Le Maroc, allié arabe privilégié d’Israël

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L’accord de reconnaissance d’Israël par le Maroc le 12 décembre 2020 ne peut pas être considéré comme une surprise. Il s’inscrit dans la longue histoire de la relation des souverains alaouites avec leur minorité juive qui était la plus importante du Monde arabe. Certes, les juifs marocains avaient un statut de dhimis, mais n’oublions pas que dans la notion de dhimmitude, il y a aussi celle de protection. Et c’est dans le cadre de cette protection de ses sujets juifs que le futur Mohammed V s’oppose à l’application des lois antisémites de Vichy.

L’installation des juifs marocains en Israël

Les premières relations entre les juifs marocains et le mouvement sioniste furent très précoces ; des rabbins marocains prirent contact avec Theodor Herzl dès les premières années du xxe siècle, avant le début du protectorat. Elles se développèrent après la première guerre mondiale, malgré la méfiance des élites sionistes ashkénazes. Ces relations, coupées par la seconde guerre mondiale, reprirent et s’amplifièrent après le débarquement allié de 1942 : des familles juives marocaines partirent s’installer en Palestine. Ce mouvement prit une autre ampleur avec la création d’Israël en 1948 : en une vingtaine d’années (1948-1966), plus de 95 % des juifs marocains – 265 000 personnes en 1948, soit 3 % de la population marocaine- quittèrent leur pays natal. Il faut distinguer trois périodes correspondant à trois types de relations politico-diplomatiques : Qadima (1948-1956), Misgeret (1956-1961) et Yakhin (1961-1966).

Qadima

La première période correspond à la fin du protectorat. L’organisation sioniste Qadima, reprise en mains par le Mossad dès sa création, organise le départ des juifs marocains à partir de ses bureaux installés dans plusieurs villes et d’un camp de transit, appelé lui aussi Qadima, situé à proximité d’El-Jadida. Le transfert se fait vers Marseille, en accord avec les autorités coloniales du protectorat, afin que les « partants » y prennent un bateau pour Israël. En tout, c’est environ 108 000 juifs ma¬rocains qui sont partis pour Israël entre 1948 et 1956.

Misgeret

La seconde période commence par l’indépendance marocaine (1956). Le roi Mohammed V, avec le soutien de l’ensemble de la classe politique, n’était pas favorable à la continuation du départ des juifs pour Israël. Dès 1954, le Mossad avait créé une organisation d’autodéfense qui prit le nom de Misgeret en 1955 et se développa grâce à l’aide française pendant les derniers mois du protectorat et après l’indépendance. Elle organisa clandestinement le départ des juifs pour Gibraltar ou l’Espagne. En janvier 1961, le naufrage d’un bateau de migrants juifs ré¬véla le secret de l’exfiltration des juifs, ce qui suscita la colère du Maghzen (les autorités politiques et administratives). Ainsi, en 5 ans, un peu plus de 30 000 juifs avaient pu quitter le Maroc pour Israël grâce au Mossad.

Yakhin

Le 26 février 1961, Mohammed V décède et le prince héritier, Moulay Hassan, lui succède sous le nom de Hassan II. Le nouveau roi, plus pragmatique que son prédécesseur, comprend l’intérêt politique et financier qu’il peut tirer du retour à une émigration légale de ses sujets juifs. Après l’échec d’une première tentative de négociation avec Mohammed V en 1959, le Mossad prépare beaucoup mieux les pourparlers avec le pouvoir chérifien en multipliant les contacts indirects via des intermédiaires juifs marocains. Conscient des difficultés économiques du Maroc et des « atteintes » que lui porterait le départ de ses juifs, Israël propose, en 1961, une indemnisation pour chaque juif s’installant en Israël ! Un accord de compromis – secret et sans traces écrites – est trouvé et pour chaque juif arrivé en Israël, les autorités marocaines reçoivent une indemnisation de 100 à 250 dollars ; c’est plus de 96 000 juifs qui bénéficieront de cet accord israélo-marocain.En tout, environ 238 000 juifs marocains se sont installés en Israël entre 1948 et 1967 (et quelques dizaines de milliers par la suite). C’est aujourd’hui la plus importante communauté séfarade d’Israël avec, environ, 600 000 à 800 000 personnes. Ils ont quitté leur pays natal dans des circonstances variables, en fonction des évolutions politicodiplomatiques de la période 1948-1967, mais deux conclusions s’imposent : ils n’ont pas été expulsés du Maroc et pendant la totalité de la période, le Mossad était à la manœuvre pour organiser les départs…

