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Le « Marocgate » sur lequel enquête la justice belge éclaire la politique d’influence que déploie Rabat au cœur des institutions européennes. Dans ces enceintes, certains Français sont des cibles privilégiées du lobbying de l’Etat du Maroc.
Rosa Moussaoui
Au milieu de ce mois de juillet 2011, le Maroc est encore secoué par les soubresauts du mouvement de contestation historique qui a poussé la jeunesse du pays dans les rues, dans le sillage de la révolution tunisienne.
Le roi Mohammed VI s’apprête à dévoiler, dans son traditionnel discours du trône, le lifting constitutionnel pensé pour désamorcer les protestations.
À Paris, le Journal officiel publie le décret élyséen estival portant promotion et nomination dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Parmi les heureux distingués se trouve un certain Abderrahim Atmoun, alors président du groupe d’amitié Maroc-France à la Chambre des conseillers, la chambre haute du parlement marocain.
Ce parlementaire Marocain est décoré par Nicolas Sarkozy sur proposition du Quai d’Orsay où, six mois plus tôt, Alain Juppé a remplacé Michèle Alliot-Marie, empêtrée dans ses encombrantes amitiés tunisiennes – la cheffe de la diplomatie s’était montrée prompte à offrir au dictateur Zine el Abidine Ben Ali le « savoir-faire » sécuritaire français pour mater le soulèvement outre-Méditerranée.
Groupe d’amitié et décorations
Cité par l’agence officielle marocaine MAP, Atmoun se dit « honoré » de cette « superbe décoration », un signe de « reconnaissance par rapport à tout le travail mené dans le cadre du groupe d’amitié » qu’il copréside depuis 2009 avec le sénateur français (UMP) Christian Cambon.
« Durant ce mandat, nous avons énormément travaillé avec les sénateurs français, de toutes sensibilités, pour faire connaître la position de notre pays, notamment sur la question du Sahara [occidental, NDLR] », fait valoir le récipiendaire, en évoquant aussi le travail accompli au Parlement européen.
Le conseiller marocain, ajoute la dépêche de la MAP, « a su développer des liens très forts avec la classe politique française d’autant plus qu’il a vécu dans l’Hexagone pendant près de 26 ans. »
Présenté comme un ancien chercheur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), il est alors, toujours selon la MAP, membre du conseil d’administration de l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires européens (IHEDATE).
Aujourd’hui ambassadeur du Maroc en Pologne, l’homme, qui s’affiche de selfie en selfie comme « ami » ou comme interlocuteur privilégié d’importantes figures politiques françaises de tous bords.
Son nom est cité dans l’enquête conduite par la Justice belge comme l’un des protagonistes du scandale de corruption présumée mettant au jour, au Parlement européen, les ingérences du Qatar, et surtout du Maroc et de son service de contre-espionnage, la DGED (Direction générale des études et de la documentation).
Derrière le « Qatargate », une « Maroc connection »
Les investigations belges, sous la supervision du juge Michel Claise, laissent entrevoir pour l’heure, après la saisie lors de perquisitions d’importantes sommes d’argent en liquide, une possible « organisation criminelle », qui aurait été utilisée pour des motifs différents par Doha et Rabat.
Avec une « Maroc connection » qui aurait relié de longue date l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri et les services secrets du royaume, par l’entremise d’Atmoun, présenté dans les auditions des enquêteurs belges comme un pourvoyeur de « cadeaux » aux allures de contreparties de l’alignement de certains élus sur les positions défendues par le Maroc, en particulier sur le dossier du Sahara occidental, ex-colonie espagnole illégalement occupée par Rabat depuis 1975.
Contacté par L’Humanité, Abderrahim Atmoun n’a pas donné suite. Quant à l’avocat de Pier Antonio Panzeri, il ne fait « aucun commentaire dans cette affaire ». « C’est impossible dans le contexte actuel de détention de mon client », nous fait-il savoir.
Le Maroc mis en cause par José Bové
Des élus français à Bruxelles se sont-ils vus offrir, eux aussi, des « cadeaux » ? Pour l’avoir laissé entendre, l’ancien eurodéputé écologiste José Bové est visé par une plainte en diffamation déposée en France par l’ancien ministre marocain de l’Agriculture devenu chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, nommément mis en cause par l’ex-syndicaliste paysan.
