués au FLN en région parisienne, « au moins cinq au cours du mois de septembre et début octobre », selon M. Blanchard. Pour le Premier ministre Michel Debré, le couvre-feu vient opportunément empêcher le FLN de collecter le soir des fonds destinés à son combat. Dès le matin du 17, la préfecture de police a réquisitionné le Parc des expositions de Paris, ce qui montre qu’elle ne se plaçait pas dans une logique de « maintien de l’ordre », mais qu’elle « préparait une rafle gigantesque », explique M. Blanchard.
En quelques heures, des milliers d’Algériens sont brutalement entassés dans des cars de police ou des bus réquisitionnés et rassemblés dans plusieurs lieux de Paris ou de la proche banlieue où leur identité va être vérifiée. Mais avant, les coups pleuvront. Jacques Simonnet, alors étudiant, a raconté en 1999 devant la justice ce qu’il avait lui-même vu au Palais des sports: « Les Algériens étaient sortis à coups de poing des cars, ils se ramassaient par terre et là, passaient entre une haie de policiers qui les recevaient à coups de pieds, de poings, de bâtons, de bottes. La violence est arrivée à un point que je n’arrivais pas à imaginer ». La majorité des blessés ne sont pas dirigés vers des hôpitaux. Une fois identifiés, certains sont expulsés vers l’Algérie, d’autres internés dans des camps et les derniers, renvoyés chez eux.
« Répression coloniale »
Dès les premiers manifestants engagés sur le pont de Neuilly, à l’ouest de Paris, des coups de feu mortels sont tirés par des membres de la Force de police auxiliaire (FPA), mais aussi par des gardiens de la paix, sur une foule calme, endimanchée et parfois venue en famille, et surtout non armée, rappelle M. Blanchard.
La violence des policiers se déchaîne à l’écoute de messages radio mensongers de la police annonçant à tort la mort par balles de collègues. Tirs et charges ont lieu aussi dans plusieurs lieux de la capitale, comme sur les Grands boulevards, où un badaud aura les cervicales brisées par des coups de matraques.
« De nombreuses victimes sont mortes sous les coups de bidules (matraques, NDLR) portés par les agents, des dizaines d’autres furent jetés dans la Seine, plusieurs périrent par étouffement après avoir été jetés à terre et recouverts par des amas de corps », détaille le Musée de l’Histoire de l’immigration sur son site internet.
« Ce que les historiens montrent aujourd’hui, c’est que la violence de la répression le 17 octobre dépasse les techniques de maintien de l’ordre classique et qu’elle est à mettre en regard avec les techniques de répression coloniale qui ont cours dans l’Empire », explique-t-il. Il faudra attendre 2012 pour qu’un président, François Hollande, rende « hommage aux victimes » d’une « sanglante répression » qui s’abattit sur ces hommes manifestant pour « le droit à l’indépendance ».
L’Est Républicain, 15/10/2021