Vers la reconnaissance d’Israël

De Hassan II…Depuis 1963, une coopération directe, mais non officielle, entre Israël et le Maghzen a commencé à s’élaborer dans les domaines sécuritaires (défense, renseignement, services secrets…), puis, elle s’est étendue aux domaines économiques. Les deux premiers exemples de cette coopération ont été l’accord donné au Mossad pour enregistrer les débats du sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu à Casablanca en septembre 1965 (ce qui aurait été l’un des éléments importants pour la victoire israélienne de juin 1967) et l’implication, tardivement révélée (2015), du Mossad dans l’enlèvement et l’assassinat du leader tiers-mondiste marocain, Mehdi Ben Barka, en octobre 1965 ; le second étant une contrepartie du premier. Au-delà de ces affaires spectaculaires, la coopération israélo-marocaine sera permanente, mais inavouée. Hassan II, tenant à jouer un rôle d’équilibriste entre Israéliens et Arabes, ne reconnaîtra jamais l’État hébreu et enverra même des troupes sur le Golan lors de la guerre de 1973 (en informant Israël ?). Les centaines de milliers d’Israéliens d’origine marocaine ont permis d’installer un pont diplomatique entre les deux États. Hassan II reçoit de nombreuses délégations officielles israéliennes ; par exemple, en 1986, il rencontre Shimon Peres alors Premier ministre. En 1994, suite aux accords d’Oslo, « notre ami le roi » accepte l’installation d’un bureau israélien au Maroc. Il est bien entendu impossible de citer ici tous les exemples de coopération israélo-marocaine. Il y a néanmoins un point à souligner : entre 1980 et 1986, Israël (ainsi que les États-Unis) apporte une importante aide technique au Maroc pour la création et l’équipement en systèmes de surveillance du « mur » de 2 700 km de long au Sahara occidental.…

à Mohammed VI

Mohammed VI, qui succède à son père en 1999, suit sa politique pro-israélienne (malgré l’opposition d’une grande partie de sa population) et développe considérablement les relations économiques et commerciales avec l’État hébreu : le Maroc devient l’un de ses principaux partenaires économiques africains. Il continue aussi la coopération sécuritaire avec l’achat en 2017 à la société NSO de son fameux logiciel espion Pegasus qui sera dévoilé à l’été 2021 (cf. PalSol no 78). Mais en 2020, les « six décennies de relations non avouées » vont être officialisées, au désespoir des Palestiniens et des sujets de Mohammed VI. Après la visite de Jared Kushner, gendre-conseiller de Donald Trump pour le Moyen-Orient en août 2020, l’affaire était en bonne voie : le Maroc reconnaîtrait Israël et Trump reconnaîtrait la marocanité du Sahara occidental.La normalisation des relations entre Israël et le Maroc n’a donc rien à voir avec le cas des pays du Golfe qui craignent l’Iran ; elle obéit à des considérations internes, en particulier, à la question toujours pendante du Sahara occidental. L’accord tripartite (EU, Israël, Maroc) est annoncé le 10 décembre et signé solennellement le 22 décembre 2020. Cette reconnaissance – qui semble être le fait d’une décision solitaire du roi – s’inscrit de fait dans une stratégie de rejet de l’initiative de paix arabe de 2002 (la reconnaissance d’Israël étant conditionnée par la création d’un État palestinien). Cette reconnaissance sera suivie de multiples visites de ministres israéliens au Maroc qui, à chaque fois, signent des accords de coopération : Yaïr Lapid le 12 août, Benny Gantz le 24 novembre. À l’occasion de cette dernière visite, un important accord sécuritaire a été paraphé alors que le contexte de tension avec l’Algérie est à un niveau élevé. (cf. dessin de Dilem)

Jacques Fontaine

France-Palestine, 30 juin 2022

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