Le 16 décembre, au micro de France inter, José Bové avait assuré qu’il avait fait l’objet d’une tentative de corruption en marge des négociations de l’accord UE-Maroc sur les mesures de libéralisation réciproque en matière de produits agricoles et de produits de la pêche, auquel il s’opposait en 2010 et 2011 comme rapporteur de la Commission du commerce international (Inta).
« Le ministre de l’Agriculture, ne supportant pas que je puisse m’opposer à ce projet, m’a proposé de m’amener un cadeau à Montpellier, dans un café qui soit discret, a-t-il soutenu. Quand il y a des intérêts économiques colossaux qui sont en jeu, ces États font pression et certains députés, que je qualifierais de véreux, ont profité de ça.»
Des « accusations mensongères inadmissibles » qui ne seraient que le reflet d’une « vieille rancœur », stipule la plainte.
« Le Premier ministre marocain est extrêmement choqué des accusations sans fondement proférées par José Bové, insiste l’avocat français d’Aziz Akhannouch. Jose Bové essaye visiblement et malhonnêtement de profiter de l’actualité judiciaire concernant le Parlement européen, pour ressortir de vieilles histoires sans fondement. »
Contacté par L’Humanité, l’ex-eurodéputé écologiste, de son côté, ne retranche rien de ses propos et fait remarquer qu’il avait déjà fait le récit de cet épisode en 2015, dans son essai Hold up à Bruxelles. Les lobbies au cœur de l’Europe.
« Le 15 juillet [2011, NDLR], le même ministre [Aziz Akhannouch, NDLR] me propose de nous revoir pour discuter du dossier, d’autant qu’il a des « propositions » à me faire « pour arranger les choses » », écrit José Bové dans ce livre.
Il précise : « On pourrait se retrouver prochainement dans une ville et un lieu de votre choix, hôtel, restaurant, comme vous voulez, Monsieur Bové, pourquoi pas à Montpellier? Je m’y rendrai si cela vous convient. » Il est donc renseigné sur les lieux que je fréquente. Je lui donne mon accord de principe de se voir à Montpellier. Nous fixons une date, qui tombe pendant les vacances. Quelques jours avant le rendez-vous, il me rappelle de son ministère pour confirmer et fixer le lieu. Je lui donne l’adresse, il s’enquiert :
«- C’est un hôtel ? Un restaurant ?
- Non, Monsieur le Ministre, c’est chez Maître Hélène Bras, mon avocate.
- … [gros blanc]
- Monsieur le Ministre ?- …»
Depuis, plus de nouvelles. Je ne peux que m’interroger sur la nature des propositions qui m’auraient été faites pour huiler les rouages du dossier. »
Les éditions La Découverte, qui ont publié l’ouvrage, ne trouvent à son propos « aucune trace de poursuite enregistrée ».
L’ex-eurodéputé évoque aujourd’hui, par delà ce témoignage, l’existence au Parlement européen d’un « club très actif » d’élus toujours prêts à défendre avec ferveur les intérêts de Rabat.
Des pratiques d’influence anciennes et ancrées
La politique d’influence déployée par le Royaume dans les enceintes européennes et l’empressement de certains relais français n’a rien d’un mystère.
Dans une note estampillée « confidentiel » divulguée en 2014 avec des milliers d’autres documents par un hacker anonyme se faisant appeler Chris Coleman – des câbles dont les autorités marocaines n’ont jamais contesté l’authenticité -, la mission du Royaume du Maroc auprès de l’Union européenne faisait ainsi état du travail entrepris à la veille du scrutin européen avec le cabinet G + Europe, devenu, depuis lors, Portland, l’un des plus gros cabinets de lobbying à Bruxelles.
Objectifs : « identifier un groupe d’eurodéputés qui ont de fortes chances d’être réélus afin de les sensibiliser à investir les commissions représentant des enjeux pour notre pays ; identifier les candidats potentiels aux postes clés des institutions européennes (commissaires, présidents des commissions et des groupes parlementaires, DG, etc.) ; anticiper sur les groupes politiques qui monteront en puissance afin de préparer un plan d’action anticipatif à leur endroit particulier (…) ; tisser des relations avec des interlocuteurs clés pour les relations Maroc-UE au sein du Parlement européen. »
Cette même note alerte sur le dépôt possible « d’amendements malveillants » par des « adversaires » avant l’adoption par le Parlement européen de rapports consacrés à l’éradication de la torture dans le monde et sur aux relations commerciales de l’UE avec les pays de la Méditerranée.
