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Crise Algérie-France : Macron est-il conscient des enjeux ?

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Depuis plusieurs mois, la crise diplomatique entre l’Algérie et la France monte en intensité. Emmanuel Macron multiplie les attaques contre Alger. Dans quel but ?

« Un système militaro-politique » qui exploite « la rente mémorielle ». C’est en ces mots que le président français, Emmanuel Macron, a qualifié le pouvoir algérien. Avant les mots, la France était passée à l’action en réduisant le nombre de visas octroyés aux ressortissants algériens, entre autres. On est loin des propos, du même Emmanuel Macron en 2017, alors candidat à la présidentielle, qui avait qualifié lors de son passage en Algérie la colonisation de « crime contre l’humanité ».

Qu’a-t-il bien pu arriver pour que le président français provoque, à ce point, Alger ? Ce mois-ci, Emmanuel Macron a bien rendu hommage, au nom de l’Etat français, aux harkis. Mais les supplétifs militaires de l’Algérie française pendant la colonisation sont considérés comme des traitres aux yeux des Algériens. Le 30 septembre dernier, Macron avait même demandé : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? ».

Une question rhétorique, qui avait relancé les hostilités entre Paris et Alger. Une façon également, pour le président français, de se lancer dans la campagne présidentielle française, qui sera dirigée à droite toute. D’un Emmanuel Macron candidat prêt à faire un travail de mémoire sur la colonisation française en Algérie à un Emmanuel Macron qui provoque Alger, le grand écart est périlleux. Mais calculé.

La diaspora algérienne, un levier politique… en France
Du côté d’Alger, les paroles et les actes d’Emmanuel Macron ont offensé jusqu’au sommet du pouvoir. Après le rappel d’ambassadeurs et la fermeture de l’espace aérien aux aéronefs militaires français, l’Algérie vient de rappeler à la France, à travers son ambassadeur à Paris, que ses ressortissants étaient nombreux en France. Selon les statistiques françaises, 1,2 million d’Algériens résident en France. L’Algérie estime ce chiffre à plus de 6 millions.

Avant d’être rappelé, l’ambassadeur algérien à Paris, Mohamed Antar Daoud, a mis en cause le calcul politique d’Emmanuel Macron, rappelant que la diaspora a, certes, un rôle dans la politique algérienne, « mais aussi au niveau de la politique française ». Une réalité que le président-candidat ne semble pas avoir pris en compte.

Les mots de l’ambassadeur algérien ont pris la forme d’un appel à boycotter Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2022.

Objectif Mali, objectif Afrique
Ce rappel fait, l’Etat algérien a élargi le débat à la question géopolitique. Le réel enjeu de cette crise franco-algérienne est en effet africain. Au Mali, Assimi Goïta et Choguel Maïga ont une relation tout aussi électrique avec le président français, qui ne cesse de multiplier les actes hostiles contre le Mali depuis la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta. Dernière mesure en date prise par le Mali, après le retrait annoncé des forces françaises de Barkhane : l’annonce d’une nouvelle alliance militaire avec le groupe paramilitaire russe Wagner.

Ce vendredi 22 octobre, le quotidien Le Monde évoquait une « tentation, côté algérien, de soutenir un scénario noir pour Paris : un renforcement du rôle de la Russie au Mali ». En juillet déjà, le président algérien Abdelmadjid Tebboune avait annoncé haut et fort que l’Algérie « a le droit » d’intervenir au Mali si son aide est « sollicitée », après une modification de la Constitution algérienne. Un rappel envoyé à Paris qui montre que le Mali n’est pas aussi isolé que Macron voudrait le faire croire.

L’armée algérienne n’a jamais d’ailleurs hésité à prêter main forte à son voisin du sud, souvent en dépit de la France. Cette alliance de fait ne fait que s’améliorer, à mesure que les visites bilatérales et les initiatives en matière de sécurité entre le Mali et l’Algérie se multiplient.

« Macron mord plus qu’il ne peut avaler »
Au niveau des partenariats géostratégiques non militaires, l’Algérie est également consciente des grands bouleversements qui s’opèrent dans le sud. La France se fait progressivement botter hors de ses pré-carrés africains. L’investissement français en Afrique subsaharienne est si limité aujourd’hui que, même au Cameroun, Paris se fait dépasser par la Chine.

Depuis la sortie de la France de République centrafricaine (RCA), où elle a été remplacée par la Russie, les échecs français s’enchaînent. Au Mali et en Guinée, le nouveau pouvoir militaire est ouvertement anti-français. D’autres pays d’Afrique francophone ne sont plus aussi loquaces qu’ils ne l’étaient il y a à peine un an. Certains observent un futur sans une quelconque mainmise française sur l’économie, les finances et le commerce.

D’autres ont des chefs qui craignent pour leur couronne, à l’image de Faure Gnassingbé au Togo, qui tente de renforcer son rapprochement avec la Turquie, l’un des premiers rivaux de l’influence française en Afrique subsaharienne.

Si l’Algérie ne recule pas, aujourd’hui, devant un Emmanuel Macron qui « mord plus qu’il ne peut avaler », selon les mots de l’ancien président américain Donald Trump, c’est aussi parce qu’un nouvel équilibre se met en place. L’Algérie regarde vers le sud et renforce son intégration africaine, car elle sait qu’avec cette dernière, de nouveaux et d’anciens alliés n’hésiteront pas à la soutenir. La Chine, la Russie et la Turquie notamment.

Et lorsqu’il s’agit de « rente mémorielle » et de « cercles dirigeants » algériens, la mémoire d’Emmanuel Macron n’est que trop courte. En février 2017, Macron était bien à son aise à Alger, entouré des responsables du régime Bouteflika, dont très peu figurent aujourd’hui dans le cercle du pouvoir algérien, la majorité se trouvant en prison.

Alors, Emmanuel Macron ignore sans doute qu’il traite avec une Algérie très différente que ce qu’elle était avant 2019. Mais une chose est sûre : cette Algérie reste aussi inflexible que celle qui l’a précédée… et que celle qui la suivra.

Le Journal de l’Afrique

#Algérie #France #Macron

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