Zoom sur les défis d’un Maghreb en détresse. Il offre un paysage désolant et surtout menaçant, car marqué par nombre de turbulences et d’incertitudes.
Le Maghreb, notre Maghreb, vit, en ce moment, une situation particulièrement tourmentée. Faisant face à une profonde crise multiforme et multidimensionnelle, il offre un paysage désolant et surtout menaçant, car marqué par nombre de turbulences et d’incertitudes.
Afin d’attirer l’attention sur la gravité de cette situation, je voudrais jeter la lumière sur les évolutions les plus importantes qui se sont succédé tout au long de l’été dernier, qui a été particulièrement chaud pour l’ensemble des pays maghrébins, tant sur le plan interne que sur le plan bilatéral et régional:
• Une rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, le 24 août 2021, suivie par la fermeture immédiate le 22 septembre 2021 par l’Algérie de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains ainsi qu’aux appareils immatriculés au Maroc.
• Fermeture, d’une manière impromptue, le 8 juillet 2021, de la part du gouvernement d’unité nationale (GNU) libyen des frontières terrestres et aériennes entre la Libye et la Tunisie – officiellement, pour des raisons sanitaires liées à la propagation du coronavirus, mais officieusement pour des motifs sécuritaires. Cette fermeture des frontières a été à l’origine d’une crispation des rapports entre les deux pays qui a prévalu durant plus de deux mois.
• Un processus de transition politique qui risque de s’effondrer en Libye en raison des difficultés que rencontre l’organisation des élections générales du 24 décembre 2021, ce qui constitue une menace pour le pays de retomber dans la violence, la confusion et l’incertitude. Le vote du Parlement libyen le 21 septembre 2021 d’une motion de censure contre le gouvernement suscite l’inquiétude, car il risque d’aggraver les tensions entre les camps rivaux de l’est et de l’ouest.
• Outre qu’ils sont tous confrontés, à différents degrés, à des situations politiques et socioéconomiques plus ou moins difficiles, les pays maghrébins continuent à être durement frappés par la pandémie de Covid-19 qui a mis à nu leurs faiblesses structurelles.
En outre, le Maghreb fait face, dans son environnement africain et euroméditerranéen, à des défis et même à des dangers qui risquent de compliquer sa situation. Outre ses propres tensions, il se trouve entre deux zones de tensions accrues, l’une au nord, en Méditerranée, et l’autre au sud, au Sahel africain.
Au nord, c’est-à-dire en Méditerranée, il est nécessaire de surveiller avec vigilance les évolutions et les tendances suivantes:
• la logique de compétition sinon de confrontation qui est en train de s’installer en Méditerranée, notamment avec les nouvelles stratégies de la Russie et de la Turquie dans la région et précisément en Libye…
• Le fait que le Maghreb est devenu l’objet d’un intérêt, sans cesse croissant, de la part des grands acteurs régionaux et mondiaux. Le jeu des grandes puissances qui cherchent à préserver leurs acquis dans notre région, pour les uns, ou qui veulent s’y positionner, pour les autres, risque de se faire au détriment de nos pays…
• Le risque d’importation en Méditerranée, de plus en plus, de crises extérieures, notamment venant du golfe et d’Asie avec de nouveaux acteurs régionaux non riverains de la Méditerranée.
• Les clivages créés par le problème de l’islam politique qui continue à être soutenu par la Turquie et son allié le Qatar, d’une part, et auquel s’opposent frontalement l’Egypte et ses alliés, les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, d’autre part.
• La normalisation des relations entre le Maroc et Israël qui a avivé la tension avec l’Algérie, d’autant plus qu’en contrepartie de son rapprochement avec Tel-Aviv, Rabat a obtenu la reconnaissance par Washington de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
• La volonté du Maroc et d’Israël, selon les dires du ministre marocain des Affaires étrangères, lors de la célébration du premier anniversaire des accords d’Abraham avec les États-Unis et Israël, d’établir un nouvel «ordre régional», dans lequel Israël sera partie prenante plutôt qu’un «outsider dans sa propre région». Et le ministre de préciser que «ce nouvel ordre régional ne doit pas être perçu comme étant contre quelqu’un mais plutôt pour notre bien à tous».
• Bien qu’il soit incontestable que la stabilité du Maghreb est un impératif pour l’Europe, les Européens ne semblent pas accorder à leurs voisins maghrébins l’intérêt requis et dont ils sont dignes. En effet, l’importance du Maghreb pour eux demeure largement sous-estimée, et ils continuent à ne pas intégrer les pays maghrébins à leur réflexion stratégique globale, comme l’a si bien expliqué Hakim El Karoui. A ce titre, il a pertinemment noté que le plan de relance européen, destiné à assurer la stabilité des membres de l’Union (750 milliards d’euros, la moitié en dons et la moitié en prêts) n’a pas concerné ces pays.
Quant au sud, c’est-à-dire le Sahel africain, une attention particulière doit être portée aux évolutions suivantes:
• La multiplication des ingérences extérieures pose de plus en plus un sérieux problème pour la stabilité et la sécurité de la région.
• L’implication de la société privée Wagner en Afrique, en Libye et en République centrafricaine et surtout la probable signature d’un contrat avec le Mali, constituent des raisons de préoccupation pour certains pays de la région, et surtout pour la France et les pays occidentaux.
• La disparition soudaine du président tchadien Idriss Deby Itno en avril 2021 et ses conséquences sur son pays et sur le G5 Sahel, pour lequel il s’est tant investi.
• La montée en puissance des groupes djihadistes dans les pays du Sahel (groupes affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ou à l’Etat islamique au grand Sahara (Eigs).
• La situation difficile sur le plan socioéconomique qui nécessite impérieusement une aide accrue, et un soutien multiforme à la région et à ses pays qui font face à un double défi : la menace sécuritaire et le développement. Le contexte particulièrement difficile dû à la pandémie et à ses conséquences sociales, sanitaires et économiques n’a fait qu’aggraver cette situation.
• La difficile transition au Mali où la France et la communauté internationale ont fait neuf ans sans résultat, et surtout le fait que Bamako envisage d’avoir recours à la société paramilitaire russe Wagner.
• La décision du président Emmanuel Macron de réduire la présence militaire française au Mali, de mettre fin à l’opération Barkhane et de procéder au redéploiement des forces françaises au Sahel.
• La tendance du Maghreb à devenir, de plus en plus, une zone tampon que l’Union européenne cherche à impliquer dans la gestion de la migration africaine vers ses pays.
Telle est donc la situation complexe et compliquée dont souffre le Maghreb, notre Maghreb. Il va sans dire qu’elle risque de se détériorer encore davantage si rien n’est fait pour y remédier.
A cet effet, la création d’un contre-courant à toute escalade est une urgence.
A mon avis, ce sera la tâche des sociétés civiles et des forces de progrès maghrébines qui ont déjà fait preuve de dynamisme ces dernières années.
Aujourd’hui, plus que jamais, elles sont appelées à être actives et à œuvrer aussi bien individuellement que collectivement, en vue de pousser les pouvoirs politiques dans nos pays à un retour rapide à la raison, à l’apaisement de la tension, à la reprise du dialogue et à la normalisation des relations intermaghrébines en vue d’une relance d’un réel et sincère processus d’intégration qui aidera notre région à sortir de ses difficultés.
Mohamed Ibrahim Hsairi
Leaders, 21/10/2021