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Alain Grignard, spécialiste du terrorisme : « Je crains plus les mécontents que les extrémistes de l’islam »

Tags : Belgique, terrorisme, extrémisme, islamistes, Alain Grignard, attentats de Bruxelles,

Sept ans après les attentats, l’expert en terreur et islamologue Alain Grignard n’est pas tellement préoccupé par l’extrémisme islamique, mais est particulièrement préoccupé par la violence du grand groupe de personnes mécontentes de la société. « Plus ce groupe est grand, plus la possibilité que quelqu’un commette un acte terroriste est élevée. »

Dans son loft d’Anderlecht, un sujet de conversation est interdit à l’ancien paracommando et enquêteur terroriste de la police fédérale : le procès des attentats, car Grignard lui-même va bientôt témoigner devant le tribunal. Mais à peu près tous les autres sujets qui concernent le travail de sa vie font sans effort déborder la cascade de discours du conférencier.

Le fait que des bombes aient explosé à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Maalbeek il y a sept ans était en fait un plan B : la véritable cible était Paris. Comment est-ce arrivé?

Alain Grignard :Les terroristes visaient en effet la France. Bien sûr, le symbolique joue un rôle dans ce choix – la laïcité pour laquelle la France est connue. De plus, il y avait aussi des raisons pratiques. Pour l’EI, d’autres ennemis comme les États-Unis sont plus éloignés que la France et le groupe ne pouvait pas compter sur de nombreux anglophones. Parallèlement, certains djihadistes expérimentés venus de France qui avaient rejoint le groupe au fil des années avaient une adresse dans l’axe Toulouse-Bruxelles. Ils parlaient donc français. Ajoutez à cela le fait que ces combattants français importants de l’EI, tels que les frères Clain, étaient suffisamment avertis idéologiquement pour gravir les échelons.

Cependant, lorsque la garde « plus âgée » de France s’est réunie en Syrie avec les gamins bruxellois, l’EI n’avait pas à l’origine toute confiance en ces jeunes bruxellois. Ils devaient faire des tâches plus petites, comme garder les prisonniers. Mais certains d’entre eux voulaient faire leurs preuves. Les jeunes des quartiers plus difficiles, qui confondaient respect et peur. Car : pour les jeunes de certains quartiers bruxellois on n’est respecté que lorsque l’autre a peur de soi. La violence peut bien sûr aider.

L’EI a ensuite utilisé ce groupe de francophones en vue d’une attaque contre le Championnat d’Europe de football en France en 2016.

Grignard : Très probablement. Mais parce que nous avons pu démanteler une partie du réseau d’Abdeslam dans les jours qui ont précédé le 22 mars, les gens sont passés un peu à la hâte et dans la panique à un attentat improvisé à la hâte à Bruxelles.

Depuis le 22 mars, l’Europe n’a pas connu d’attentat à la bombe aussi meurtrier qu’à Bruxelles et Zaventem. De tels attentats à la bombe dans nos régions appartiennent-ils au passé ?

Grignard : Je n’ose pas dire ça du tout. Les attaques à grande échelle semblent en effet se produire moins fréquemment, mais il y a une tendance vers des attaques plus petites et plus «précises». Bien que je ne préconise pas de mesurer les dommages causés par le terrorisme uniquement par la nature d’une attaque ou le nombre de victimes. Les terroristes utilisent des armes et l’émotion est la plus importante d’entre elles. Les dégâts de l’EI en Occident doivent donc être mesurés à l’aune des dégâts sociaux causés par les attentats.

Quel est ce préjudice social ?

Grignard : Premièrement, le fait qu’un climat s’est développé dans lequel les musulmans ont été regroupés. Musulmans ou djihadistes du quotidien : certains ne veulent pas voir la différence. Deuxièmement, il y a la peur. Des gens qui m’ont demandé après les attentats s’il serait sage d’aller à un festival comme Rock Werchter, par peur d’un attentat. J’ai dit à ces gens qu’ils risquaient plus d’avoir un accident de la circulation à leur retour d’un tel festival qu’un attentat à la bombe. Et troisièmement, encore : l’émotion, qui peut conduire à des décisions inconsidérées au niveau policier ou politique.

D’où vient aujourd’hui la menace posée par l’EI à l’époque ?

Grignard : Aujourd’hui, le reste de l’EI ressemble plus à un mouvement de guérilla, sans territoire défini et moins d’opportunités de se préparer et d’envoyer discrètement des terroristes ici pour un attentat.

Cependant, tout ce que l’EI ou Al-Qaïda a jamais publié peut inspirer n’importe quelle personnalité à agir elle-même. En ce sens, leur influence continue de s’exercer d’une manière qu’il est difficile de prédire à l’avance. Regardez Yassine Mahi (qui a poignardé à mort un policier à Schaerbeek à la fin de l’année dernière, ndlr) ou l’homme qui a menacé avec un couteau à l’hôpital Sint-Anna d’Anderlecht puis s’est suicidé.