Elle préconise ensuite « un suivi permanent des questions inhérentes à, notamment, l’accord agricole Maroc-UE qui fait l’objet actuellement d’un acharnement et de manœuvres hostiles de la part de ses détracteurs ». « À ce propos, conclut le document, plusieurs démarches auprès des responsables européens ont été proposées et il revient à G + Europe de les appuyer avec une action ciblée de lobbying en coopération avec les services de cette mission et les opérateurs privés marocains et européens. »
Au passage, cette note fait état des conseils prodigués par le Français Bruno Dethomas, un ancien porte-parole de la Commission européenne, ambassadeur de l’UE au Maroc de 2005 à 2009… alors reconverti comme lobbyiste chez G + Europe – illustration parmi d’autres du système de revolving doors, de portes tournantes entre les institutions européennes et cabinets de « conseil ». Contactés, ni le cabinet Portland, ni Bruno Dethomas n’ont donné suite à nos sollicitations.
Des « contacts discrets » avec des eurodéputés RN
Les autorités marocaines recrutent ses « amis » sans considération de leur couleur politique.
Un document des MarocLeaks de Chris Coleman fait ainsi état des « contacts discrets » que la mission marocaine auprès de l’UE aurait cultivés avec les élus du Front national, un parti affichant « des positions à l’égard de notre pays positives et constructives », dixit l’ambassadeur marocain à Bruxelles cité dans ce câble.
Dans les rangs de l’extrême droite, l’eurodéputée Dominique Bilde s’illustre ainsi par son insistance à relayer régulièrement les accusations lancées par Rabat de détournement de l’aide humanitaire destinée aux réfugiés sahraouis des camps de Tindouf.
Allégations pourtant maintes fois démenties par l’étroit suivi des agences onusiennes, du Programme alimentaire mondial, de la Commission européenne et sa Direction générale de la Protection civile et opérations d’aide humanitaire européennes (DG ECHO), qui procèdent à de fréquents audits sur les usages de cette aide.
« Ces accusations récurrentes trouvent leur point de départ au Maroc ; elles ont conduit, au milieu des années 2000, à une enquête qui avait mis au jour quelques irrégularités mais pas de détournement. Depuis lors, le suivi est très serré, avec des experts européens qui procèdent à des contrôles sur place », rapporte un ancien fonctionnaire d’ECHO, en se remémorant les visites d’officiels marocains, en poste à Bruxelles où à Rabat, décidés à convaincre la Commission européenne du bien fondé de ces accusations.
« Ces accusations laissent des traces, remarque-t-il. Elles ne sont pas étrangères au recul de l’aide humanitaire affectée par l’UE, l’un des principaux contributeurs, aux camps de réfugiés sahraouis, et qui finance pour l’essentiel l’aide alimentaire dont dépendent ces populations. »
Cette aide, qui représentait près de 12 millions d’euros en 2001, se montait, en 2022, à 9 millions d’euros.
Pas plus tard que le 5 décembre dernier, l’eurodéputé PPE Brice Hortefeux demandait encore dans une seule et même question écrite à la Commission européenne si celle-ci avait « l’intention d’effectuer un audit des fonds destinés aux camps sahraouis, afin de s’assurer qu’ils ne répondent qu’à des objectifs humanitaires » et quelles mesures elle entendait « prendre pour prévenir une éventuelle coopération entre le Polisario et des groupes terroristes » qui recevraient du mouvement de libération sahraoui, selon lui, « des armes et un soutien logistique ».
Reprise, sans preuves, de l’une des antiennes favorites des services marocains.
Gilles Pargneaux, au service de « Sa Majesté le roi »
Parmi les appuis politiques du Maroc à Bruxelles, un nom revient de façon insistante dans ces câbles dévoilés en 2014 comme dans les conversations avec des eurodéputés l’ayant vu à l’œuvre.
C’est celui du socialiste français Gilles Pargneaux, passé en 2017 dans les rangs macronistes sans parvenir à se faire investir par LREM pour conserver le siège d’eurodéputé qu’il occupait depuis 2009. En dépit de nos demandes répétées, lui non plus n’a pas répondu à nos questions.
