Medgaz, l’atout maître – Dans un contexte exceptionnel, l’Algérie ne passera plus, à compter d’aujourd’hui par le Maroc pour exporter son gaz en Espagne.
La flambée des prix de l’énergie touche l’Europe de plein fouet. Le prix du gaz a été multiplié par quatre en à peine 6 mois. La hausse a été particulièrement spectaculaire dans certains pays. Les factures d’électricité ont explosé de plus de 35% en un an en Espagne, alors que l’Italie a augmenté ses tarifs pour le gaz de 30% et de 40% pour l’électricité, d’un semestre sur l’autre. En Belgique, où les prix de l’énergie sont les plus élevés d’Europe, ces hausses inquiètent et préoccupent particulièrement les ménages : 20% des ménages belges sont déjà en précarité énergétique avant l’arrivée de l’hiver, une proportion qui atteint un record de 25% en Wallonie. La France n’échappe pas à cette inflation des prix, particulièrement sur le gaz : après une augmentation de tarif de 57% depuis le 1er janvier 2021, c’est une nouvelle hausse des prix du gaz de 12,6 % à partir du 1er octobre.
Des experts estiment que les tensions sur les prix et l’instabilité des marchés du gaz naturel sont des facteurs qui expliquent la hausse actuelle des prix de l’énergie. Et cette hausse du prix du gaz en Europe est liée à la hausse dans le reste du monde et en particulier en Asie. La moitié des importations européennes provient donc de la Russie, une autre partie de l’Algérie et de Libye. Mais un tiers des importations européennes provient du marché mondial. Ce tiers consiste en du gaz naturel liquéfié, il faut donc le regazéifier pour le mettre dans les tuyaux européens.
C’est dans ce contexte exceptionnel, à tout point de vue, que l’Algérie ne passera plus, à compter d’aujourd’hui par le Maroc pour exporter son gaz en Espagne. Alger a décidé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feront désormais exclusivement via le gazoduc sous-marin Medgaz. Le contrat d’exploitation, prend fin aujourd’hui et ne sera pas renouvelé. Toutefois, la poursuite des livraisons à l’Espagne se fera sans problème, selon le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, qui affirmait récemment que «L’Algérie, à travers la compagnie Sonatrach, honorera ses engagements avec l’Espagne, relatifs à l’approvisionnement en gaz naturel et elle est prête à discuter des conditions de livraisons gazières supplémentaires».
«Toutes les livraisons se feront à travers les installations se trouvant en Algérie, via le gazoduc Medgaz et les complexes de conversion de gaz», a précisé le ministre. Il s’agit, d’une possible extension de la capacité de Medgaz et un accroissement des exportations de gaz naturel liquéfié par la voie maritime.
Il convient de rappeler que la capacité du gazoduc Medgaz est inférieure à celle du GME : il achemine environ 8 milliards de mètres cubes par an, alors que la capacité du gazoduc GME elle est de 10 milliards. Il opérait déjà au maximum de sa capacité en fournissant un quart du gaz naturel utilisé par l’Espagne. L’Algérie s’est engagée à augmenter la capacité du Medgaz, à 10 milliards de mètres cubes par an.
Pour couvrir les 4 milliards dont aurait encore besoin l’Espagne, le rythme des exportations de gaz naturel liquéfié par voie maritime de l’Algérie vers l’Espagne pourrait aussi augmenter. Pour ce qui est du Maroc, un arrangement avec l’Espagne pour acheminer du gaz sur le territoire est incertain et pourrait buter sur la clause de destination. Le Maroc doit par ailleurs supporter une perte de revenus engendrés par le passage du gaz algérien sur son territoire, estimés entre 50 et 200 millions d’euros par an.
Mohamed Saïd Beghoul, expert en énergie, à propos de la possibilité de vente de gaz algérien de l’Espagne au Maroc : Risque de se confronter à la «clause de destination»
Peut-on parler désormais de rupture définitive ? Oui. L’Algérie officialise sa décision de ne plus livrer du gaz naturel au Maroc, via le Gazoduc Maghreb-Europe (GME), en service depuis 1996. Le contrat de vente de gaz algérien au Maroc ainsi que celui de transit de gaz algérien via le Royaume expirent aujourd’hui. Sollicité par nos soins, le Dr Mohamed Saïd Beghoul, expert en énergie, précise, d’emblée, que parmi «l’Algérie, l’Espagne et le Maroc, c’est ce dernier qui est le grand, sinon le seul perdant».
