Le Maroc de Lyautey (1912 – 1925)
Lyautey a profondément marqué le Maroc et le protectorat de la France au Maroc, à tel point qu’il y est sans cesse associé – presque trop. Abondante littérature vantant l’action de Lyautey au Maroc.
Politique marquée par un respect pour le sultanat marocain et pour la société marocaine elle-même. Lyautey prévoyait la fin du protectorat et souhaitait réformer le pays pour construire un Etat plus fort et conquérir ses élites et sa population afin que ce Maroc, qui serait un jour capable de se gouverner tout seul, décide de rester lié à la France.
Il n’atteindra pas complètement cet objectif parce qu’il se heurte à la politique française telle qu’elle est mise en oeuvre par les fonctionnaires du protectorat, et au gouvernement français en métropole que Lyautey s’efforce de convaincre sans succès.
I. Un espace à pacifier (ie à dominer militairement)
A. Un territoire de l’armée
La conquête va prendre plus de 20 ans et ne s’achève qu’en 1934. Pendant toute la période, l’armée est présente au Maroc avec des effectifs fluctuants, notamment en raison de la guerre.
1914-1916 : première ponction puis seconde en 1918 suite à l’appel massif de Clemenceau.
Lyautey mène la politique de la carapace : il refuse le repli sur le Maroc littéral qui risque d’encourager la contestation de la présence française selon lui et préfère maintenir des hommes au contact avec les Marocains en vidant les zones où le contrôle est bien établi.
L’armée française au Maroc fait largement appel à des soldats indigènes algériens ou marocains. Le pourcentage des Européens diminue jusqu’à la guerre du Rif contre Abd-el-Krim en 1925. Beaucoup d’Algériens qui ont joué un rôle important lors de l’insurrection de Fès de 1912 en protégeant les officiers français jusqu’à l’arrivée des renforts.
L’armée mène une conquête contre « les hommes libres ».
B. Une longue conquête contre les « hommes libres »
Lyautey parle de ces hommes (les Imazighen) comme des insurgés mais non comme des ennemis car il a la conviction d’agir pour le compte du sultan marocain.
Guerre longue et difficile passant par le blocus de la population. La tribu des Aït Yahya a été dévastée : nombreux orphelins, femmes obligées de s’adonner à la prostitution…
Amendes collectives contre les tribus rebelles.
C. Le bilan
Bilan très lourd et souvent mal connu. 8 500 à 20 000 morts côté français (dont un peu plus de 600 officiers) ; 100 000 morts côté marocain selon Daniel Rivet.
Avant la guerre du Rif et ses bombardements aériens, les morts français étaient plus nombreux que les morts marocains.
L’armée est extrêmement active au Maroc, ce qui n’empêche pas Lyautey d’édifier un nouvel Etat dans toutes les zones sous contrôle français.
II. Le Makhzen des Français
Lyautey est un légitimiste (et non un Républicain), un libéral au sens du 19è siècle i.e. très opposé à l’intervention de l’Etat dans tous les domaines (sauf missions régaliennes). Cette vision est portée par les monarchistes et combattue par les républicains qui pensent au contraire que pour que la République s’enracine, il fallait convaincre les Français que c’est le meilleur des régimes et par conséquent les éduquer.
Pour les monarchistes, seuls les meilleurs doivent gouverner et non ceux dont la République a favorisé l’ascension sociale. On ne peut pas remplacer la naissance par l’éducation.
A. Le maintien du vieux Makhzen (le palais)
On maintient le sultan et ses vizirs même si on diminue leurs pouvoirs : nombre de ministres réduit à quatre (intérieur, justice, culte et les domaines et les Habous (biens de main morte)).
Organisation pyramidale de l’Etat : les fonctionnaires perçoivent désormais un traitement qui remplace le bakchich (ils se payaient autrefois sur les administrés).
