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Soupçons de corruption au parlement européen : derrière le Qatar, le Maroc
Le Qatar et le Maroc ont-ils réussi à acheter la bienveillance de plusieurs parlementaires européens ? La cellule investigation de Radio France et le journal belge Le Soir dévoilent les coulisses de ce scandale qui ébranle la démocratie européenne.
“Tout s’est bien passé. On nous a fait passer comme des VIP !”
“Vous avez vu les boîtes ?”
“Oui, on les a vues. Il a ajouté/mis quelques produits dans les sacs avant de partir.”
Ce 4 juin 2022, les agents du renseignement belge ne perdent pas une miette de la conversation très codée qu’ils interceptent entre l’ancien eurodéputé socialiste italien Pier Antonio Panzeri et son épouse alors en déplacement au Maroc. Elle vient d’y rencontrer Abderrahim Atmoun, aujourd’hui ambassadeur du Maroc en Pologne. Et pour les enquêteurs, les “produits” évoqués par l’épouse Panzeri seraient de l’argent remis par le diplomate marocain. Plus tard, ils retrouveront 600.000 euros en liquide au domicile bruxellois de Pier Antonio Panzeri et 17.000 euros chez lui en Italie. “L’argent gagné pour le compte du Maroc est transféré presque certainement par des enveloppes d’argent liquide transmises par [Abderrahim, ndlr] Atmoun”, écrivent dans une note les services secrets belges.
“Monsieur Atmoun ramenait de temps à autre de l’argent, mais pas de manière régulière”, expliquera de son côté sur procès-verbal un ancien collaborateur de Pier Antonio Panzeri, Francesco Giorgi, en décembre 2022. “Monsieur Atmoun venait à Bruxelles ou on se déplaçait chez lui, dans son appartement, à Paris. Quand on allait chercher de l’argent, on disait qu’on allait chercher des cravates ou des costumes”, précise Francesco Giorgi.
Le contre-espionnage marocain suspecté
Les services de sécurité belges ont été alertés en 2021 par cinq services de renseignement européens. Depuis, ils soupçonnent l’ex-eurodéputé Pier Antonio Panzeri d’être la cheville ouvrière d’un vaste réseau d’ingérence et de corruption œuvrant au sein des institutions européennes. En juillet 2022, ils transmettent le résultat de leurs investigations au procureur fédéral belge. Ce dernier ouvre une enquête pour corruption et blanchiment d’argent en bande organisée qu’il confie au juge Michel Claise.
Pour les services de renseignement belges, “il existe au sein des institutions européennes, un réseau impliquant un lobbyiste, plusieurs parlementaires européens et des assistants parlementaires [qui] travaillent de manière clandestine afin d’influencer les décisions des institutions de l’Union européenne en faveur du Maroc d’une part et du Qatar d’autre part.” C’est ce qu’ils écrivent dans une note déclassifiée. Ils précisent : “Des sommes considérables (plusieurs millions d’euros) sont payées clandestinement, en liquide, par le Maroc et le Qatar.”
Au cœur de ce réseau, “une équipe de trois Italiens” aurait été particulièrement active. Elle se compose d’abord de Pier Antonio Panzeri. Ce personnage incontournable du Parlement européen a présidé la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb ainsi que la sous-commission aux droits de l’Homme. Il a également co-présidé la commission parlementaire mixte Maroc-Union européenne. Dans ce petit groupe, on trouve aussi l’eurodéputé italien Andrea Cozzolino, et l’attaché parlementaire Francesco Giorgi (compagnon de la vice-présidente grecque du parlement Eva Kaili), qui a travaillé successivement pour l’un et pour l’autre.
“Cette équipe est pilotée par un officier de la DGED [le contre-espionnage marocain] basé à Rabat, Mohammed B., estime le renseignement belge. Connu (…) depuis 2008 pour des activités d’ingérence en Belgique, il a aussi été actif en France, où il est poursuivi pour corruption d’agents publics à cause du recrutement d’un fonctionnaire de la police des frontières.” Comme l’avait révélé le journal Libération en 2017, Mohammed B. avait effectivement été soupçonné d’avoir corrompu un policier français (avec de l’argent et des voyages) afin d’obtenir l’identité de personnes “fichées S” pour le compte du Maroc.
Une infiltration des travaux parlementaires ?
Mais il ne se serait pas arrêté là. “Mohammed B a aussi obtenu des renseignements sur les déplacements en France de ministres algériens, l’Algérie étant la puissance voisine et rivale de Rabat, explique le journaliste Pierre Alonso, coauteur de l’enquête pour Libération. Il a également pu découvrir grâce à sa taupe au sein de la police ce que les services français savaient sur lui. On est plus proche d’une opération d’espionnage visant la France que d’une action de lutte contre le terrorisme.”
Cinq ans plus tard, le même agent marocain se retrouverait donc au cœur des soupçons d’ingérence visant les institutions européennes. Pour les enquêteurs belges, “la coopération entre Cozzolino, Panzeri et Giorgi avec les services de renseignements marocains ne fait aucun doute. Tous prennent leurs ordres le plus souvent d’Atmoun. Ils sont aussi en contact direct avec (…) le directeur général de la DGED [le renseignement marocain, ndlr]. (…) L’équipe (…) fonctionne avec une discrétion qui dépasse la simple prudence, évitant de paraitre trop ouvertement pro-marocain au sein du Parlement européen, utilisant un langage codé et cachant l’argent liquide dans leur appartement.” Toujours selon le renseignement belge, l’accord avec la DGED aurait formellement été conclu en 2019.
Les enquêteurs s’interrogent aussi sur une possible infiltration de travaux parlementaires susceptibles d’intéresser le Maroc, notamment ceux qui concernent l’utilisation du logiciel Pegasus. “Nous avons relevé que [Andrea] Cozzolino aurait été nommé à la Commission parlementaire spéciale sur le programme Pegasus en janvier 2022 et [Eva] Kaili à la vice-présidence suite au soutien de Pier Antonio Panzeri, notent les policiers belges le 20 juillet 2022. (…) Monsieur Panzeri étant soupçonné de travailler pour le compte du Maroc, ces nominations semblent suspectes.”
Le Maroc, lui, a toujours fermement démenti avoir le moindre lien avec ce scandale de corruption autour du Parlement européen. Contactés, l’avocat français du Maroc et l’ambassadeur du Maroc à Bruxelles n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Le Sahara occidental, un enjeu crucial
Pourquoi un tel réseau aurait-il été mis en place auprès des institutions européennes par les services marocains ?
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