Durant 25 ans, explique-t-il, le Maroc «piquait» un peu moins de un milliard de m3/an de gaz algérien pour produire une partie de son électricité à bas prix et engrangeait jusqu’à 200 millions de dollars par an comme droit de passage du GME sur son territoire. «Dès le 1er novembre 2021, le Maroc doit oublier ces avantages, voire ces privilèges, accordés «fraternellement» par l’Algérie un quart de siècle durant, et chercher des solutions de rechange certainement contraignantes tant sur le plan technique qu’économique du moins à court et moyen termes sachant que le marché gazier mondial est en pleine crise».
Dos au mur, le Maroc envisage d’y remédier par l’utilisation de son tronçon pour recevoir du gaz à partir de l’Espagne. Une option, argumente M. Beghoul, qui suppose que «l’Espagne doit s’approvisionner plus que nécessitent ses besoins et évacuer le surplus vers le Maroc qui doit prendre en charge, financièrement, l’opération d’achat et de transit du gaz depuis la source jusqu’à destination (Maroc)». Autrement dit, «l’Espagne ne pourra pas revendre du gaz algérien au Maroc au risque d’être confrontée à la «clause de destination»». Techniquement incertaine pour la partie espagnole, sinon très onéreuse pour le Maroc, ce scénario ressemble à une quadrature du cercle.
Côté Algérie, la décision semble sans impact sur l’économie nationale. L’expert en énergie indique que l’Algérie dispose de deux autres gazoducs vers l’Europe-Enrico Mattei vers l’Italie et Medgaz vers l’Espagne-totalisant une capacité opérationnelle d’au moins une trentaine de milliards de m3 et de trois complexes GNL pouvant produire, aujourd’hui, l’équivalent de pas moins de 13 milliards de m3 de gaz. C’est dire que «les capacités algériennes en matière d’exportation, bien qu’ayant chuté, restent en mesure de répondre aux besoins de l’Espagne, quitte à opter pour une route non classique pour son approvisionnement total». Dans cette optique, l’Algérie s’est montrée rassurante avec son partenaire espagnol. Le ministre de l’Energie ne pouvait être plus clair. A travers la compagnie Sonatrach, le pays «honorera ses engagements avec l’Espagne, relatifs à l’approvisionnement en gaz naturel et elle est prête à discuter des conditions de livraisons gazières supplémentaires». Et d’ajouter : «Nous nous sommes engagés également à ce que toutes les livraisons se fassent à travers les installations se trouvant en Algérie, via le gazoduc Medgaz et les complexes de conversion de gaz».
Avec cette suspension, comment l’Algérie pourra-t-elle maintenir le rythme de ses exportations gazières vers l’Espagne si les volumes prévus dans le Medgaz s’avèrent insuffisants ? Tout compte fait, explique Mohamed Saïd Beghoul, sur le plan pipelinier, «il manquerait environ jusqu’à deux ou trois milliards de m3 pour satisfaire totalement les Espagnols et si ces derniers ne trouveront pas d’autres sources pour faire le plein, l’Algérie a toujours un moyen de les rajouter, soit en équivalent GNL, soit par gazoduc Italie-Espagne si ce lien physique existe dans le cadre du réseau interconnecté européen».
Sonatrach confirme
Contrairement à certaines assertions marocaines concernant la possibilité pour le Maroc de s’approvisionner en gaz naturel algérien via l’Espagne, une source de la compagnie Sonatrach affirme que dans le contrat liant l’Algérie et l’Espagne, il existe bel et bien une «clause de destination». La clause de territorialité, dite aussi «clause de destination», accompagne tous les contrats gaziers de Sonatrach empêchant ses clients d’écouler le gaz algérien importé hors de leurs frontières.