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Comment, du jour au lendemain, les relations diplomatiques entre la Tunisie et le Maroc se sont-elles dégradées aussi rapidement ? L’incident diplomatique relatif à l’accueil du chef du Polisario à Tunis en est-il réellement la cause unique et directe ? Le Maroc craint-il un rapprochement quasi-parfait entre la Tunisie et l’Algérie ?
Entre la Tunisie et le Maroc, une crise diplomatique s’est bien installée au point que les deux pays ont rappelé leurs ambassadeurs. L’incident est simplement dû à l’accueil du chef du Polisario à Tunis à l’occasion de la Ticad 8, mais les causes sont bien plus profondes.
La crise actuelle entre les deux pays fait étendre son spectre sur l’Union du Maghreb arabe (UMA) déjà affaiblie par la tension interminable entre Alger et Rabat sur la question du Sahara occidental.
Pour rappel, la Tunisie avait annoncé, il y a dix jours, le rappel de son ambassadeur au Maroc, dans la foulée d’une décision similaire, la veille, de Rabat à l’égard de Tunis pour protester contre l’accueil dans la capitale tunisienne du chef du Front Polisario, Brahim Ghali. Une crise qui a marqué les travaux de la Ticad 8 boycottés par le Maroc.
En annonçant le rappel de son ambassadeur, Tunis a assuré avoir «maintenu sa totale neutralité sur la question du Sahara occidental dans le respect de la légitimité internationale», prônant une «solution pacifique et acceptable par tous».
Mais pour le Maroc, l’accueil de Brahim Ghali à la Ticad est «un acte grave et inédit, qui heurte profondément les sentiments du peuple marocain ». Rabat estime que Tunis a invité «unilatéralement» Brahim Ghali au sommet «contre l’avis du Japon et en violation du processus de préparation».
«Nous nous apprêtons à ce que la Tunisie mène la médiation entre Alger et Rabat, et nous voilà surpris par une nouvelle crise», se désespérait pour sa part Taieb Baccouche, le secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe. Ce dernier venait juste de lancer une initiative pour «une retraite» des ministres des Affaires étrangères des cinq pays membres de l’Union dans le but «d’élaborer un plan de paix pour la Libye» et tenir «des réunions bilatérales pour discuter des différences».
De nouvelles formes
Au Maroc, cet incident diplomatique a pris de nouvelles formes, et c’est ce qui explique d’une manière ou d’une autre la gravité de la situation et la profondeur de la crise du côté du royaume chérifien. Les médias marocains se sont rapidement précipités à orchestrer une campagne de dénigrement sans précédent, ciblant la Tunisie, ses intérêts et son président.
Une situation qui n’a pas laissé le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) muet. Le Snjt a fustigé la «campagne médiatique orchestrée par un certain nombre de médias et de sites internet marocains contre l’État tunisien, suite à la polémique enclenchée sur fond de la visite du chef du Front Polisario en Tunisie pour participer à la conférence internationale de Tokyo pour le développement en Afrique (Ticad 8)».
Tout en réaffirmant son rejet catégorique des différentes formes de débordement médiatique marocain et les tentatives visant à faire muer le débat politique et diplomatique en des campagnes diffamatoires immorales sciemment orchestrées, visant à ternir l’image de la Tunisie et porter atteinte à ses intérêts, le Snjt prévient dans un communiqué contre «l’implication de certains médias marocains et étrangers dans « la manipulation sans équivoque de l’affaire à des agendas politiques».
Dans les médias marocains, on est allé jusqu’à qualifier la Tunisie d’un régime sous le protectorat de l’Algérie. Dernièrement, le politologue marocain Mustapha Sehimi a estimé que la Tunisie est sous le protectorat de l’Algérie. Sur le plan économique, plusieurs appels à boycotter les produits tunisiens ont également marqué la scène médiatique marocaine. En effet, suite à l’incident diplomatique entre la Tunisie et le Maroc, c’est notamment l’Association marocaine de défense du consommateur qui a appelé les Marocains à boycotter les produits tunisiens. Un appel qualifié «d’injustifié et d’hostile» par l’Organisation tunisienne de défense du consommateur (ODC).
L’ODC annonce ainsi l’arrêt de sa coopération avec l’association marocaine «jusqu’à ce qu’elle reprenne ses esprits et s’en tienne aux principes universels pour la protection du consommateur».
Dans son communiqué, l’association tunisienne a rappelé les principes de fraternité entre les peuples qui doivent primer dans ces associations, «censées protéger la santé et l’intégrité du consommateur quelle que soit son origine». L’ODC s’indigne contre cette «étrange hostilité injustifiée contraire aux pratiques diplomatiques et aux principes qui devraient régir le travail des associations de défense du consommateur».
Quelles solutions ?
Cette crise ne profite en rien ni au Maroc ni à la Tunisie, dans une conjoncture internationale et régionale marquée par une crise économique profonde.
Qualifiant la situation d’« incident », Ahmed Ounaies, ancien diplomate et ancien ministre des Affaires étrangères, a appelé les deux parties à la retenue. Selon ses dires, la Tunisie devrait prendre l’initiative et missionner un messager pour démêler l’affaire — qui ne peut être résolue à coup de communiqués — et ainsi éviter que la situation ne s’envenime davantage et devienne une véritable crise.
La Presse de Tunisie, 05/09/2022
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