Les wikileaks du Maroc : les 149 mails de l’épouse d’Arístegui avec le chef de cabinet des services secrets de Mohamed VI
Propose des actions de propagande et cite Carlos Herrera, Pepa Bueno, Luis del Olmo, Ramón Pérez-Maura… Rabat a fermé le compte du leaker. Le CNI enquête sur l’affaire
La fuite de 149 e-mails qui ont croisé Nadia Jalfi -épouse de Gustavo de Arístegui- et le directeur de cabinet du directeur des services secrets marocains a provoqué un séisme politique au Maroc. Les mails, disparus du réseau à la demande de Rabat, relatent le travail effectué par l’épouse de l’actuel ambassadeur d’Espagne en Inde pour améliorer l’image de son pays dans les médias européens.
Sous le pseudonyme de Chris Coleman, un hacker marocain a passé des mois à révéler des informations classifiées concernant le gouvernement et la monarchie alaouite. Les documents qu’il a téléchargés sur des serveurs étrangers puis publiés sur un compte Twitter comprenaient également des courriels de hauts responsables des services secrets marocains.
Le dernier forfait filtré a entraîné la fermeture de son compte sur le réseau social à la demande de Rabat et la suppression complète du fichier qui circulait sur Internet hébergé sur un serveur. Il contenait 149 courriels entre Murad El Gul, directeur de cabinet du directeur de la DGED – acronyme du service de renseignement marocain – et Nadia Jalfi, épouse de l’actuel ambassadeur d’Espagne à New Delhi, Gustavo de Arístegui.
Jalfi et Arístegui se sont mariés à Rabat en 2010, alors qu’il était porte-parole des Affaires étrangères au Congrès des députés. Le couple vit actuellement à New Delhi (Inde), où Arístegui est ambassadeur depuis plusieurs années.
La publication de ces courriels n’a pas seulement affecté le Maroc. Comme l’a appris El Confidencial Digital, les services de renseignement espagnols ont également lancé une enquête sur l’origine de ces fuites et les conséquences pour notre pays de ce qui y est révélé.
Le CNI veut savoir s’il y a du matériel qui pourrait affecter les intérêts espagnols, disent les sources consultées par ECD.
Commissions pour améliorer l’image du Maroc dans la presse
Dans la centaine et demi de courriels, au contenu desquels El Confidencial Digital a eu accès, sont relatées les actions de communication et de propagande que l’épouse d’Arístegui a menées pour le gouvernement marocain entre 2008 et 2011.
Ces tâches, dont il a informé El Gul via un compte de messagerie, visaient toujours à améliorer l’image du Maroc dans la presse d’Espagne, d’Italie, de France et du Royaume-Uni. Il a traité une multitude de dossiers de presse sur l’actualité avec des mentions du pays Aluit dans les médias européens, mettant un accent particulier sur l’information sur le conflit du Sahara.
Voici quelques-unes des affaires auxquelles la femme d’Arístegui a directement participé :
– Programme avec Carlos Herrera à Rabat : c’est un projet qui n’a pas abouti, mais Jalfi a envoyé à El Gul plusieurs documents sur la réalisation d’un programme spécial de ‘Herrera en la Onda’ à Rabat. Jalfi parle mot pour mot de l’impact de l’émission et de son animateur, un « leader d’opinion », pour « honorer notre pays et son évolution politique et économique ». Le budget du plan était également joint : 72 000 euros, voyage et séjour séparés pour l’équipe. En échange, Onda Cero a promis de faire trois mentions du lieu où serait diffusée l’émission, ainsi qu’une interview du parrain.
-Voyage de Ramón Pérez-Maura au Maroc : Jalfi rapporte l’arrivée au Maroc du directeur adjoint du journal ABC pour un séjour de quatre jours, et propose la recherche de personnalités pour interviewer le journaliste. Ils doivent être, a-t-il dit, ceux « que nous estimons capables de transmettre le bon message ».
-Le Premier ministre marocain, avec Pepa Bueno sur ‘TVE’s breakfasts’ : dans le cadre de ses plans pour atteindre l’opinion publique espagnole, Jalfi parle de ses efforts pour que l’espace dirigé par le journaliste Pepa Bueno diffuse une émission spéciale de Rabat, qui comprennent une entrevue d’une demi-heure avec le Premier ministre marocain. Quelque chose que, comme le rappelle la femme d’Arístegui, la chaîne avait déjà fait avec Ahmadinejad d’Iran.
– ‘Protagonistas’ avec Luis del Olmo et Félix Madero à Rabat : en mai 2010, l’espace Punto Radio ‘Protagonistas’ s’est rendu dans la capitale marocaine pour réaliser une émission en direct. Jalfi envoie à ses services secrets contacter l’audio promotionnel que la chaîne a diffusé quelques jours avant le voyage, demandant « donnez-nous le ok ». La réponse est : elle a déjà été « transmise au PDG ».
– Un documentaire sur le Sahara : Jalfi informe Murad El Gul de ses « conversations informelles » avec José Antonio Zorrilla, alors consul général d’Espagne à Bata, en Guinée équatoriale. Comme il le raconte, il était « particulièrement excité » à l’idée de réaliser un documentaire sur le Maroc.
– Un documentaire sur le Sahara : Jalfi informe Murad El Gul de ses « conversations informelles » avec José Antonio Zorrilla, alors consul général d’Espagne à Bata, en Guinée équatoriale. Comme il le raconte, il était « particulièrement excité » à l’idée de réaliser un documentaire sur le Maroc. Il dit qu’on lui a proposé de faire un article sur « la souveraineté historique du Maroc sur le Sahara » et qu’il l’évaluait. « Inutile d’insister sur le bénéfice » qu’aurait la réalisation « d’un projet de cette nature », indique-t-il dans ses mails.
– Intervention dans Cadena COPE : la femme d’Arístegui envoie au chef de cabinet des services secrets à Rabat un e-mail avec pour objet « Cadena Cope », dans lequel il inclut un lien vers son intervention dans Cope en 2009. Il ne fait pas référence à l’objet de vos déclarations et le lien a été désactivé.
– Match contre la pauvreté : Jalfi a servi de médiateur avec El Gul dans l’organisation d’un match de charité pour l’ONU à Fès (Maroc), auquel ont participé les footballeurs Zinedine Zidane et Ronaldo. Plus précisément, il a fait part au directeur de cabinet de la DGED des problèmes de l’agence espagnole qui a organisé la réunion pour rencontrer les autorités locales. Le match a finalement eu lieu en novembre 2008.
– Voyages de journalistes italiens au Maroc : une grande partie des e-mails reflètent des conversations entre Nadia Jalfi et des journalistes italiens qui demandent à se rendre dans le pays pour faire un reportage. Dans certains cas, invité par le gouvernement alaouite pour divers événements, comme le festival du film de Marrakech ou un tournoi de golf portant le nom de Hassan II. Il existe des dossiers de passeport avec des données personnelles ainsi que des vols à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
– Lobbies italiens : Certains des e-mails montrent le travail du Maroc avec une société de conseil italienne pour véhiculer l’image que Rabat veut donner du conflit du Sahara aux médias italiens, ainsi que d’autres questions sociales. Dans certaines d’entre elles, la consultante propose des actions concrètes, comme un reportage dans le magazine Vanity Fair d’une femme marocaine à déterminer – « politicienne ou femme d’affaires » – ; ou une interview de la princesse Lalla -épouse de Mohamed VI- dans la presse espagnole, italienne et française.
El Confidencial digital, 03/02/2015
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