Depuis le 9 septembre dernier, le rappeur marocain du Mouvement du 20 février, Mouad Belghouat, est incarcéré à Casablanca. Pour l’heure, aucune date de procès n’a été fixée. De plus, toutes les demandes de liberté conditionnelle présentées par le comité de cent avocats qui se sont portés volontaires pour assister Mouad dans son procès, ont été refusées par le tribunal. Mouad a été interpelé suite à une plainte pour « coups et blessures » déposée par un membre des forces royalistes. Pour les avocats de Mouad, ce témoin à charge est un « témoin fabriqué ». D’après eux, la justice marocaine aurait inventé ces fausses accusations pour faire taire le rappeur qui, dans ses chansons, critiquait le régime politique et la famille royale marocaine. Le procès de Mouad est-il un cas isolé ? Non, affirme Zineb el Rhazoui. Bien au contraire : Le régime aurait régulièrement recours à des arrestations arbitraires et intimidations en tout genre pour réprimer le mouvement de contestation.
Zineb el Rhazoui est journaliste franco-marocaine et co-fondatrice du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (MALI). Ayant fait l’objet de menaces de mort, la jeune activiste est venue se réfugier en Belgique.
Magali Kreuzer pour ARTE Journal : Avez-vous des nouvelles de Mouad ? Où en est la procédure pénale ?
Zineb el Rhazoui, militante marocaine : Le comité de cent avocats qui défend Mouad, alias « el Haked » (l’enragé), vient d’annoncer le rejet de la requête qui a été déposée pour la liberté conditionnelle de Mouad. Cette requête vient d’être rejetée par le parquet de Casablanca ce dimanche 6 novembre. Mouad n’a donc pas passé la fête de l’Aïd el Kébir en famille.
ARTE Journal : Que lui reproche-t-on ?
Zineb el Rhazoui : Cette plainte a été déposée par un certain Mohamed D. qui fait partie de l’alliance des jeunesses royalistes. Il s’agit donc d’un baltaji, qui fait partie de ces groupes de mercenaires employés et grassement payés par le régime pour organiser des contre-manifestations, des soit-disant manifestations de défense du roi, de la patrie etc… Cette personne, qui ne se présente même pas aux audiences, a porté plainte contre Mohamed el Haked pour agression et coups et blessures, ce qui est un motif totalement faux. On sait que le régime marocain est passé maître dans l’art de l’invention de faux procès. Je cite par exemple le cas du boxeur franco-marocain Zakaria Moumni, qui a été champion du monde de boxe thaï et qui vient d’être condamné à trois ans de prison pour des motifs à peu près similaires. Deux personnes, qui vraisemblablement n’existent même pas, ont porté plainte contre Zakaria Moumni pour escroquerie.
ARTE Journal : Connaissez-vous d’autres cas similaires à celui de Mouad ?
Zineb el Rhazoui : La pratique des arrestations et de la fabrication de procès est très répandue. Il y a eu des arrestations pratiquement sans motif. Mouad el haked est en prison depuis le 9 septembre sans jugement, sans aucune forme de procédure et sans que le plaignant ne se présente aux audiences. Mouad n’a pas été le seul à être arrêté. Il y a aussi des personnes de son comité de soutien. Le 20 octobre, Maria Karim, qui fait partie de ce comité, a été arrêtée. Elle a passé une nuit au commissariat. Il y a des photos qui montrent des hématomes. Elle a été tabassée dans un commissariat de Casablanca par cinq policiers. Elle a été insultée. On lui a craché dessus etc… Le frère de Mouad a également été arrêté puis relâché, tout comme Nabil al-Qurafi. Ce jeune militant, qui fait partie du comité de soutien de Mouad, a été arrêté par deux policiers qui sont venus chez lui, qui ont prétendu vouloir prendre le thé avec lui et qui l’ont ensuite arrêté. Toutes ces arrestations sont des arrestations illégales, qui se font sans mandat. Il arrive que l’on relâche ces personnes mais pour Mouad, ça n’a pas été le cas, parce qu’on a fabriqué de faux motifs.
ARTE Journal : Quelles sont les causes de cette vague d’arrestations ?