Ancien président du groupe d’amitié UE-Maroc, visiteur assidu du Royaume, couvert de décorations par le Palais, lui aussi s’est reconverti dans le lobbying. Il a fondé en France son propre cabinet, P & B Partners, actif auprès des parlementaires français, mais garde un pied à Bruxelles, où il travaille comme senior adviser pour le cabinet de lobbying Hill & Knowlton, dont le Maroc est un gros client
EN TANT QUE DÉPUTÉ EUROPÉEN, GILLES PARGNEAUX SE PRÉSENTAIT AUSSI COMME « CONSEILLER DE SA MAJESTÉ LE ROI » »
Ana Gomes, Députée européenne de 2004 à 2019
La fondation EuromedA, qu’il a créée en 2018 avec un ancien ministre marocain, compte d’ailleurs dans son conseil d’administration et parmi ses membres fondateurs Alain Berger, un directeur exécutif et stratégique de Hill & Knowlton à Bruxelles, qui hébergea un temps cette structure dans ses locaux, à 150 mètres du Parlement européen.
Contactés, ni le cabinet Hill & Knowlton, ni la fondation EuromedA, ni Alain Berger n’ont donné suite.
L’ancienne eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomes n’hésite pas à dépeindre Pargneaux, sur son compte Twitter, comme « le lobbyiste du Maroc le plus effronté » qu’elle ait rencontré au Parlement européen. « En tant que député européen, il se présentait aussi comme « conseiller de sa majesté le roi » », assure-t-elle.
Et de fait, ses fréquentes interventions dans la presse marocaine, ses prises de position à Bruxelles, son acrimonie affichée à l’endroit des opposants marocains en font un soutien sans faille du régime monarchique.
Inflexible détracteur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, pourtant inscrit dans le droit international, il fut l’un des plus ardents défenseurs de l’accord agricole et de l’accord de pêche annulés par la Justice européenne.
CONCRÈTEMENT, LORSQU’ON PLAIDE POUR L’ADOPTION D’UNE RÉSOLUTION D’URGENCE CONDAMNANT LE MAROC POUR DES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS, DES EURODÉPUTÉS VOUS RÉPONDENT : D’ACCORD, JE VEUX BIEN, MAIS ÇA VA ÊTRE TRÈS DIFFICILE »
Un cadre d’ONG de défense des droits humains
Une note du ministère marocain des Affaires étrangères, révélée par les MarocLeaks, se félicitait en 2014, à l’occasion de la visite d’une délégation européenne incluant une étape dans les territoires occupés du Sahara occidental, de « l’implication personnelle de M. Gilles Pargneaux », recensait ses initiatives et déclarations en faveur des positions officielles du Maroc au Parlement européen, relevait un entretien accordé à la MAP dans lequel l’eurodéputé avait exalté « les avancées démocratiques du Royaume ».
Les autorités marocaines savent choyer leurs amis. Ceux qui sont désignés comme des adversaires sont, eux, combattus sans merci.
« Concrètement, lorsqu’on plaide pour l’adoption d’une résolution d’urgence condamnant le Maroc pour des violations des droits humains, des eurodéputés vous répondent : d’accord, je veux bien, mais ça va être très difficile, déplore un cadre d’une grande ONG de défense des droits humains. Pour faire passer un projet de résolution, il faut une masse critique. On ne peut pas l’atteindre car on se heurte systématiquement à l’intérieur du Parlement européen à des groupes d’intérêts défendant le régime marocain. Et ils sont très ancrés : l’investissement du Maroc dans l’endormissement des consciences européennes ne date pas d’hier. »
Une eurodéputée critique envers Rabat fichée et entravée
Une lettre du ministère marocain des affaires étrangères, datée du 1er avril 2014, est de ce point de vue éloquente.
Cette missive attire ainsi l’attention de l’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne sur la tenue d’un colloque au Parlement européen sur les disparitions forcées, à l’initiative de l’eurodéputée française Marie-Christine Vergiat, affiliée à la Gauche unitaire européenne.
En pièce jointe, une note du ministère marocain de l’Intérieur recense les opposants invités à ce colloque, affirme que l’élue « est connue pour son hostilité à la cause nationale à l’échelle du Parlement européen » et relève qu’elle « s’est opposée ouvertement le 16 février 2012 à la ratification par le Parlement européen de l’accord entre l’UE et le Maroc sur la libéralisation des produits agricole et a voté contre l’accord de partenariat de pêche entre l’UE et le Maroc le 10 décembre 2013. »
La fiche policière souligne ensuite que Marie Christine Vergiat a pris part à une conférence de presse organisée à Rabat par l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et conclut que « la tenue de ce colloque (…) n’est pas sans lien avec les tentatives des ennemis de la cause nationale pour introduire une clause de supervision des droits de l’homme dans le mandat de la Minurso », la force onusienne déployée au Sahara occidental.
