Tags : Sahel, Maghreb, EIGS, État Islamique au Grand Sahara, GSIM, Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans, Al Qaida, ISWAP, Etat Islamique en Afrique de l’Ouest, Boko Haram, Libye,
La COVID-19 doit être appréhendée comme un flux mondialisé dans un contexte international en dégradation rapide et durable (Revue stratégique et de sécurité nationale, 2017). La pandémie a constitué un événement qui introduit du trouble. Comme pour tout événement « extraordinaire » de ce type, certains acteurs y ont vu une opportunité pour remettre en cause le fonctionnement et les rapports ordinaires dans les relations internationales. C’est particulièrement vrai dans les zones les plus belligènes du monde. Or, si l’on adopte le point de vue d’Edgar Morin, on peut voir au sud de l’Europe « une ligne sismique (qui) partant du Caucase et s’avançant en Méditerranée, concentre en elle de façon virulente, l’affrontement de tout ce qui s’oppose sur la planète : Occident et Orient, richesse et pauvreté ».
En d’autres mots, cela revient à considérer que la frontière sud de l’Union européenne est un espace qui concentre une série de problématiques liés à cette ligne de fracture. La Méditerranée se caractérise comme une interface entre deux espaces très contrastés. Dans le cadre de la globalisation, cela se traduit notamment par des flux illicites, humains ou matériels, des Sud vers le Nord.
La région Sahel-Maghreb constitue ainsi un espace d’importantes circulations migratoires mais aussi une voie d’acheminement d’armes, de drogues (cannabis, cocaïne, etc.)… La configuration géographique de la Méditerranée explique que les différents flux se concentrent plus particulièrement dans certaines zones (notamment les détroits de Gibraltar et de Sicile). Le traitement nécessairement sécuritaire des uns (drogues,…) s’est largement étendu aux autres (migrations à but économique) avec notamment le rôle de Frontex et les évolutions du fonctionnement cette agence. Le rôle des organisations criminelles transnationales dans ces circulations illicites est également un paramètre explicatif du prisme sécuritaire des politiques publiques, nationales ou européennes, sur les flux migratoires passant la frontière extérieure.
Après les « printemps arabes », alors que se déroule une guerre civile en Libye, les coopérations précédemment nouées entre l’Union européenne et les Etats du Maghreb sont fortement fragilisées. On observe dès lors à des occurrences croissantes de morts et/ou de situations de détresse de migrants en Méditerranée qui participent à des tensions entre acteurs, institutionnels ou de la société civile, voire entre Etats.
À ces éléments de contexte proprement méditerranéen viennent s’ajouter d’autres problématiques à l’échelle Maghreb-Sahel. Le contexte géographique (très faible densité dans le Sahara) et géopolitique (notamment la poussée de l’islamisme radical) a fait de la bande sahélo-saharienne un espace de fixation de groupes djihadistes (actuellement l’EIGS- État Islamique au Grand Sahara – ; le GSIM -Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans – affilié à Al Qaida, et plus au sud, ISWAP – Etat Islamique en Afrique de l’Ouest – et Boko Haram). Après l’intervention française Serval (2013-2014), des dispositifs de maintien de la paix ont été mis en place : Minusma, coopération régionale dans le cadre du G5 Sahel, appui français avec l’opération Barkhane pour ne citer que les principaux.
Les récents coups d’Etat au Mali et au Burkina Faso et leurs conséquences (notamment la fin de l’opération Barkhane) ouvrent la voie à de nouvelles recompositions des dispositifs de maintien de la paix et de la sécurité dans la région. Ces recompositions doivent être interrogées et mises en regard avec les évolutions internes des Etats du Maghreb. Par ailleurs, la crispation des relations entre Maroc et Algérie complexifie les processus de politiques régionales de paix et de sécurité. Enfin, dans un contexte de recompositions des domaines de conflictualités (multi-champs, multi-domaines), l’émergence stratégique et militaire de puissances non riveraines de la Méditerranée occidentale ou du Sahel participent aux dynamiques de déstabilisation de la zone.
On observe ainsi une nette réaffirmation de l’influence russe dans la région. Elle s’est notamment traduite par des propositions d’assistance militaire, directe ou indirecte (groupe Wagner), en Libye ou encore au Mali, mais aussi plus largement par un travail sur l’information et les perceptions du jeu international par les populations locales. Les enjeux sur la frontière sud de l’Union européenne doivent ainsi être posés à plusieurs échelles géographiques et temporelles.
A l’échelle géographique la plus resserrée, après la période de gestion exceptionnelle qu’a pu entraîner la pandémie de Covid, il s’agit de redéfinir une politique de contrôle de la frontière extérieure de l’Union européenne, en partenariat avec les Etats de transit des différentes formes de flux illicites sur la rive Sud.
Cette politique doit prendre en compte les enjeux pour les sociétés du Maghreb : enjeux sociétaux générationnels, démocratiques, de développement économique, place de l’islamisme, … A une échelle plus large, il s’agit de réorganiser les politiques de stabilisation de la zone sahélienne ou de la Libye, de mettre en place ou de consolider ces politiques dans une articulation des trois D (défense, diplomatie, développement) prenant en compte le paramètre des changements climatiques. Pour ce faire, il convient d’analyser le jeu de l’ensemble des acteurs, et pas seulement régionaux ou étatiques, qui interagissent.
Walter BRUYÈRE-OSTELLS (modérateur), professeur des Universités en Histoire contemporaine à Sciences Po Aix, co-responsable du master Géostratégie, défense et sécurité internationale et du mastère spécialisé Renseignement
Source : Revue Diplomatie, décembre
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