Said Bouteflika, au cœur de “l’énigme algérienne”

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Un peu plus d’un an après avoir quitté ses fonctions, l’ancien ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt revient sur les deux missions qu’il a eu à y effectuer: une première de 2008 à 2012 et une seconde de 2017 à 2020. Cette dernière est marquée, de son point de vue, par l’émergence de l’armée qui a contraint Abdelaziz Bouteflika à rendre les clés.

Dans la carte diplomatique française, Alger est un poste important et y être affecté donne “le sentiment d’accéder à une responsabilité éminente”.

Dans un livre qu’il vient de publier à Paris sous le titre “L’énigme algérienne, chroniques d’une ambassade à Alger”, il s’est délesté du langage policé du diplomate et a livré un témoignage fourmillant d’anecdotes qu’il présente comme significatives du fonctionnement du “système” d’avant le hirak de février 2019.

Un système qu’il juge “opaque” malgré une façade institutionnelle tout à fait comparable à celle d’un pays démocratique mais qui, ici, n’est qu’une vitrine derrière laquelle tout se passe dans une épaisse opacité. “Ce qui fait notre force c’est l’opacité de notre système”, aurait dit, selon lui, l’ancien Premier Ministre Abdelmalek Sellal. C’est ce qui a permis à Said Bouteflika, officiellement conseiller spécial du chef de l’Etat, de s’emparer des leviers qu’il actionne avec ses amis. Le conseiller inspirait une crainte à tous: ministres ou hommes politiques, hommes d’affaires ou diplomates.

Personne d’ailleurs ne pouvait approcher l’ancien syndicaliste-universitaire “sauf un cercle restreint d’hommes d’affaires qui le retrouvaient le soir”, comme Ali Haddad, Mahieddine Tahkout, les frères Kouninef et quelques autres.

Ali Haddad aurait clairement affiché son influence en lui disant qu’il fallait passer par lui pour améliorer la qualité de la relation bilatérale. Depuis ces hommes croupissent en prison pour les errements ruineux dans la manipulation du denier public.

M. Driencourt évoque la complicité entre l’ex-président du FCE et le grand chambellan d’El-Mouradia lors du court passage de Abdelmadjid Tebboune au Palais du gouvernement comme Premier ministre.

La mise en scène exécutée au cimetière d’El Alia lors des funérailles de Rédha Malek “était vraisemblablement destinée à humilier publiquement” M. Tebboune qui avait sommé Ali Haddad d’honorer ses contrats, écrit le diplomate.

La scène est ainsi décrite par l’auteur. “J’allai à la cérémonie et, venant d’Alger, je fus introduit par le protocole algérien dans la pièce où se tenaient les ministres et les dignitaires du régime, ancien moudjahids pour la plupart, en attendant les prières de l’inhumation. Le Premier ministre Tebboune arriva et salua les personnes assises en arc de cercle autour de la pièce. Soudain arrivèrent bras dessus, bras dessous, Saïd Bouteflika et Ali Haddad, industriel, symbole de la corruption du régime. Les deux hommes devisaient, riaient, partirent ensemble jusqu’à la sépulture de Rédha Malek, sans faire attention ou saluer le Premier ministre présent; à l’issue de la cérémonie, comme pour montrer qui réellement gouvernait en Algérie, ils filèrent tous les deux dans la voiture de Saïd, entourés de motards des services de la présidence, laissant là le Premier ministre Tebboune (…) On le voyait là, planté au milieu de la foule tandis que les deux conspirateurs quittaient les lieux dans un cortège de Mercedes noires: il n’y a avait pas besoin de communiqué ou de relevé de décisions! La messe était dite et le message clair…”

Il fallait dès lors trouver un prétexte pour l’abattre. On le trouva dans le voyage effectué par le Premier ministre à Paris où il fut reçu par son homologue Edouard Philippe. On a laissé croire que ce voyage n’avait pas eu l’aval de la présidence. “Je me souviens parfaitement que cette rencontre à Matignon fut organisée par un collaborateur du Premier ministre auquel je fis préciser, le fonctionnement du système algérien, que la présidence avait effectivement donné un nihil obstat (aucune objection). Lui avait-on donné cet accord à dessein pour mieux le perdre?

L’ex-ambassadeur donne l’impression d’avoir été choqué par la mise en scène et l’acte de ces “conspirateurs”. La narration suggère une sympathie pour Abdelmadjid Tebboune qui n’est d’ailleurs pas critiqué dans le livre.

Tout au long des 250 pages de son livre, M. Driencourt s’emploie à démentir un certain nombre d’idées reçues sur une prétendue influence de la France en Algérie. Selon lui, ce sont des idées cultivées pour entretenir une haine de son pays par les Algériens.

“L’Algérie se gouverne seule et j’ai vu durant les sept années passées à Alger combien la France n’est qu’un partenaire parmi d’autres, banal, et finalement plutôt mal traité par rapport aux autres”, relate M. Driencourt.

Sur le plan économique, il observe un rétrécissement de la place de la France au profit de la Chine, devenu le premier partenaire de l’Algérie. Mais aussi de l’Italie, de l’Espagne et de l’Allemagne, selon les secteurs.

M. Driencourt revient sur l’épineuse question des visas et plus généralement sur la circulation entre les deux pays. Il montre une connaissance très fine des questions d’immigration marquée d’une analyse plutôt droitière. Il révéla qu’en 2018, les autorités françaises avaient décidé de durcir les procédures de délivrance des visas pour les algériens réduits, au démurant, de 420 000 à 250 000.

Il ne manqua pas de stigmatiser les responsables algériens d’alors qui trichaient “en s’installant frauduleusement en France, en faisant venir leur famille sur la base d’un seul visa de tourisme ou en laissant des ardoises” dans les hôpitaux français.

De Paris, Nidal Aloui

Le Jeune Indépendant, 23/03/2022

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