Les consignes de Rabat sont alors claires, consignées noir sur blanc : « Je vous saurai gré des démarches que vous voudriez bien entreprendre auprès de nos amis afin de faire avorter ce colloque ».
Contactée par L’Humanité, l’ancienne eurodéputée se dit stupéfaite en prenant connaissance pour la première fois de ces documents.
Ce colloque, dédié aux cas emblématiques de Mehdi Ben Barka et de Hocine El-Manouzi (enlevé en 1972 en Tunisie), s’était finament bien tenu, sans heurts.
C’EST UNE DIPLOMATIE MENÉE PAR LE CONTRE-ESPIONNAGE ET LA DGST. ÇA CONFIRME QUE L’ÉTAT PROFOND, LE MAKHZEN EST RÉDUIT À SA PLUS SIMPLE EXPRESSION : SA DIMENSION POLICIÈRE »
Marie-Christine Vergiat se souvient en revanche d’une autre réunion qu’elle avait organisée trois ans plus tard au Parlement européen pour donner la parole à des opposants marocains dénonçant la répression contre les révoltés du Rif, et pour promouvoir la candidature de Nasser Zefzafi au prix Sakharov.
« Là, les autorités marocaines avaient mobilisé des «amis», dont un universitaire proche de l’Action française et un homme se présentant comme un policier, pour perturber cette réunion, relate l’ancienne élue. L’ambassadeur du Maroc avait ensuite écrit au président du Parlement européen pour exiger des sanctions contre moi. Sans succès. »
Une « lobbyiste » expulsée de Belgique
Un mois plus tard, les 23 et 24 novembre 2017, Gilles Pargneaux se faisait l’hôte, dans la même enceinte, et sans l’ombre d’une perturbation, d’un forum organisé par une brumeuse Organisation internationale des médias africains.
À la tête de cette structure, et siégeant à la tribune au côté de l’eurodéputé socialiste français, une dénommée Kaoutar Fal, ancienne employée du voyagiste Tui Fly devenue « consultante », « journaliste » et lobbyiste, volontiers mondaine, organisatrice, dans les palaces de Tanger ou de Casablanca, de colloques aux intitulés fumeux (« The Power of One », « Les Nouvelles Configurations du monde actuel »).
Pegasus. Emmanuel Macron trahi par son « allié » marocain
Moins d’un an après ce raout, elle se trouvait contrainte de quitter la Belgique en raison du retrait de son visa, au terme d’un séjour en détention dans un centre fermé.
Traitement justifié, d’après le rapport de la police belge relatif à son arrestation, par ses activités d’espionne présumée : « La Sûreté d’État […] considère que l’intéressée constitue une menace pour la sécurité nationale, car elle a constaté que Madame Fal et ses organisations sont activement impliquées dans des activités de renseignement au profit du Maroc. Par ailleurs, Madame Fal est également en contact avec des personnes qui sont connues de la Sûreté d’État pour leurs activités en faveur de services de renseignements étrangers offensifs ou pour des liens avec ceux-ci. La Sûreté d’État estime également qu’il faut empêcher l’intéressée d’accéder au territoire et de circuler dans l’espace Schengen afin de mettre fin à ses activités et au danger qu’elle représente. » L’un des invités de Kaoutar Fal au Parlement européen se revendiquait ouvertement de la « diplomatie parallèle ».
Pegasus. Le juteux business de l’écoute et des failles de sécurité
« On le voit avec ce scandale qui secoue aujourd’hui le Parlement européen : c’est une diplomatie menée par le contre-espionnage et la DGST. Ça confirme que l’État profond, le makhzen est réduit à sa plus simple expression : sa dimension policière », analyse le journaliste d’investigation marocain Aboubakr Jamai, contraint à l’exil. Contactés par L’Humanité, ni Gilles Pargneaux, ni Kaoutar Fal n’ont donné suite à nos sollicitations.
Un simulateur pour voir ce qui change réellement pour vous, des décryptages vidéo, des infographies, un lexique et l’ensemble de nos articles pour connaître l’impact de la réforme que le gouvernement veut imposer, découvrir les alternatives et suivre l’actualité de la riposte sociale… Le tout réuni en une seule page !
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