Le Maroc, Israël et l’avenir du forum du Néguev

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par Mohamed Chtatou

Le Maroc se prépare à accueillir le prochain sommet du Forum du Néguev, une occasion pour le Royaume de développer ses liens économiques et de combler les fractures régionales.

Fin mars 2022, six pays principalement associés aux accords d’Abraham (AA) – Israël, le Maroc, Bahreïn, les EAU, les États-Unis et l’Égypte – ont participé à un sommet organisé par le ministre israélien des affaires étrangères de l’époque, Yair Lapid, au kibboutz de Sde Boker, dans le désert du Néguev. Destiné à renforcer la coopération entre ces pays, le sommet a donné naissance au Forum du Néguev, un cadre de groupes de travail économiques et diplomatiques qui définira en grande partie les nouvelles relations israélo-arabes dans la région. Les Accords d’Abraham et le Forum du Néguev se sont avérés particulièrement bénéfiques pour le Royaume du Maroc, qui a déjà vu les fruits politiques, économiques, sociaux et géostratégiques de sa nouvelle relation avec Israël.

De plus, le prochain sommet du forum sera accueilli par le Maroc et se tiendra dans un autre endroit du désert, Dakhla, probablement dans le but de souligner le siège du Maroc en Afrique et de promouvoir un message de développement. Pendant le forum lui-même, Rabat cherchera probablement à poursuivre l’évolution des liens bilatéraux, à souligner son prestige dans le forum du Néguev et à plaider en faveur d’une évolution du conflit israélo-palestinien sous les auspices du forum.

Bien que l’accueil du Forum du Néguev marque une nouvelle phase dans les relations diplomatiques récentes du Maroc avec Israël, les liens entre les deux pays – y compris les liens militaires discrets – remontent en fait à plusieurs décennies. Les deux pays ont établi des relations diplomatiques au début des années 1990, avant que le Maroc n’y mette fin au début de la seconde Intifada. Bien entendu, au cours des deux années qui se sont écoulées depuis que Rabat et Tel-Aviv ont officiellement renoué leur partenariat par le biais des Accords d’Abraham, le rapprochement entre les deux pays a été indéniable et les progrès sur ces questions ont été très rapides. À titre d’exemple, de nombreux responsables israéliens de premier plan – dont le ministre de l’Intérieur, le chef d’état-major des forces armées et le chef de la police, après le ministre de la Défense un an auparavant – ont visité le Maroc au cours du seul été 2022.

Sur le plan économique, un accord signé en février 2022 a permis de multiplier par quatre les échanges commerciaux entre le Maroc et Israël, désormais évalués à 500 millions de dollars par an. Selon le ministère israélien de la Coopération régionale, ces liens économiques ne feront que se renforcer. Le potentiel est particulièrement élevé dans le secteur de l’agroalimentaire, notamment en ce qui concerne la technologie d’irrigation israélienne et l’hydrogène vert. Le tourisme est également appelé à jouer un rôle majeur dans le partenariat économique, car Rabat espère attirer des visiteurs de la grande communauté d’Israéliens d’origine marocaine. Les estimations font état de 200 000 touristes israéliens pour 2022, et l’on s’attend à ce que ce nombre augmente encore.

En mai 2022, les accords commerciaux entre le Maroc et Israël totalisaient environ 3,1 millions de dollars, soit une augmentation de 94 %, par rapport à la même période de l’année dernière, et un quasi-doublement par rapport à l’année précédente. Il convient de noter que les EAU – premier pays arabe à signer un accord de libre-échange avec Israël en mai 2022 – cherchent désormais à conclure un accord commercial trilatéral avec le Maroc et Israël, et à porter le commerce avec le Maroc à 7 milliards de dollars d’ici dix ans.

Les Émirats arabes unis ont pour ambition de renforcer le commerce avec Rabat en accélérant le transport de conteneurs. L’accord trilatéral permettra aux trois pays d’explorer les possibilités d’investissement dans divers secteurs et de renforcer la contribution du secteur privé et des entrepreneurs au développement des partenariats commerciaux et économiques.

Le Maroc et Israël : Une alliance militaire en devenir

Au-delà des liens économiques, le Maroc et Israël ont entamé une campagne de coopération sécuritaire sans précédent suite à leur normalisation, motivée notamment par l’escalade des « défis » de la rivalité Maroc-Algérie. En effet, moins d’un an après la signature des accords d’Abraham entre le Maroc et Israël, Benny Gantz et son homologue marocain Abdellatif Loudiyi ont signé un protocole d’accord sur les contrats de défense, marquant le début d’une industrie de défense bilatérale.

Un deuxième accord militaire a été signé au même moment, consacrant la mise en place de commissions militaires conjointes, d’exercices d’interopérabilité entre les Forces armées royales (FAR) et les Forces de défense israéliennes (FDI), et la participation à des exercices internationaux. La coopération pratique a rapidement suivi ; en juillet 2022, Israël a confirmé avoir participé aux exercices conjoints African Lion des États-Unis et de plusieurs pays africains qui se sont tenus au Maroc. Le ministère israélien de la défense a envoyé deux officiers des FDI et un haut fonctionnaire du ministère de la défense pour rejoindre un total de 7 500 soldats pour ces exercices militaires.

Dans ce contexte, le chef des forces armées israéliennes, le lieutenant-général Aviv Kohavi, s’est rendu pour la première fois au Maroc, bien que les sources israéliennes n’aient pas donné d’informations sur la taille de la délégation qui l’accompagnait, ni sur le programme de la visite. La coopération de défense entre le Maroc et Israël continue de s’établir, et les contacts entre les deux pays sont récurrents. Le 25 mars 2022, une délégation militaire israélienne a discrètement effectué sa première visite au Maroc, peu avant le sommet du Néguev.

