Entre l’Algérie et le Maroc, une guerre en filigrane

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La tension est montée d’un cran après la mort de trois camionneurs algériens lors d’un bombardement marocain en territoire sahraoui. Le Front Polisario réaffirme sa détermination à poursuivre la lutte pour l’autodétermination.

Le roi du Maroc, Mohammed VI, souffle sur les braises. La « marocanité » du Sahara occidental n’est pas à « négocier », affirmait-il le 6 novembre, à l’occasion de la commémoration de la Marche verte, organisée en 1975 par Hassan II pour tenter de récupérer le Sahara occidental, jusque-là occupé par l’Espagne. Selon lui, « le processus politique en marche (…) est voué à mettre en place une solution définitive fondée sur l’initiative d’autonomie, sous souveraineté marocaine ». Un brûlot de plus autour d’une question qui empoisonne les relations avec l’Algérie depuis une trentaine d’années et dans un contexte de tension croissante entre les deux pays. Mais pas seulement. Le roi se prévaut de ses soutiens. « La décision des États-Unis d’Amérique de reconnaître la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara constitue un sujet de fierté pour nous », se réjouit-il, à propos de l’arrangement opéré avec Donald Trump en échange d’une normalisation des relations avec Israël. Ce qui a ulcéré l’Algérie, pour qui rien ne va plus.

« Terrorisme d’État »

La crise a atteint un seuil sensible avec la mort de trois camionneurs algériens, pris dans un bombardement le 1er novembre sur le territoire sahraoui. Un communiqué de la présidence algérienne, publié le 4 novembre, accuse Rabat d’un « lâche assassinat », commis « avec un armement sophistiqué (…) alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla », entre la Mauritanie et l’Algérie. Le texte dénonce « la gravité extrême de l’acte de terrorisme d’État en question, qu’aucune circonstance ne saurait justifier », il assure que « l’assassinat de ces trois Algériens ne restera pas impuni ». Le ton est donné.

Les faits se sont enchaînés au cœur d’une spirale sans précédent. Le 13 novembre 2020, l’armée marocaine avait annexé la zone tampon du poste-frontière de Guerguerat (extrême Sud), officiellement pour rétablir « la libre circulation des personnes et des marchandises », poussant le Front Polisario à rompre le cessez-le-feu. Le royaume aurait à présent accepté son retrait de la zone, comme l’exigeait l’Algérie. Le rapprochement israélo-marocain ainsi que certaines déclarations de Rabat favorables aux indépendantistes kabyles (MAK, considéré comme une organisation terroriste) ont provoqué, le 14 août dernier, la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Le scandale Pegasus a exacerbé d’autant plus les Algériens, dont plusieurs personnalités ont été également ciblées par le logiciel espion. Le 31 octobre, le président Tebboune décidait finalement de couper l’acheminement du gaz vers le Maroc, privant le royaume chérifien d’environ 800 millions de mètres cubes à un prix préférentiel, en plus de droits de passage entre 50 millions et 200 millions d’euros.

Guerre ! le mot est désormais lâché, tandis que des observateurs se livrent à une évaluation de la puissance militaire des belligérants potentiels. Les dépenses marocaines de défense auraient augmenté de plus de 30 % en 2020 par rapport à 2019. L’Algérie est le plus gros acheteur d’armements en Afrique, avec 9,7 milliards de dollars en 2020. « Si l’Algérie veut la guerre, le Maroc n’en veut pas. Le Maroc ne sera jamais entraîné dans une spirale de violence et de déstabilisation régionale », a réagi auprès de l’AFP une « source marocaine informée » qui a requis l’anonymat. « Cela fait cinquante ans que Marocains et Algériens se préparent à faire la guerre. En 1963, ils se sont déjà affrontés pendant la guerre des Sables. Les militaires sont prêts, mais pour commencer une guerre, il faut d’abord une volonté politique », commente de son côté un ex-politique algérien.

L’avenir du Sahara occidental reste, en toutes circonstances, l’enjeu central. Ancienne colonie espagnole, le territoire est inscrit depuis 1963 sur la liste des « territoires non autonomes », « en voie de décolonisation » de la 4e commission des Nations unies dite « des politiques spéciales et de décolonisation ». Le Front Polisario, quant à lui, réitère sa détermination à ne pas céder devant les menaces marocaines. « Le peuple sahraoui n’a pas d’autre choix aujourd’hui que de poursuivre et d’intensifier sa légitime lutte armée pour défendre la souveraineté de sa patrie et assurer l’exercice de son droit inaliénable et non négociable à l’autodétermination et à l’indépendance », affirme-t-il.

Nadjib Touaibia
L’Humanité, 9 Novembre 2021

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