Le Tertib, principal impôt est maintenu mais il n’est plus affermé (dans l’affermage, la perception de l’impôt est confiée au plus offrant) => Création d’une administration chargée de recouvrir l’impôt avec des fonctionnaires rémunérés.
Administration du Makhzen doublée par des fonctionnaires de la Résidence qui s’installe à Rabat, choisie par Lyautey pour être la capitale du Maroc.
B. L’organisation des services de la Résidence
Les fonctionnaires de l’administration de la Résidence ne vont cesser d’augmenter : 1 500 agents en 1914 et plus de 6 500 en 1925.
La Résidence s’occupe de services de police (sécurité publique), des affaires chérifiennes (services qui doublent les services du sultanat marocain) et des services administratifs qui s’efforcent de promouvoir le développement agricole et urbain du Maroc.
Le secrétaire général du gouvernement chérifien fait le lien entre le Makhzen et la Résidence.
Jusqu’à la fin des années 1920, pas de contestation de l’administration française qui a rétabli l’ordre contrairement au sultan marocain (il n’y est pas parvenu en raison des convoitises européennes).
Lyautey va avoir à coeur de mettre en place des institutions susceptibles de séduire la bourgeoisie marocaine et de demeurer après le départ des Français.
C. La formation d’une élite dévouée au protectorat
1919 : ouverture à Meknès de l’école très élitiste de Dar el beïda pour former les officiers marocains (une dizaine par an). L’idée est de pouvoir s’appuyer sur une élite locale. Ils reçoivent à la fois une instruction générale et militaire. Organisation de voyages à l’intérieur du Maroc et en France.
En 1934, seuls 62 officiers ont été formés (en deux puis trois ans) !
Cette école deviendra l’académie royale militaire après l’indépendance => comme le souhaitait Lyautey, un certain nombre d’institutions sont demeurées après le départ des Français.
II. Le développement d’une économie coloniale
A. De nouveaux investissements
C’est l’endettement qui a permis aux Européens de dominer le Maroc.
En 1912, le Maroc très endetté est contraint de souscrire de nouveaux emprunts.
La rationalisation de la perception de l’impôt et des droits de douane fournissent de nouvelles ressources fiscales qui permettent de mener tout une politique d’investissements tournée vers les transports : développement du port de Casablanca (décidé à la conférence d’Algésiras en 1906) en 1913 avec l’adjudication des travaux à Schneider, construction du chemin de fer confié à des entreprises françaises, construction de routes dont beaucoup partent de Casablanca, construction de centrales électriques (Casablanca en 1924 et Oujda en 1929). Paribas assure le financement de tous ces travaux.
B. Une économie tournée vers l’export
Transferts de terres importants, bien que Lyautey ne souhaitait pas répliquer le modèle mis en place en Algérie.
Appropriation par les Français des biens de main morte (habous) et des terres de pâturage => diminution très forte du cheptel, augmentation de nouvelles cultures (blé dur remplacé par le blé tendre servant à fabriquer du pain, agrumes).
Lyautey s’efforce d’encourager l’artisanat à travers des foires et des salons (foire de Casablanca en 1915) et l’implantation d’offices économiques du Maroc dans toutes les grandes villes françaises pour encourager le commerce entre le Maroc et la France.
Conclusion
La France met en place une économie de type colonial consistant à exploiter les richesses du Maroc au profit de la métropole. Lyautey n’échappe pas aux préjugés de son temps et à l’atmosphère coloniale qui veut que le Maroc soit un lieu d’investissements importants.
Toutefois, Daniel Rivet considère que Lyaute y a retardé la passage entre la colonisation (projet marchand civilisateur d’un Etat qui veut s’étendre) et le colonialisme (moment dans l’histoire coloniale où le peuple vaincu n’a plus aucun espoir de sortir de sa condition de vaincu).
Cours d’histoire du Maghreb du 26 février 2009
http://arabedusoirinalco.r.a.f.unblog.fr/files/2009/04/hmacours3lemarocdelyautey.pdf