Zineb el Rhazoui : De toute manière, tout un ensemble de militants pour la démocratie au Maroc s’attendaient à ce qui allait arriver. Après le simulacre de réforme constitutionnelle, cette constitution concoctée en trois mois puis votée à 99% de « oui » avec des fraudes massives au référendum, vient le temps des règlements de compte. Donc aujourd’hui, après avoir calmé l’opinion internationale, après que le régime marocain ait mis en place ce simulacre de réforme pour pouvoir prétendre au niveau international qu’il a devancé les revendications du mouvement de contestation – ce qui, je le dis au passage, n’a pas du tout été le cas – aujourd’hui, le régime passe à une deuxième phase, qui est celle des arrestations massives dans les rangs des militants et des règlements de compte. Et le régime ne se limite pas aux arrestations. Il y a aussi eu des assassinats. Je cite le cas de Mohammed Boudouroua, assassiné le 13 octobre à Safi. Il s’agit d’un diplômé chômeur âgé de 36 ans. Il a été poussé par un policier du haut d’un toit d’immeuble. Un autre diplômé chômeur s’est également fait assassiner dans une ville au nord du Maroc, Al Hoceima. Après être rentré d’une manifestation à Casablanca, il s’est fait assassiner par un baltaji, qui lui a planté un couteau dans le dos. Dans les deux cas, les responsables de ces assassinats n’ont pas été inquiétés, alors que pour Mouad, où l’on demande juste la libération conditionnelle en attendant que le procès ait lieu, le parquet continue à refuser sa libération, alors qu’il remplit toutes les conditions : il a un casier judiciaire vierge et il n’y a pas de preuves dans le procès qui lui est fait.
ARTE Journal : Ces arrestations massives ne vont-elles pas à l’encontre de toutes les promesses de réformes faites par le roi Mohammed VI ?
Zineb el Rhazoui : Je précise que le Maroc n’est pas du tout une démocratie. Aujourd’hui, le régime marocain est extrêmement gêné par la vague de contestation qui est menée par le Mouvement du 20 février et par d’autres représentants de la société civile. Beaucoup de mouvements sociaux éclatent un peu partout. Il y a toute une jeunesse qui n’en peut plus. Elle n’en peut plus du chômage, de l’absence de liberté. Elle n’en pleut plus de cette absence de démocratie organisée par le régime marocain. Elle n’en peut plus de l’État policier. Cette jeunesse qui sort, qui s’exprime, qui parle librement, qui fait aussi un travail de sensibilisation de la population marocaine sur la situation politique et économique au Maroc, cette jeunesse est très gênante pour le régime. Je rappelle que le roi du Maroc, à ce jour encore et malgré la réforme constitutionnelle, continue de concentrer l’ensemble des pouvoirs entre ses mains : du pouvoir exécutif jusqu’au militaire, judiciaire, religieux, sans parler du pouvoir économique. Il concentre à lui seul plus de la moitié de l’économie nationale. Je veux dire par là que le roi du Maroc possède à titre personnel plus de 65% de la capitalisation boursière au Maroc. C’est une situation qui ne peut plus durer. Donc aujourd’hui, après ce simulacre de réforme constitutionnelle, la rue continue à se soulever, ce qui est très gênant pour le régime, parce que l’on se retrouve dans une situation où il y a une confrontation directe entre le Palais et la rue.
ARTE Journal : Avez-vous également fait l’objet d’intimidations ?
Zineb el Rhazoui : Oui, j’ai moi même fait l’objet d’intimidations. J’ai reçu beaucoup de menaces de mort. On a donné mon lieu de résidence sur les forums, parce que j’ai accordé une interview à un quotidien algérien « El Watan » dans laquelle j’ai qualifié Mohammed VI de dictateur, ce qui n’a pas plu manifestement. J’ai également fait l’objet d’une violation de domicile en juin dernier, où une quinzaine de policiers en civil ont arraché la porte de mon appartement à Casablanca à 5h45 du matin pour arrêter mon compagnon, qui est également opposant au régime et qui a aussi fait l’objet d’un faux procès. On l’a accusé de vol d’un ordinateur qui lui appartient. Quant à moi, on a voulu me poursuivre pour prostitution, parce que je me trouvais avec un homme qui n’est pas mon mari sous le même toit. Le régime a renoncé à cette accusation au dernier moment, voyant que j’assumais totalement ma vie privée et que j’étais prête à dénoncer dans les médias ce régime qui est prêt à poursuivre deux opposants parce qu’ils ont des relations sexuelles ensemble. Aujourd’hui, on en est là au Maroc. On n’est pas du tout au pays qui serait soit-disant l’exception arabe, on est dans un pays qui a fait une réforme en trompe-l’oeil et qui a été applaudi par Sarkozy et Juppé comme étant une grande avancée démocratique. Ce régime aujourd’hui continue d’user de pratiques de détention arbitraire, d’arrestations illégales, de torture dans les commissariats. Nous avons encore au Maroc des centres de détention secrets, comme celui de Temara, que l’on appelle la prison verte et qui est un secret de polichinelle. Nous ne sommes pas tout à fait dans un État de droit. Le contrôle du sécuritaire échappe totalement aux institutions politiques et représentatives du peuple. C’est ce qui explique largement que la contestation ne cesse pas malgré cette fausse réforme constitutionnelle.
Par ARTE à la rencontre des peuples pour partager leur combat pour la liberté, 9/11/2011.
Solidarité Maroc, 10/11/2011