Jean-Christophe Ploquin
Rédacteur en chef
Le Sahara occidental est un enjeu prépondérant de la politique extérieure du Maroc. Depuis que les États-Unis ont reconnu sa souveraineté sur ce territoire disputé, le royaume exerce de fortes pressions sur les pays européens pour qu’ils adoptent la même position. L’Espagne a cédé mais la France résiste, explique Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef à « La Croix », dans sa chronique internationale « Si loin, si proches ».
Après l’Espagne et l’Allemagne en 2021, c’est au tour de la France d’endurer l’agressivité du Maroc. Officiellement, la tension reste contenue. Mais des hommes politiques de premier plan à Rabat et une bonne partie de la presse accusent Paris d’avoir orchestré, le mois dernier, un vote du Parlement européen appelant les autorités du royaume à « respecter la liberté des médias » et à mettre fin au « harcèlement » des journalistes. L’épisode est contrariant mais on peut faire l’hypothèse que la hargne marocaine se nourrit d’un tout autre sujet : celui du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole.
Depuis son abandon par Madrid en 1975, Rabat exerce de facto son autorité sur la plus grande partie de ce territoire contigu au sien, bien qu’un mouvement autochtone, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie voisine, exige un référendum d’autodétermination. La situation était gelée sous les auspices de l’ONU depuis des décennies lorsque Donald Trump, encore président des États-Unis, a soudainement fait pencher la balance, fin 2020.
Recomposant les alliances américaines dans le « grand Moyen-Orient », il a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en échange de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël. Le royaume a ainsi fait coup double. L’axe Washington-Rabat-Tel Aviv, qui se prolonge même jusqu’à Abu Dhabi, rehausse son statut régional. Et il renforce ses possibilités de faire accepter l’annexion d’un territoire qui augmenterait d’un tiers sa superficie et doublerait presque sa façade atlantique. Une ambition qui cimente le sentiment national.
Décidé à poursuivre son avantage, Rabat s’est attaqué à l’attentisme européen. Longtemps, à Madrid, Paris ou Bruxelles, il était urgent de ne pas arbitrer entre l’Algérie et le Maroc, les deux frères ennemis du Maghreb, à couteaux tirés sur le Sahara occidental. Le royaume estime venue l’heure du choix. L’Espagne a été sa première cible.
À Madrid, des observateurs évoquent une « guerre hybride » menée par le Maroc, utilisant notamment l’arme migratoire contre Ceuta et Melilla, deux villes situées sur la rive africaine du détroit de Gibraltar, espagnoles depuis le XVIe siècle. Après un an de tensions, les relations se sont apaisées et le président du conseil espagnol Pedro Sanchez s’est rendu avec douze ministres à Rabat le 2 février… après avoir endossé la position du Maroc sur le territoire disputé. L’Allemagne, aussi, a subi une phase de tension diplomatique et s’est rapprochée du point de vue de Rabat. La France, elle, reste sur la ligne prudente, soucieuse de ménager Alger.
Lié par un partenariat étroit à l’Union européenne, le Maroc veille certes à ne pas mettre en danger ces relations économiques denses, multiples et fructueuses. Mais il fait preuve d’une autonomie grandissante. Il s’est ménagé de nombreux soutiens sur le continent africain. Les États-Unis lui apportent un soutien militaire puissant et la coopération sécuritaire se développe rapidement avec Israël.
Le pays est sorti d’un syndrome d’enclavement et manifeste un nouvel aplomb, visible jusque sur les terrains de football lors de la Coupe du monde au Qatar – victoire contre le Portugal et l’Espagne, belle résistance face à la France. Malgré ses faiblesses internes – une excessive concentration du pouvoir et une extrême pauvreté endémique –, le Maroc se conçoit comme une puissance avec qui il faudra compter.
https://www.la-croix.com/Debats/Le-nouvel-aplomb-Maroc-2023-02-17-1201255648