Maroc Confidentiel

Interview de Mourad Boucif, cinéaste marocain de Belgique

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“Il faut galérer pour trouver un travail en dehors du nettoyage et du chauffeur de bus”

La Gazette du Maroc : Comment évaluez-vous l’intégration des immigrés marocains en Belgique ?

Mourad Boucif : L’intégration des immigrés se porte beaucoup mieux par rapport à il y a quelques années. Aujourd’hui la Belgique tout entière est consciente que les personnes issues de l’immigration sont des citoyens belges et resteront définitivement sur le territoire. (La majorité d’entre eux est née en Belgique et a la nationalité belge). Le mythe du retour n’existe plus. L’implication de la communauté marocaine à travers les différentes institutions belges a joué un rôle crucial pour la cohabitation avec la population belge de souche.

Vous avez filmé le gouffre entre les communautés dans “Au-delà de Gibraltar”, comment voyez-vous l’avenir des communautés en Belgique ?

Je suis optimiste quand à l’avenir des différentes communautés qui vivent en Belgique. Il y a 40 ans jour pour jour, date de la première vague d’immigration en provenance du Maroc, on n’aurait jamais espéré retrouver une personne d’origine marocaine dans un cabinet ministériel ou dans une administration communale (mairie). Aujourd’hui nous avons trois ministres issus de l’immigration dont une d’origine marocaine (Mme Fadila Lannaan, ministre de la Culture, de la Jeunesse et de l’Audio-visuel). Petit à petit le brassage se fait et le mélange implique inévitablement la rencontre “de l’autre”, même pour les plus “conservateurs” ou les plus “récalcitrants”.

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Les Marocains se plaignent beaucoup du racisme en Belgique. Quelle est sa nature, quelles sont ses manifestations et est-ce que vous, en tant que cinéaste, vous l’avez vécu au quotidien ?

Il est clair que toute personne étrangère vivant en Belgique a son lot de situations de discrimination et de racisme. Personnellement, je n’ai pas été épargné. Ayant arrêté mes études trop tôt et n’ayant pas de diplôme, j’ai dû galérer pour trouver un travail en dehors “du nettoyage” et “de chauffeur de bus”.. Sans vouloir dénigrer ces professions, avec tout le respect que j’ai pour ceux qui les font, je souhaitais simplement à ce moment trouver un emploi où je pouvais m’exprimer réellement, avoir des responsabilités…

Pour cela j’ai compris qu’il me fallait reprendre les études, car on n’était pas prêt à me donner cette chance. J’ai entrepris des études d’éducateur spécialisé pendant trois ans et j’ai décroché mon diplôme. C’est de cette façon que je suis entré dans le social. Malheureusement, nos hommes politiques et les médias n’ont pas aidé à une meilleure imprégnation des différentes communautés vivant sur le territoire. A plusieurs reprises, des hommes politiques de partis traditionnels ont eu tendance à exprimer des propos très durs vis -à-vis des étrangers.

Les médias ne sont pas épargnés par ce type de dérapages. Et tout cela dans la plus grande normalité.

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Il n’y a pas longtemps une sénatrice d’un grand parti au pouvoir annonçait publiquement avec force que “le voile de la femme musulmane était une soumission vis-à-vis de l’homme et une infériorité acceptée de la part de ce dernier”. Cette déclaration publique est passée “comme une lettre à la poste” sans aucune réaction des responsables politiques. Ces personnes ayant une grande responsabilité devraient être plus vigilantes et surtout faire attention aux signes qu’elles donnent à la population, que ce soit aux autochtones ou aux allochtones (Belges de souche ou aux personnes issues de l’immigration). Nous devons tous être très méfiants devant ce type de discours surtout dans cette période très sensible que nous traversons.

Le terrorisme a menacé et menace toujours la Belgique comme toute l’Europe, comment voit-on le rôle joué par les Marocains dans les filières terroristes ?

Malheureusement, l’implication de ces personnes d’origine marocaine n’aide pas à la cohabitation entre les différentes composantes de notre société. Les amalgames sont plus présents et renforcent les préjugés à l’égard de l’autre. Ce type d’événement vient parasiter les relations qui se créent. Les répercussions négatives sont assez importantes. Auparavant, les crises internationales avaient un léger impact en Europe. Aujourd’hui, les pays européens sont directement concernés et nous ressentons quotidiennement des réactions de repli et de rejet. Ce qui implique les mêmes schémas vis-à-vis des victimes. Heureusement, un énorme travail associatif se réalise sur le terrain et essaie de limiter les dégâts. Mais la route est encore longue, Incha Allah…

Quel rôle peut jouer l’artiste marocain en Belgique pour donner des alternatives d’approches face aux clichés et aux clivages culturels ?

Il est clair que nous, les artistes, avons un champ d’action et des cartes en main.

L’artiste, par définition, est une personne qui s’intéresse et qui s’ouvre sur le monde, afin de le reproduire et de l’immortaliser à travers ses oeuvres. Les enjeux de ce type de travail peuvent avoir de grandes répercussions au sein de l’opinion publique. Je suis convaincu que les artistes peuvent réussir là où les politiciens ont peut-être échoué.
J’ai travaillé plus d’une douzaine d’années dans le social, j’essaie encore aujourd’hui d’être le plus engagé possible, mais j’ai compris un jour qu’il me fallait d’autres outils, d’autres moyens beaucoup plus efficaces. J’ai compris que dans un système inégalitaire le travail social sera inégalitaire. C’est pour cette raison que je suis devenu cinéaste.

Quelle image se fait-on en Belgique aujourd’hui des Marocains ?

Le Maroc et la Belgique ont toujours eu de bonnes relations tant au niveau de la population que de nos gouvernants. Même si les événements tragiques que nous traversons n’aident pas réellement à une meilleure cohabitation. L’image de l’étranger est en train
de changer progressivement. Aujourd’hui nous pouvons voir des personnes d’origine marocaine un peu partout “dans notre paysage”.

Nous avons des ministres, des journalistes qui présentent les infos, des ingénieurs dans de grandes entreprises, des metteurs en scène, des comédiens, des cinéastes… Nous sommes le premier pays européen à avoir des ministres d’origine marocaine, congolaise et turque.

Quels sont vos projets de cinéma pour l’avenir ?

Actuellement, je prépare un deuxième long-métrage. Celui-ci aura pour thème la participation des Marocains au sein des troupes françaises lors de la seconde guerre mondiale. Ce projet qui a des allures de fresque historique est surtout une réflexion sur nos certitudes, sur la pensée unique…

C’est “la rencontre de l’autre” qui m’intéresse énormément. Tant que l’on ne réalisera pas que “l’autre” est une chance, un patrimoine de l’humanité, la communauté des hommes n’avancera pas !

Abdelhak NAJIB

La Gazette du Maroc

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