Topics : France, gaz de schiste, Corpus Christi, Crédit agricole, BPCE, Société Générale, Etats-Unis,
Malgré leurs engagements à sortir des énergies fossiles, la Société Générale, le Crédit Agricole et le groupe BPCE ont investi 574 millions d’euros, en juin 2022, dans un méga-projet gazier à Corpus Christi, aux États-Unis. Un chantier qui doit accroître les exportations de gaz de schiste dans le monde, notamment vers la France.
Les banques françaises ont-elles enfin renoncé aux énergies fossiles ? On aurait pu le croire, en mars dernier, lorsque la Société Générale et le Crédit Agricole ont annoncé se retirer d’un vaste projet de terminal méthanier situé au Texas, le Rio Grande LNG. Un revirement suffisamment rare pour être salué par les ONG de défense de l’environnement. Pour cause : le chantier, porté par la société NextDecade, permettrait d’accélérer les exportations de gaz de schiste, extrait des sous-sols américains au moyen de la fracturation hydraulique. Désastreux pour le climat en raison des émissions de méthane dans l’atmosphère, ce procédé pollue aussi les nappes phréatiques. Reste que si les deux banques ont bel et bien abandonné ce plan, elles continuent de soutenir le secteur gazier américain. Même lorsqu’il s’agit d’investir dans une bombe climatique en puissance.
D’après l’enquête de Disclose, qui s’appuie sur une analyse financière du cabinet néerlandais Profundo, la Société Générale et le Crédit Agricole ont investi il y a moins d’un an, en juin 2022, près de 365 millions d’euros dans un méga-projet gazier voisin du Rio Grande LNG. Il s’agit de l’extension du terminal Corpus Christi, appartenant à la société Cheniere Energy, dont la quasi totalité du gaz exporté est issu de gaz de schiste, comme Disclose l’a démontré. Aux côtés de la Société Générale et du Crédit Agricole, on retrouve un troisième investisseur français de premier plan : la banque Natixis (groupe BPCE), qui a mis 209,84 millions d’euros sur la table. En tout, les trois établissements ont donc apporté 574 millions d’euros pour permettre d’augmenter les capacités du site d’où partent plus de 20 milliards de m3 de GNL par an. D’ici 2025, ses capacités pourraient même augmenter de plus de 60 %.
Alors que « l’extension du terminal émettrait chaque année environ 51 millions de tonnes supplémentaires d’équivalent dioxyde de carbone, soit l’équivalent des émissions annuelles de près de 14 centrales au charbon ou de 11 millions de voitures », selon le Sierra Club, un regroupement d’organisations écologiques américaines, comment les banques françaises justifient-elles leur soutien à une telle aberration écologique et climatique ?
La Société Générale se mure derrière le secret des affaires
Contactée par Disclose, la Société Générale, qui se présente comme le chantre d’une « finance responsable », et qui assure publiquement qu’elle ne soutient pas « les entreprises dont les revenus sont liés à l’exploration et à la production de pétrole et gaz non-conventionnels », élude nos questions en s’abritant derrière les « relations d’affaires ». Pourtant, selon sa politique sectorielle pour le pétrole et le gaz, édictée en janvier 2022, donc cinq mois avant l’accord du prêt à Cheniere Energy, la Société Générale jure qu’elle ne « fournira pas de transactions, produits et services financiers » à des projets tels que les « expansions importantes de la production ou de l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) situés en Amérique du Nord ». Seule une note figurant en bas de page précise que ladite exclusion n’entrera en vigueur « [qu’]après l’achèvement des projets pour lesquels le Groupe est mandaté ». Était-ce une façon de sauver le deal avec Cheniere Energy ? Là non plus, la banque n’a pas répondu à nos questions. « S’il ne s’agit pas d’une violation de sa politique, il s’agit alors d’une politique fallacieuse qui ne peut qu’induire en erreur les parties prenantes de la banque », estime de son côté Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance, une ONG engagée en faveur de la transition énergétique.
Le soi-disant bilan « verdi » du Crédit Agricole
Également interrogé sur son soutien à Cheniere Energy, le Crédit Agricole assure à Disclose qu’il suit scrupuleusement le scénario « Net Zero Emissions » de l’Agence internationale de l’énergie. La banque, qui, fin 2022, a mis en avant dans son plan d’actions « pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » son rôle « d’acteur engagé dans les grandes transitions sociétales », assure à Disclose qu’elle entend réduire de « 30% en valeur absolue [ses] émissions financées » dans le pétrole et le gaz, d’ici 2030. Elle défend néanmoins que « le gaz sera toujours une énergie présente dans le mix énergétique mondial à moyen terme et qu’il ne commencera à décroître qu’à partir de 2025 ». Sollicité à plusieurs reprises, le Groupe BPCE n’a pas répondu à nos questions.
« Les banques françaises, promptes à faire valoir leurs engagements à lutter contre le dérèglement climatique, le sont beaucoup moins dès lors qu’il s’agit de joindre le geste à la parole et renoncer à financer des projets et des entreprises encore très rentables, mais incompatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C », décrypte Lucie Pinson. Depuis 2016, la Société Générale, le Crédit Agricole et la BPCE, aux côtés de BNP Paribas et du Crédit Mutuel, ont soutenu l’énergéticien américain pour un montant total de 7,4 milliards d’euros.
Numéro un du gaz aux États-Unis, Cheniere Energy est en pleine croissance, et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « En 2022, les filiales de Cheniere ont signé de nouveaux contrats à long terme représentant un total de plus de 180 millions de tonnes de GNL jusqu’en 2050 », revendique la société sur son site. Début 2023, le géant des énergies fossiles a également annoncé vouloir agrandir son autre terminal méthanier, Sabine Pass, situé en Louisiane. En dépit de leurs annonces tonitruantes de retrait des énergies fossiles, les données de Profundo révèlent que la Société Générale, le Crédit Agricole et le Groupe BPCE ont à nouveau répondu présentes pour apporter un appui financier à Cheniere Energy. Cette fois, il s’agit d’un soutien à l’émission d’obligations par la filiale qui gère le site de Sabine Pass. Montant de cette ultime participation au projet climaticide du géant gazier américain : 50 millions d’euros.
Disclose, 27 avr 2023