Le Point : Le Maroc veut contrôler l’Islam de France – services secrets, DGED, Mohamed Moussaoui,
Dans un dossier consacré aux agissements de services secrets étrangers en France, le magazine français Le point a révélé dans son dernier numéro que les « barbouzes » marocains étaient impliqués depuis des années pour que le Maroc parvienne à contrôler les mosquées et autres lieux de culte musulman dans l’Hexagone et ainsi, ravir la palme aux autres pays musulmans, dont l’Algérie qui possède une forte communauté dans ce pays.
Voici, l’intégralité du papier du magazine sur cette affaire scabreuse, qui fait suite à l’autre scandale Pegasus révélée récemment.
Mohamed B. est un fantôme. L’orthographe de son véritable nom est incertaine et l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a eu toutes les peines du monde à trouver une photographie de lui. Tout juste a-telle appris qu’il était né en juin 1964 au Maroc et qu’il était considéré par la préfecture du Bas-Rhin comme célibataire, détenteur d’une carte de résident français depuis octobre 2010. Sa véritable adresse n’a jamais été trouvée. Les investigations menées à son seul domicile connu, à Bischheim, en Alsace, n’ont rien donné, contraignant les enquêteurs à dresser un procès-verbal de «recherches infructueuses». Depuis le 13 février 2018, date à laquelle un mandat d’arrêt a été émis à son encontre, l’homme s’est tout bonnement évaporé. Poursuivi pour corruption d’agents publics en France, il n’est connu dans le petit cercle du renseignement que par sa fiche «S03» (recherche de renseignements sans attirer l’attention), laquelle le désigne comme un agent des services secrets marocains. Il est aussi soupçonné, selon nos informations, d’avoir cherché à exercer une emprise sur l’islam de France en «tamponnant».
Après l’affaire Pegasus, c’est le nouveau scandale qui guette: comment un espion du royaume chérifien a été chargé d’infiltrer le Conseil français du culte musulman. Tout commence, comme le révèle à l’époque Libération, par un renseignement anonyme parvenu à l’IGPN le 11juillet 2016, selon lequel deux membres de la police aux frontières (PAF) fournissent des fichiers de police à une force étrangère, en contrepartie d’espèces et de voyages tous frais payés. Une enquête est ouverte à Creil (Oise), qui s’attache à éclaircir les fonctions exactes de Charles D., fonctionnaire de police à l’aéroport d’Orly. Le sexagénaire y vérifie l’identité de toutes les personnes qui passent les aubettes des douanes et enregistre les allées et venues des fichés «S» ou ceux inscrits, pour une raison ou une autre, au Fichier des personnes recherchées (FPR).
Les informations qu’il manipule sont donc éminemment sensibles. Certaines sont classées confidentiel défense. Très rapidement, les investigations vont confirmer que Charles D. est en relation téléphonique nourrie avec un certain Driss A., à qui il fournit des renseignements et des badges dits «verts», sortes de passe-droits qui permettent aux contacts de Driss de faciliter leur passage à la frontière… Et d’éviter certaines mesures de contrôle.
Charles D. reçoit en échange un peu d’argent, réalise des voyages au Maroc et en Angola et y rencontre un mystérieux commanditaire désigné, à la manière d’un 007, sous son seul nom de code : M118. Il s’agit de Mohamed B. C’est à lui que le fonctionnaire a pris l’habitude de remettre les fiches S par l’intermédiaire de Driss A.
Fantôme. Recherché depuis le 18 février 2018, cet agent des services secrets marocains (nom de code : M118) reste introuvable depuis le 13 février 2018.
Des dizaines de fiches d’informations confidentielles de personnes liées à la mouvance islamiste ont, en toute illégalité, changé de main.
Nous sommes alors en 2016. Entendu par la police, Charles D. assume tout: «Je sais que cette façon de procéder est illégale. Toutefois, je le fais dans l’intérêt supérieur de la nation afin de prévenir tout acte terroriste sur notre territoire. » Et tant pis si les renseignements fournis concernent parfois des dignitaires étrangers ou un ex-ministre algérien… « Vive sa Majesté ! »
Au fil des mois, M118 se fait de plus en plus présent et parvient à rencontrer le directeur de la PAF d’Orly, par ailleurs conjoint de la patronne de l’IGPN. Il invite aussi personnellement Charles D. au Maroc, lui proposant au téléphone de venir avec sa famille. Ce dernier se dit enchanté. «Vive sa Majesté!» s’écrie-t-il.
