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Khadija Skalli
Meriem est dans la tourmente. La jeune fille fiancée depuis deux ans ne sait à quel saint se vouer. Elle est tiraillée entre son père qui refuse de la marier tant que son futur gendre n’a pas acquis un logement et son fiancée qui rejette l’idée de contracter un crédit bancaire justifiant sa position par des raisons religieuses. Ce dernier, pour qui le crédit bancaire à intérêts est estampillé « haram », ne veut rien entendre. Ce jeune homme n’est pas le seul marocain qui refuse un crédit à intérêts (riba). Ils sont des milliers à partager son avis et s’y tiennent bien que certains oulémas ont « halalisé » la pratique des crédits bancaires à intérêts pour des impératifs socio-économiques. Fatna, une mère de famille installée depuis plus de vingt ans à Casablanca, a beau supplié son mari d’acheter une maison au lieu de louer. Celui-ci est ferme et intransigeant dans sa position. « L’argent de la banque est haram car elle provient du riba ». Fatna dit être fatigué par ces interminables déplacements, à la recherche d’un nouveau local à louer.
« Mes enfants vivent une situation instable. A chaque fois, un nouveau quartier et de nouveaux voisins. Ils ne sont pas non plus stables dans leurs établissements scolaires ». C’est l’impasse ! Pour avoir le cœur net, Meriem s’est adressé à un imam du quartier. « L’islam interdit de pratiquer le prêt à intérêts. C’est haram ma fille ». Un avis qui ne résout pas sa problématique. Sa voisine lui conseille de demander consultation auprès d’un autre imam, cheikh de la mosquée limitrophe. Elle ne perd pas de temps. Pour elle, c’est une question de vie ou de mort. Contrairement au premier imam, celui-ci lui dit que l’islam, pour son cas, accorde son autorisation de contracter un crédit bancaire vu les contraintes socio-économiques. La joie illumine le visage de la jeune fille, qui pousse un soupire de soulagement. Ce moment d’allégresse ne durera qu’un laps de temps.
Halal ou haram ? La question divise les oulémas entre modérés et conservateurs.
« Lequel des deux avis croire ? », s’interroge-t-elle. La question la hante et complique davantage la situation. Abdelbari Zemzmi, ancien imam de la mosquée Al Hamra de Casablanca, interrogé par Le Soir échos, sur la position de l’islam vis-à-vis des crédits bancaires à intérêts explique : « Dans l’islam, le haram peut être permis (moubah) dans des circonstances extrêmes. A titre d’exemples, le riba est haram. Cependant, notre religion accorde une permission aux musulmans de contracter crédits bancaires à intérêts si cette solution est l’unique recours pour acquérir un logement par exemple. C’est hala quand il s’agit de répondre à des besoins de première nécessité et non accessoires comme l’achat de voiture ».
Halal ou haram ? La question divise les oulémas entre modérés et consevateurs même au sujet des produits bancaires dites islamiques, des solutions financières développées par les institutions bancaires pour attirer cette importante clientèle. Le Conseil supérieur des oulémas (CSO) a été même sollicité en 2007 pour émettre une fatwa sur la question. Ses membres, dont les avis divergent, ne sont pas arrivés à trouver un terrain d’entente. L’hésitation de la plus haute autorité religieuse du pays, qui décide de reporter sine die la fatwa, suscite controverse et désarroi de l’opinion publique. Une polémique qui remonte bien avant cette date, plus précisément en 2006, lorsque cheikh égyptien Youssef El Karadawi a émis, lors de sa visite au Maroc, sur invitation du PJD pour animer des conférences à l’occasion de l’université d’été de la jeunesse PJD, une fatwa autorisant les Marocains à contracter des crédits immobiliers avec intérêts. Il a argumenté son avis par l’absence de banques islamiques au Maroc et l’inexistence d’alternatives pour le financement du logement. Une recommandation qui a provoqué un tollé. Mais ce qui a réellement déchaîné l’ire des oulémas est le fait que Cheikh El Karadawi s’est référé à un avis émis par le comité européen de l’Iftaa en faveur de la minorité musulmane d’Europe. Cheikh égyptien s’attire alors les foudres du Conseil supérieur des oulémas. Dans un communiqué, les oulémas de la plus haute instance religieuse dénoncent son « ingérence dans les affaires des Marocains »…une intrusion surtout dans leur domaine de compétence.
32% des Marocains dit « non » pour des raisons religieuses
Une étude réalisée il ya quelques années par des chercheurs universitaires en sciences sociales sur les pratiques et les conceptions religieuses des marocains baptisée « Quels musulmans sommes-nous ? » démontre des avis multiples des Marocains sur le crédit bancaire…voire le désarroi de la population. 45% de la population interrogée disent envisager de contracter un crédit bancaire avec intérêt, en cas de besoin d’argent, alors que 37,5% de la population sondée refusent l’idée. L’argument religieux n’est la seule raison évoquée pour justifier leur position. Selon les enquêteurs, ils sont une minorité à brandir la carte religieuse. Ainsi, 32,6% des Marocains interrogés brandissent des raisons religieuses à leur rejet du crédit bancaire à intérêts contre 65,8% qui évoquent autres justifications. Selon les données de l’enquête, 22% disent ne pas savoir quoi faire. Par ailleurs, l’étude s’est également intéressée au port du voile dans le milieu de travail, à la polygamie, au jeûne, à la cohabitation entre croyants et non croyants et à la mixité sur les plages.
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