Bien sûr, ce n’est pas un secret que le Maroc achète depuis longtemps des armes israéliennes. Il y a quelques signes de succès récents sur ce front ; le Royaume est maintenant équipé de drones de type « Heron » fournis par l’industrie de défense israélienne. Le Heron, apparu sur le marché en 2000, peut rester en l’air pendant 45 heures et atteindre une altitude de 35 000 pieds.

Une autre transaction a été effectuée en 2021 pour le drone israélien « Harop ». Jusqu’à la visite d’Aviv Kochavi au Maroc en juillet 2022, les achats d’armes du Maroc à Israël ont toujours été effectués dans le secret absolu. Désormais, les contours des contrats en cours entre les deux pays deviennent visibles pour le public. Dans un avenir proche, le Maroc devrait obtenir de nouvelles technologies et de nouveaux dispositifs israéliens permettant la collecte de renseignements complexes, la surveillance, la patrouille et l’identification de cibles ainsi que la conduite de missions sur différents terrains.

Israël Aerospace Industries a déjà fourni au Maroc un système anti-aérien Barak MX – capable d’éliminer les menaces jusqu’à 150 kilomètres de distance – dans le cadre d’un accord qui comprend également un système de défense antimissile d’IAI Elta Systems, un système anti-drone fabriqué par Skylock, et des conversations sur la modernisation des avions de combat F-5 de l’armée de l’air marocaine. Selon Africa Intelligence, le Maroc est à son tour en train de mettre en place des unités pour fabriquer des drones kamikazes.

L’avenir du sommet du Néguev

Bien que les développements concrets découlant du Forum du Néguev soient encore faibles par rapport aux ambitions déclarées des parties impliquées, le forum a sans aucun doute réussi à réunir les signataires de la « paix froide » – l’Égypte et, espérons-le, plus tard, la Jordanie et la Palestine – et ceux de la « paix chaude » – les signataires des accords d’Abraham, y compris les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Le niveau des échanges économiques et les niveaux croissants de la coopération diplomatique et militaire sont la preuve évidente de ces développements.

De nouvelles avancées sont attendues lors du prochain sommet. Début janvier 2023, les groupes de travail du Forum du Néguev se sont réunis à Abu Dhabi pour discuter des préparatifs du prochain sommet du Forum prévu en mars. Au cours de cette réunion, 150 hauts représentants des différents signataires de l’AA et de l’Égypte se sont concentrés sur la création de six groupes de travail pour couvrir divers aspects de la coopération et orienter les discussions lors des futurs sommets, même si les détails restent vagues. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a évoqué l’importance du Maroc dans le prochain sommet, appelant ses homologues à se rencontrer à l’avenir « dans un autre désert », celui du Sahara marocain.

Alors que la position d’hôte accordera certainement au Maroc une certaine importance parmi les membres du Forum du Néguev, permettant à Rabat de promouvoir ses intérêts économiques et diplomatiques, le Forum continuera également à être un canal par lequel Israël espère gagner plus de légitimité auprès des pays de la région. En effet, en annonçant le Maroc comme lieu du deuxième sommet, le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, a souligné les liens commerciaux à développer avec d’autres pays qui se sont normalisés avec le sien. Selon ses estimations, ces liens représentaient 2,85 milliards de dollars en 2022. Il a poursuivi en disant : « L’extension des accords à d’autres pays n’est pas une question de ‘si’ mais de ‘quand' ». Cohen espère probablement que les relations actuelles conduiront à une nouvelle coopération avec des puissances régionales comme l’Arabie saoudite, malgré l’opinion largement répandue dans la région selon laquelle l’Arabie saoudite conditionnera toute avancée diplomatique avec Israël à des progrès vers une solution au conflit israélo-palestinien. Alors que ce point de vue est synonyme de la solution à deux États prônée par les États-Unis, le gouvernement d’extrême droite de Netanyahu le rejette catégoriquement en Israël.

Alors que les plans pour le prochain sommet se concrétisent, le Maroc souhaite toujours trouver un équilibre entre ses engagements envers les Palestiniens et ses liens avec les Israéliens, malgré la désapprobation des Palestiniens à l’égard des accords d’Abraham. Le Maroc a depuis longtemps un intérêt dans la paix entre les Palestiniens et les Israéliens. Par le biais du prochain sommet du Néguev à Dakhla, Rabat essaiera probablement d’utiliser le sommet comme une occasion de faire des progrès sur la question Palestine-Israël. Le Maroc pourrait chercher à souligner qu’à long terme, la participation au Forum du Néguev aux côtés de tant d’acteurs régionaux majeurs contribuera à apporter aux Palestiniens la pleine souveraineté sur leur patrie en plus de la paix, de la stabilité et de la croissance économique.

En rejoignant le Forum, l’Autorité palestinienne ferait preuve d’une maturité politique qui lui apporterait d’importants dividendes économiques et sociaux. Et bien que les tensions soient profondes et les solutions insaisissables, les efforts déployés par le Maroc et d’autres pays pour amener les Jordaniens et les Palestiniens à participer à la prochaine réunion du Néguev constitueraient une étape importante pour combler le fossé. Que ces efforts soient couronnés de succès ou non, l’avancement continu de la coopération sur les questions économiques et de sécurité est un résultat plus probable du sommet de mars, consolidant les efforts du sommet précédent dans le Forum du Néguev.

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