Après trois ans de procédure, Charles D., Driss A. et Mohamed B ont tous été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour un procès qui n’a pas encore été audiencé. Selon Blandine Russo, l’avocate de Charles D.: «Ce sont les fragilités de mon client, sa volonté d’agir contre le terrorisme et son état psychologique au moment des faits qui ont pu en faire une cible de choix» pour un agent du Renseignement. «Il a toujours affirmé ne pas avoir été payé pour ses services.»
Dans son ordonnance de renvoi, révélée par Le Parisien, le juge d’instruction a quant à lui souligné qu’il était «rarissime qu’un dossier relevant du secret étatique soit ainsi judiciarisé, surtout par le biais d’un renseignement anonyme. […] Aucune hypothèse ne peut être, à ce jour, émise quant aux motivations de cette dénonciation, alors qu’il a été démontré qu’un membre du renseignement marocain était en contact avec des fonctionnaires de la PAF d’Orly».
Selon plusieurs sources, cette affaire a attiré l’attention sur les actions de Mohamed B. dans l’Hexagone. Plus qu’un simple agent, l’homme est en réalité un rouage essentiel de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), l’équivalent marocain de la DGSE française. Sa mission? Accroître le contrôle du royaume chérifien sur la pratique de l’islam en Europe.
Si l’espion compte de nombreux faits d’armes, notamment en Espagne, il est aujourd’hui soupçonné d’avoir été, des années durant et avant sa fuite, l’agent traitant du président du Conseil français du culte musulman (CFCM), le Franco-Marocain Mohammed Moussaoui. Mohamed B. serait ainsi derrière tous les grands projets de ces dernières années pour asseoir l’influence du Maroc sur de nombreuses mosquées françaises et contrer ainsi les intérêts du rival algérien, n’hésitant pas à faire pression sur tel ou tel représentant du culte local pour permettre l’ascension de son poulain, Mohammed Moussaoui.
D’après les informations du Point, les liens entre le président du CFCM et le Maroc sont aujourd’hui si forts que les quittances de loyer de l’appartement parisien occupé par Mohammed Moussaoui sont directement adressées à un certain Samir X., numéro 3 de la DGED à Paris. Ce dernier, qui agit sous couvert diplomatique – il est officiellement considéré comme attaché à l’ambassade du royaume du Maroc en France –, règle ainsi une note de plusieurs milliers d’euros par an. Une pratique en cours depuis des années sous l’impulsion de Mohamed B.
Ces relations et cette tentative d’ingérence du Maroc sont susceptibles d’inquiéter fortement au sommet de l’État, alors que le ministre de l’Intérieur ambitionne de réformer en profondeur la gouvernance du culte musulman en France. Une réforme doit émerger en début d’année prochaine après une phase de consultation commencée cette année.
Coopération culturelle.
Contacté, Mohammed Moussaoui se défend de toute ingérence. «La personne que vous présentez comme membre de la DGED [Mohamed B.], je l’ai toujours connue comme chargé de mission au ministère marocain des Affaires étrangères et de Coopération, affirme-t-il. Il a été membre du comité bilatéral franco-marocain, formalisé par la déclaration commune franco-marocaine de septembre 2015, sur la coopération en matière cultuelle.» Et de préciser: «Cette déclaration a été signée, en présence des deux chefs d’État, par le ministre français des Affaires étrangères et le ministre marocain des Habous et des Affaires islamiques. J’ai assisté à cette signature en ma qualité de [représentant de] l’Union des mosquées de France (UMF) et membre de la délégation française qui accompagnait le président de la République, M. François Hollande. Ce comité est chargé de suivre trois dossiers: les imams et psalmodieurs marocains détachés en France, la formation des imams français au Maroc et les aides aux mosquées françaises.»
Selon Mohammed Moussaoui, ses fonctions à l’UMF l’ont conduit à rester «régulièrement en contact avec les membres marocains et français de ce comité. C’est dans ce cadre-là et en toute transparence que j’ai pu avoir des contacts avec M. B.».«S’agissant du logement que j’occupe à Paris, il appartient à l’ambassade du Maroc. Cette dernière le met à ma disposition pour pouvoir assurer ma mission bénévole de gestion des trois dossiers cités plus haut […] Une fois que ma mission sera terminée, notamment avec la fin des imams détachés en 2024 et la mise en place de formations d’imams en France, je ne disposerai plus de ce logement, dont d’ailleurs je n’aurai plus besoin.» La mission de Mohamed B. ? Accroître le contrôle du royaume chérifien sur la pratique de l’islam en Europe ».
L’Evénement, 04/12/2021
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