En tout cas : l’EI est beaucoup moins fort, mais j’aime quand même revenir à une citation qui a été attribuée à de nombreux grands noms de l’histoire : « La prédiction est difficile, surtout quand il s’agit de l’avenir. Faire des analyses, c’est possible. Et sur cette base, je peux dire que la probabilité d’une attaque comme celle du 22 mars 2016 aujourd’hui est très faible. Je pense qu’il est plus important de souligner que bien que les islamistes extrémistes existent toujours, je crains beaucoup plus le danger venant d’autres milieux.

A quoi faites-vous référence alors ?

Grignard : Des gens qui sont insatisfaits et remettent en question toutes sortes d’autorités – politique, scientifique…. Antivaxers, gilets jaunes, militants écologistes, personnes qui s’opposent à la 5G, à la police ou quoi que ce soit, toutes sortes de théoriciens du complot : you name it. Il y aura toujours des gens, quoique très minoritaires, qui se sentiront sous pression et auront ce qu’il faut pour commettre un acte de terrorisme. De plus : plus le groupe d’insatisfaits est grand, plus la possibilité est élevée. Surtout parce que vous avez affaire à un climat dans lequel les réseaux sociaux – je préfère dire anti-sociaux – amplifient les contradictions. Il n’est pas non plus si facile d’analyser ces groupes, car ils viennent de toutes sortes d’angles, pas seulement des extrêmes.

Je pense, par exemple, à l’exemple historique des Frères musulmans : en principe, ce n’est qu’une organisation qui voulait parvenir à un État basé sur les valeurs musulmanes de manière pacifique. Cependant, pour un petit nombre qui n’est pas allé assez vite, certaines personnes parmi elles ont eu recours à la violence. Aujourd’hui, en partie à cause de la position affaiblie de l’EI, les Frères musulmans font leur retour dans certains endroits, en répondant fortement à leur protestation contre l’islamophobie, dans l’espoir d’atteindre leurs objectifs. Là aussi, il y a un risque que les choses n’aillent pas assez vite pour certains. Mais pour être honnête, je suis moins inquiet à ce sujet.

Qu’est-ce qui vous tient éveillé ?

Grignard : Les groupes anarchistes et surtout éco-terroristes comme Extinction Rebellion, car ils sont de plus en plus nombreux. La barrière de la violence peut donc être franchie plus rapidement dans de tels groupes. On le voit aussi sur les réseaux anti-sociaux : il n’y a pas de place pour le débat, des gens sont menacés de mort… ça me fait vraiment peur. De tels actes de violence sont plus visibles que jamais, et cela en soi est dangereux.

Le danger pour les loups solitaires est-il plus grand dans de tels groupes ?

Grignard : Les loups solitaires n’existent pas. Il peut y avoir des agresseurs qui agissent seuls, mais qui sont influencés par certaines personnes ou idées. Seul l’Unabomber (qui a envoyé des lettres piégées aux facultés, aux compagnies aériennes ou aux compagnies pétrolières, ndlr) est quelqu’un qui a agi presque en solitaire dans divers domaines. Un exemple intéressant, soit dit en passant, car quand j’entends certains éco-terroristes engagés dans leur pensée anti-industrielle, ils me rappellent sacrément la pensée anti-progrès d’Unabomber.

Dans tous les cas, les délinquants qui agissent seuls causent des problèmes supplémentaires à la police et aux enquêteurs en termes d’enquête .

Grignard : On ne peut pas surveiller tout le monde, et c’est tant mieux. Eh bien, quand quelqu’un frappe, la police est le chien mordu. Mais quand plus de caméras sortent dans les rues, tout le monde est sur ses pattes arrière.

Quelles leçons avez-vous tirées des attentats du 22 mars ?

Grinard :(Réfléchit) Écoute : tout comme l’éducation ou la santé, notre police a aussi des problèmes financiers. Mais nous ne devons pas oublier les leçons du passé. Je veux dire par là que ceux qui nous ont donné des moyens insuffisants pour éviter la tragédie du 22 mars devraient se remettre en question si une catastrophe similaire se reproduisait. Ainsi, même lorsque la situation est stable et que la menace terroriste est calme, comme aujourd’hui, il faut former des personnes capables de faire les analyses nécessaires à l’avenir. Surtout, ce qu’il ne faut pas faire, c’est dire que la menace terroriste sera derrière nous et qu’il faut mettre tous nos moyens, je dis quelque chose, dans la lutte contre la mafia de la drogue. C’est une mauvaise stratégie. Parce que s’il y a une attaque, c’est encore nous.

Une menace terroriste est bien sûr moins concrète et tangible que, par exemple, les tirs et les grenades à Anvers.

Grignard : Absolument. Mais : ne pas pouvoir empêcher un attentat à la bombe dans City2 sera moins vite pardonné que ne pas pouvoir traquer une énième grenade ou tirer à Anvers. D’autant que les victimes y sont, la plupart du temps, des personnes issues du monde de la drogue. Les citoyens ordinaires ne s’identifient pas à cela, contrairement à la victime d’un attentat à la bombe ou d’une attaque au couteau, événements qui la frappent beaucoup plus durement. Voilà, encore une fois l’émotion est le facteur déterminant.

Source : Bruzz (Belgique)

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